2-3) Les ekkaideka gynaikes d’Elis et Olympie.

Les seize femmes (ἐκκαίδεκα γυναίκες38) officiaient à Olympie et Elis pour la déesse Héra et pour le dieu Dionysos, assumant diverses fonctions au nom des tribus de l’Elide. Elles formaient un collège sacré dont la création remontait au VIème av. J.C. Elles étaient choisies parmi les femmes les plus âgées et les plus sages de chaque tribu de l’Elide. Elles devaient accomplir plusieurs activités : organiser le concours des Héraia, tisser le vêtement pour Héra, instituer le chœur de Physcoa et celui d’Hippodamie39. Le collège était assisté par seize autres femmes pour préparer le concours des Héraia 40, choisies sur le même principe mais probablement moins âgées et qui devaient se charger de l’administration de la fête. Le tissage commençait dans l’année des Héraia, quelques mois avant la fête, les seize femmes se réunissaient dans un bâtiment situé sur l’agora d’Elis41. Le péplos olympien était un long voile, comme l’était le patos offert à la déesse Héra argienne42. Avant toutes cérémonies auxquelles elles prenaient part, les seize femmes devaient accomplir des purifications «  avec un porc et de l’eau convenable à la purification. Ces cérémonies avaient lieu à la fontaine Piéra 43» qui se trouvait sur la route menant d’Olympie à Elis. Une telle cérémonie devait avoir lieu avant de commencer le tissage, de même la fête des Héraia, qui avait lieu tous les quatre ans et durant laquelle le péplos était remis à la déesse, commençait par ces purifications44. Nous ignorons dans quel ordre se déroulaient les cérémonies, cependant les courses de jeunes filles qui avaient lieu sur le stade olympique n’étaient pas ouvertes au public masculin alors que la procession, emmenant le péplos, et le sacrifice étaient publiques. Le plus probable était qu’après les cérémonies de purifications, se déroulaient les courses de jeunes filles puis les exécutions chorales et publiques du chœur d’Hippodamie45. Ensuite, prenait place la procession où se réunissaient les femmes, les enfants, les hommes et la fête se terminait par la remise du péplos, le sacrifice et le banquet. Les sources ne précisent pas si le vêtement revêtait l’idole divine ou s’il était déposé dans le trésor.

La fête des Héraia était une fête ancienne, formant, dans le premier quart du VIème av. J.C., un ensemble complexe, civique et initiatique dans lequel les seize femmes jouaient un rôle prépondérant46. Une version légendaire attribue à Hippodamie la création de la fête pour remercier la déesse d’avoir permis son union avec Pélops47. Cette histoire montre que la fête présentait un caractère féminin, dans un contexte prénuptial où femmes et filles se retrouvaient pour célébrer la déesse, chantant, dansant, peut-être courant. Les deux exemples observés précédemment montre que l’offrande d’un vêtement dans un culte féminin avait lieu à la même période à Sparte et Corinthe, avec des pratiques semblables, notamment les danses. L’offrande devait déjà avoir lieu lorsque la fête fut réorganisée et fut incorporée au schéma péplophorique plus grandiose, impliquant alors toute la cité. La fête des Héraia dut subir l’influence des jeux olympiques mais peut-être aussi celle de Sparte, puissante voisine de l’époque. Thomas Scanlon pense, en effet, qu’Elis a pu subir l’influence de Sparte au VIème av. J.C. et que les courses de jeunes filles furent modelées sur son exemple48, et il est possible que l’offrande du péplos fût réorganisée sur le modèle des Hyakinthies spartiates

Notes
38.

Cf. Infra Chapitre 5 (5-3 : La question du collège des seize femmes de l’Elide)

39.

Pausanias, V, 16, 5-7. A l’origine, elles étaient choisies chacune dans une tribu et lorsque les tribus passèrent de seize à huit, deux furent choisies dans chaque tribu.

40.

Pausanias, V, 16, 3. cf. Infra Chapitre 5 (1-1 : Syéris, la diaconos.)

41.

Pausanias, VI, 24, 10.

42.

P. Marchetti, Le nymphée de l’agora d’Argos, p. 234 n. 10 et 247.

43.

Pausanias, V, 16, 8 (éd. Belles Lettres, 1999, J. Pouilloux, A. Jacquemin, M. Casewitz) ; K. Clinton, « Pigs in Greek Rituals », p. 167-179 sur l’utilisation des porcs dans les rituels de purification.

44.

Pausanias, V, 16, 2 ; P. Marchetti, op. cit., p. 247.

45.

Le chœur d’Hippodamie se produisait durant les Héraia, alors que celui de Physcoa évoluait lors de la Triètéride du dieu Dionysos.

46.

A propos du culte d’Héra à Olympie, de nombreuses questions se posent. Son ancienneté et son importance ont été remises en cause. (cf. A. Moustaka, « On the Cult of Hera at Olympia », p. 199-205) Nous ignorons à quel moment le culte d’Héra fut véritablement introduit à Olympie (possiblement VII/VIème av. J.C.), ni quelle était véritablement son importance. Avant l’introduction de Zeus (XI/Xème av. J.C.), la présence d’une divinité féminine est attestée à Olympie puis l’arrivée du dieu éclipsa cette divinité féminine. L’Héraion date du VIème av. J.C., des questions se posent de savoir si dés l’origine il était consacré à Héra, ou à Zeus et Héra ensemble. Il semble qu’au temps de Pausanias le bâtiment sacré servait à entreposer les trésors (notamment les statues) et, au moins une fois par an, il était utilisé comme temple lors de la fête des Héraia. (cf. K. W. Arafat, « Pausanias and the Temple of Hera at Olympia », ABSA 90 (1995), p. 461-473) De même, l’existence de la prêtresse d’Héra est elle-aussi à remettre en cause, aucune source (littéraire, épigraphique) n’en fait mention. La réconciliation d’Elis et de Pise après la mort du tyran de Pise (-580) et les dispositions concernant la fête des Héraia par les deux communautés (entre autre l’instauration du collège) est vu comme une réorganisation d’une fête plus ancienne. cf. Daremberg et Saglio, DA, sv. Heraea, p. 77 ; P. Stengel, RE Heraia, 3, p. 416-418 ; Th. F. Scanlon, « The Footrace of the Heraia at Olympia », AW 9 (1984), p. 77-90 qui analyse les rapports entre les Héraia et les jeux olympiques, leurs origines et les influences mutuelles ; N. Serwint, « The Female Athletic Costume at the Heraia and Prenuptial Initiations Rites », AJA 97 (1993), p. 404-406.

47.

Pausanias, V, 16, 4.

48.

Th. F. Scanlon, AW 9 (1984), p. 85-87 ; N. Serwint, AJA 97 (1993), p. 406 estime au contraire que la fête comprenait dés l’origine les chœurs et les courses de jeunes filles.