2-1) Les femmes et jeunes filles de Sparte.

A-1) Pour le dieu Apollon Amycléen.

A Sparte, les femmes qui tissaient le péplos pour Apollon Amycléen ne portaient pas de nom spécifique. Aucune inscription n’a été retrouvée à leur sujet. Notre source est Pausanias qui nous informe que les femmes mariées (γυναίκες) tissaient chaque année un vêtement nommé chiton pour le dieu dans un atelier nommé chiton. Il semble que cette pièce se trouvait non loin ou peut-être dans le sanctuaire des Leucippides25. Le péplos était offert à la divinité lors de la grande fête des Hyakinthies, à laquelle tous (citoyens, femmes, enfants, esclaves, étrangers) étaient conviés. La fête avait lieu au début du printemps, elle durait trois jours à l’époque hellénistique mais probablement une dizaine à l’époque classique26. C’était l’une des fêtes les plus importantes de la cité lacédémonienne, une fête de renouvellement du monde pendant laquelle les cadres sociaux rigides étaient bouleversés, un fait symptomatique des fêtes de nouvel an à caractère initiatique où les nouveaux initiés étaient présentés et intégrés à la cité27. La fête à l’époque hellénistique nous est contée par Polykratès, repris par Athénée. Le premier jour était un jour de deuil, commémorant la mort du héros Hyakinthos tué par accident par Apollon alors qu’ils jouaient au palet28. La cité était en deuil, nul ce jour là ne devait chanter, porter de couronne ou manger du pain ou des gâteaux, à peine se sustentaient-ils. Puis le deuxième jour, c'est-à-dire à la nuit tombée, la vie reprenait et la cité était en joie. Des spectacles variés, multicolores avaient lieu. Apollon était célébré un peu partout, les éphèbes chantaient le péan29, ils se retrouvaient au théâtre pour déclamer des chants traditionnels. Certaines jeunes filles, parmi les plus belles et les mieux nées, parcouraient les rues de la ville sur des chars spéciaux conçus pour l’occasion. Ces chars, dits kannathra, étaient faits de roseau et pouvaient prendre l’aspect d’animaux et d’êtres fantastiques. D’autres filles se mesuraient les unes aux autres sur des chars attelés. Puis une longue procession se mettait en route pour rejoindre le sanctuaire d’Amyclées, situé à une douzaine de kilomètres au sud de l’Acropole. Le chiton était emporté pour être offert au dieu et au héros, peut-être emmené par les jeunes filles sur leurs chars décorés30, témoignant de la grande considération en laquelle on les tenait. Nous ignorons à quel moment de la cérémonie le péplos était remis. Dans le sanctuaire, se trouvait une statue du dieu haute de 14/15 mètres dont le piédestal servait d’autel et où était inhumé Hyakinthos et dans lequel on entrait par une porte sur le côté31. Un culte héroïque lui était rendu avant la thysia pour Apollon où de nombreuses victimes étaient sacrifiées. Un banquet (appelé kopis) avait lieu. Les citoyens invitaient leurs amis, les étrangers et même leurs esclaves. Les femmes se réunissaient de leur côté pour assister à une pannychis féminine qui avait lieu dans l’enceinte du sanctuaire. La fête étant annuelle, le péplos devait être tissé en quelques mois, mais nous ignorons combien de temps durait le travail et à quelle date il commençait. Aucune cérémonie de « mise en chantier du péplos » comme il existait à Athènes ne semble avoir eut lieu à Sparte. Nous ignorons aussi à quoi il ressemblait, mais il devait être de taille humaine, comme un grand manteau. En effet, même si la statue d’Apollon était de grande taille32, il est peu probable que le vêtementrevêtait réellement la statue mais il devait être déposé sur le piédestal aux pieds du dieu, et ensuite remisé peut-être dans l’autel même.

Notes
25.

Pausanias, III, 16, 2. Ce dernier évoque la pièce chiton alors qu’il est en train de parler et d’évoquer les bâtiments du sanctuaire des Leucippides, suggérant donc la proximité de l’atelier avec le sanctuaire. Les Leucippides étaient deux sœurs jumelles, prénommées Hilaeria et Phoebè, épouses des Dioscures, frères d’Hélène et héros guerriers de la cité spartiate. Mais Pausanias, toujours dans ce passage, nous informe que l’auteur des Cypria les appelle filles d’Apollon. De plus, la scène de leur enlèvement par les Dioscures, alors qu’elles dansaient avec leurs amies, se trouvait figurée sur le trône de la statue d’Apollon Amycléen (Pausanias, III, 18, 11). Ces éléments indiquent que leur culte était lié à celui du dieu, et que l’atelier de tissage pouvait se trouvait à proximité. Selon Pausanias, il semble que les parthénoi ne participaient à la confection du chiton. Sur les Leucippides : cf. Cl. Calame, Chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque, I, p. 323-333 ; New Pauly, sv. Leucippids.

26.

N. Richer, « Les Hyakinthies de Sparte », REA 106 n° 2 (2004), p. 389-419, et p. 399 : la diminution de la durée de la fête était due à la baisse démographique de l’époque classique.

27.

Athénée, Deipnosophistes, IV, 139 d-f ; R. L. Farnell, Cults IV, p. 264-267 ; M.P. Nilsson, Griechische Feste, p. 129-140 ; A. Brelich, Paides e Parthenoi, p. 142-148 ; Cl. Calame, Les choeurs de jeunes filles en Grèce archaïque I, p. 305-323 ; N. Richer, REA 106 n° 2 (2004), p. 389-419 qui fait aussi le lien avec les Dionysies athéniennes  alors que P. Brulé, « Hyakinthies et Panathénées », p. 19-38 fait un parallèle entre ces deux fêtes.

28.

Hyakinthos était à Sparte le fils d’Amyclas (éponyme d’Amyclées) et petit-fils de Lakédaimon et de Sparte. (Apollodore, III, 10, 3 ; Pausanias, III, 1, 3) Son culte doit dater du VIIIème av. J.C., moment où Amyclées fut rattaché à Sparte (Pausanias, III, 2, 6) et où il devint l’amant malheureux d’Apollon (Euripide, Hélène, 1470-1475 ; Apollodore I, 3, 3) M.P. Nilsson, op. cit., p. 130-131 et P. Brulé, op. cit., p. 20-26 : le culte de Hyakinthos, ancien dieu de la végétation, avait été absorbé par Apollon. Contra : N. Richer, REA 106 n° 2 (2004), p. 391-395 : une association.

29.

Xénophon, Helléniques, 4, 5, 11.

30.

N. Richer, REA 106 n° 2 (2004), p. 403 ; P. Brulé, op. cit., p. 30.

31.

Pausanias, III, 19, 3.

32.

Sur le trône d’Amyclées : R. Martin, « Bathyclès de Magnèsie et le trône d’Apollon à Amyklae », RA (1976), p. 205-218. Le trône date du VIème av. J.C. Il représente les travaux d’Héraklès, l’apothèose de Hyakynthos, des caryatides ornent l’ensemble. Une statue colossale du dieu est située sur l’autel.