I) Les alétrides athéniennes.

«  A sept ans, je fus arrhéphore. Alétride dans ma dixième année pour la protectrice et portant la crocote, ourse aux Brauronies. Une fois belle et grande, je devins canéphore et portais un collier de figue 15 ». Le fait qu’Aristophane donne l’âge de dix ans pour les alétrides ne signifie pas qu’elles avaient seulement dix ans. Les filles pouvaient être arrhéphores entre 7 et 10 ans, ourses entre 5 et 10 ans. Les alétrides appartenaient à cette tranche d’âge, comprise entre la fin de l’enfance et le début de la maturation. Nous pouvons les situer dans une tranche assez large, entre 5/6 et 10/11 ans. Sur elles, nous savons peu de choses, les autres sources nous apprennent qu’elles étaient des « jeunes filles de noble origine, ayant la charge de moudre le grain (He ; SA), de préparer la mouture sacrée (ἱερὸν ἀλετὸν) (PR) pour la fabrication des galettes sacrificielles (popana) pour le sacrifice (PR ; SA ; Eu) ou les sacrifices (He). Elles sont estimées 16 ». La charge était honorifique, les alétrides transformaient le grain, le froment en farine. Elles accomplissaient « la mouture sacrée ». Le terme alétride (ἀλετρίς, -ίδος / ἀλετρίδες)n’a pas d’équivalent masculin, c’était une fonction exclusivement féminine qui revêtait un aspect civilisateur du fait qu’elles transformaient un produit brut en produit civilisé ; offrant un parallèle avec ces fillettes qui, elles aussi, à mesure qu’elles grandissaient et participaient aux divers rites, quittaient le monde de l’enfance (un monde sauvage, peu discipliné) pour rejoindre celui de la société civilisée. L’alétrideétait une travailleuse, une servante ainsi que le suggère l’utilisation du terme dans l’ « Odyssée » et l’ « Hymne à Délos » de Callimaque17. D’une certaine façon, elle fait penser à la mélissa, l’abeille travailleuse et consciencieuse. Le service ne renfermait pas de difficultés particulières et ne demandait pas une certaine technicité, il était donc adapté à des jeunes filles de bonne famille : c’était plus un devoir cérémoniel, le travail étant considéré comme impropre et inadéquat pour elles18.

Nous ignorons de quelle façon se faisait le mode de sélection. Eusthate dit qu’elles étaient désignées (ἀπεδείκνυντο) et A. Brelich, s’appuyant sur le cas des arrhéphores pense que le Basileus les choisissait mais aucun document ne permet d’affirmer ou d’infirmer une telle hypothèse. De même, il considère qu’elles devaient porter, comme les arrhéphores et les ourses, des vêtements particuliers pour accomplir leur fonction, insignes caractéristiques de leur charge19. Leur nombre nous est inconnu, mais elles ne devaient probablement pas être nombreuses. La durée de leur charge n’est pas mentionnée, néanmoins nous pouvons supposer que la fonction durait un an, durée moyenne d’un service religieux en Grèce ancienne.

Les alétrides officiaient pour l’archègétis, « la protectrice, la patronne » que la scholie à Aristophane, « Lysistrata », v. 644 indique comme étant Artémis ou Déméter. Cependant, il est difficile de concevoir que la déesse Athéna n’ait pas été concernée. En fait, il est communément admis que l’archègétis se réfère à Athéna dans ce passage20, mais il est vraisemblable que les alétrides officiaient à l’occasion de diverses fêtes pour différentes divinités durant le temps de leur service. La Scholie à Aristophane « εἰς τὴν θυσίαν » et Eusthate « εἰς θυσίαν  » suggèrent un sacrifice particulier, sans plus de précision. Cependant, Hésychius utilise le terme « εἰς τὰς θυσίας » laissant penser qu’il y avait plusieurs sacrifices. Il est possible que les deux premières sources mentionnent non pas le seul sacrifice auquel participaient les alétrides mais le plus important, c'est-à-dire le sacrifice panathénaïque21. Elles devaient aussi participer à la confection des gâteaux au miel offerts au serpent sacré de l’Acropole, chaque jour selon Plutarque ou tous les mois d’après Hérodote22. De plus, Théodora Hadzisteliou-Price mentionne une inscription de Brauron signalant la présence d’une alétride au sanctuaire d’Artémis23. Elle devait officier à l’occasion de la fête des Brauronies. Sa présence suggère qu’une pratique d’offrande de galettes sacrificielles avait lieu lors du rituel. De plus, la Souda (sv. ἀνάστατοι) évoque un gâteau préparé pour Artémis Mounychia dont les cérémonies rituelles étaient semblables à celles de Brauron, laissant penser que peut-être un gâteau était aussi préparé pour les ourses. De plus, une pâtisserie, dite anastatos, était cuisinée pour les arrhéphores 24. Les alétrides devaient participer à son élaboration, et nous trouvons donc cette fonction connectée par le biais de l’offrande de gâteaux rituels aux ourses et aux arrhéphores, ainsi qu’elle l’était déjà dans le passage d’Aristophane. La fonction d’alétride était liée à la nourriture, plus précisément à celle que l’on offrait aux dieux. Offrir à manger à la divinité était un acte courant, les dieux recevaient les offrandes apportées par les fidèles (fruits, gâteaux, animaux à sacrifier …). Mais à l’occasion de certaines fêtes, des gâteaux spéciaux étaient cuisinés et la farine servant à leur composition était préparée par les alétrides. C’est du moins ce que nous savons par les sources évoquant les alétrides athéniennes mais il n’est fait mention nulle part d’un modèle semblable ailleurs. Nous ne savons rien de cette fonction hors du cadre athénien et même là beaucoup de choses nous échappent encore. La fonction devait exister ailleurs dans le monde grec, car les offrandes de galettes sacrificielles se retrouvaient dans de nombreuses fêtes. Ce manque d’information peut signifier que la fonction était commune et ne nécessitait pas d’explication outre mesure mais qu’elle avait acquis à Athènes un caractère singulier, en particulier en ce qui concerne l’âge des fillettes. Aucune inscription ou représentation iconographique n’existe les concernant.

Notes
15.

Aristophane, Lysistrata, 641-647 (éd. Belles Lettres, 1958, V. Coulon) : «Ἑπτὰμὲνἒτηγεγῶσ ’ εὐθὺςἠρρηφόρουν˙ εἶτ ’ ἀλετρίςἦδεκέτιςοὖσατἀρχηγέτικᾆτ’ ἒχουσατὸνκροκωτὸνἄρκτοςἦΒραυρωνίοις˙ κἀκανηφόρουνποτ’ οὖσαπαῖςκαλὴ’ χουσ ’ ἰσχάδωνὁρμαθόν»  J’ai choisi de ne pas retranscrire la ponctuation des v. 642-644 pour plus de clarté. Chr. Sourvinou-Inwood, Studies in Girl’s Transition, p. 136 et 140-142 donne une autre lecture du passage d’Aristophane, plaçant une ponctuation avant « δεκέτις », considérant que la référence à l’âge de dix ans et l’archègétis sont en rapport avec les ourses et non les alétrides. H. Lloyd-Jones, « Artemis and Iphigeneia », JHS 103 (1983), p. 92 n. 32 estime à juste titre qu’il serait étrange que l’auteur se focalise ainsi sur une seule fonction. Il est possible que ce passage comporte plusieurs niveaux de lecture dans la volonté de l’auteur d’embrouiller son auditoire.

16.

Hésychius, sv.  ἀλετρίδες (He) 

Scholie à Aristophane, Lysistrata, 643 (SA)

Pausanias, R.E., ἀλετρίδες(PR)

Eusthate, ἀλετρίδες(Eu)

Eusthate est cité et corrigé par A. Brelich, Paides e Parthenoi, n. 24 et 25 p. 238-239 : « ἀλετρίδες κόραι τινὲς Ἀθήνη̣σιν ἀπεδείκνυντο ἐφ’ ώ̣̃ τὰ εἰς θυσίαν πόπανα πωλεῖν (A. Brelich : ἀλεῖν ?) - ἀλετρίδες ἔντιμοι καὶ εὐδόκιμοι παρθένοι αἱ τὰ εἰς θυσίαν πόπανα ἄγουσαι (correction A. Brelich : ἀλοῦσαι) ». C’est cette version corrigée qui est prise en compte ici.

17.

Homère, Odyssée, 20, 105-106 (éd. Belles Lettres, 1962, V. Bérard). « car le pasteur du peuple avait en son moulin douze femmes peinant à moudre orges et blés (…) » ; Callimaque, Hymne à Délos, 240-243 (éd. Belles Lettres, 1948, E. Cahen) : « Non pas même où accouchent dans la souffrance les misérables servantes ».

18.

J. A. Turner, Hiereiai, p. 190.

19.

A. Brelich, op. cit., p. 239 - 241

20.

A. Brelich, op. cit., p 238-241 ; N. Loraux, Les enfants d’Athéna, p. 176 n. 72 ; H. Lloyd-Jones, « Artemis and Iphigeneia », JHS 103 (1983), p. 93 ; P. Brulé, La fille d’Athènes, p. 114 -116 ; M. Dillon, Girls and Women in Classical Greek Religion, p. 220-221. Contra: Chr. Sourvinou-Inwood, op. cit., p. 141 pense qu’il s’agit d’Artémis et connecte l’alétride avec Déméter du fait de ses liens avec le monde agricole.

21.

A. Brelich, op. cit., p. 239 et 114.

22.

Hérodote, VIII, 41, 3-4 ; Plutarque, Thémistocle, 10, 1-2. Tous deux racontent qu’en -480 alors que les Perses se rapprochaient de la cité attique, le serpent sacré avait refusé de manger le gâteau. Considérant que le serpent avait quitté la cité, les Athéniens prirent ce fait comme le signe qu’ils devaient partir.

23.

Th. Hadzisteliou-Price, Kourotrophos, p. 208 sans donner l’inscription. Elle pense qu’elle était l’une des prêtresses de la cérémonie chargée pour l’occasion de moudre la farine pour les galettes sacrées.

24.

Athénée, Deipnosophistes, III, 114, a «  (…) appelé anastatos qui était préparé pour les arrhéphores » ; Souda, sv. ἀνάστατοι « sorte de gâteau transporté par les arrhéphores ». Sur les alétrides et leurs rapports avec ce gâteau, cf. H. Jeanmaire, Couroi et courètes, p. 261.