A-4) Le péplos d’Athéna.

Le péplos était « l’offrande des jeunes Athéniennes à la déesse présidant aux activités de filage et de tissage qui étaient l’apanage des femmes dans la société grecque 55». Les parthénoi choisies tissaient le péplos en compagnie des gynaikes 56. Il était mis en chantier à la fête des Chalkeia, vers la fin du mois de pyanepsion en présence des prêtresses de Pandrosos et d’Athéna Polias et des arrhéphores 57. Il était offert à la statue d’Athéna se trouvant dans l’Erechthéion, sa représentation la plus sacrée et la plus vénérée58. C’était une longue robe en laine richement parée de broderies. De taille rectangulaire, il était de couleur jaune safran, couleur du vêtement féminin par excellence, avec du bleu et du pourpre59. Le sujet tissé était toujours le même : la lutte des géants et des divinités60. Cependant, les sources sont confuses et le fait que les Panathénées se dédoublaient tous les quatre ans complique la compréhension. Sa périodicité soulève des questions : était-il offert aux petites ou aux grandes Panathénées ? La plupart des sources évoquent la périodicité de quatre ans61 mais certaines le donnent pour annuel62. Harpocrate précise pour les grandes Panathénées « μεγάλοις παναθηναίοις » alors que la Scholie à Euripide parle des Panathénées « τοῖς παναθηναίοις » sans plus de précisions63. L’inscription IG II2 1060 mentionne que les Praxiergides recevaient « le péplos annuel 64» et IG II2 1034 donne une liste des ergastines en -103/2, année des petites Panathénées65. Les commentateurs sont partagés entre ceux qui estiment qu’il était annuel66 et ceux qui pensent qu’il était remis tous les quatre ans67. Parmi ceux qui estiment que le péplos était annuel, deux principales théories ont été élaborées : J. Mansfield estime qu’il y avait deux péploi: l’un annuel tissé par les ergastines avec le concours des gynaikes ; et un autre supplémentaire lors des grandes Panathénées confectionné par les hommes artisans, pour remercier leur déesse tutélaire Athéna, protectrice des travaux manuels68. J. Shear suggère que le péplos annuel était une innovation de l’époque hellénistique (vers 108/7 av. J.C., date du décret IG II2 1036, le premier décret retrouvé donnant une liste des ergastines)69. L’existence d’un péplos annuel est confirmée par les sources tardives, par les inscriptions de l’époque hellénistique, un fait sur lequel nous reviendrons. Cependant, l’existence d’une périodicité annuelle permet d’éclaircir de nombreux points. Le péplos était symboliquement mis en chantier lors de la fête annuelle des Chalkeia, or le symbolisme n’a de force que s’il a lieu une fois. De fait, si le péplos était offert tous les quatre ans, il s’agit de considérer que ce dernier était mis en chantier durant l’année des Panathénées70, mais aucune source ne précise ce fait. Si le péplos était annuel, la cérémonie devait alors se reproduire chaque année. Il s’agit aussi d’estimer la taille du péplos, il est difficile de concevoir que ce dernier fût de grande taille alors que le xoanon de la déesse auquel il était destiné était de petite taille, mobile. De plus, sur la frise des Panathénées (Fig. 3-4-7) le péplos est représenté comme une pièce de tissu rectangulaire de taille humaine. De fait, la durée de la confection ne devait pas excéder quelques mois, et une robe de taille modeste pouvait être tissée chaque année par les femmes et les filles. Le fait qu’il puisse être annuel permet de répondre à une autre question concernant les arrhéphores, quatre fillettes élues chaque année pour accomplir des charges différentes : deux effectuaient un rituel spécifique, et les deux autres participaient à la mise en chantier du péplos et à sa remise lors de la fête des Panathénées. Si le péplos était remis tous les quatre ans, il s’agit de considérer que deux des quatre filles étaient choisies durant l’année des grandes Panathénées et les deux autres chaque année, ce qu’aucune source ne mentionne. Ainsi, si aucune source à l’époque classique n’évoque les ergastines, les sources indiquent qu’à l’époque hellénistique, elles étaient désignées annuellement pour accomplir leur tâche.

Notes
55.

B. Holtzmann, L’Acropole d’Athènes, p. 238. Athéna est une divinité proche de tous les travaux manuels, elle fut la première tisseuse, confectionnant même un péplos pour Pandora (Hésiode, Théogonie, 573-575).

56.

Scholie à Euripide, Hécube, 467 qui parle « des parthénoi et téleiai gynaikes » ; Scholie à Aristide, Panathénaïque, XIII, 197, 8, évoquant simplement les parthénoi.

57.

Les neuf mois environs séparant les deux dates laissèrent penser à certains que cette confection s’apparentait à une gestation. Th. Hadzisteliou-Price, Kourotrophos, p. 102 ; E. B. Harrison, op. cit., p. 203. G. Donnay,« L’arrhéphorie : initiation ou rite civique? Un cas d’école », Kernos 10 (1997), p. 188 : les prêtresses seraient la Trapèzô et la Kosmô.

58.

La statue d’Athéna, dont la légende raconte qu’elle était tombée du ciel (Pausanias, I, 26, 5), était en bois d’olivier, c’était « un fétiche, un objet presque informe (…) qui acquit peu à peu une forme plus humaine » paré de divers accessoires (casque, égide, gorgoneion …) et bijoux (couronnes, boucles d’oreilles…) ( Inventaires de l’Acropole : IG II2 1424, 11-16 ; 1425, 307-312 ; 1426, 4-8 ; 1428, 142-146 ; J.H. Kroll, « The ancient image of Athena Polias », Hesperia supplement 20 (1982), p. 65-76 ; B.S. Ridgway, « Images of Athena on the Akropolis », p. 120-127; B. Holtzmann, op. cit., p. 222 et 243-244 pour la citation.). Il devait être de taille humaine, transportable, il fut emporté par les prêtresses lorsque les Perses arrivèrent en Grèce en -480 et que les Athéniens abandonnèrent la cité (Plutarque, Thémistocle, 10, 5-7 ; M. H. Jameson, « A Decree of Themistokles from Troizen », Hesperia 29 (1960), p 214 et 219). H.W. Parke, op. cit., p. 33 et 39 pensait qu’à l’origine le péplos avait une taille humaine et était offert au xoanon d’Athéna, puis plus tard il fut offert à la statue chryséléphantine et devint alors plus grand.

59.

E.W.J. Barber, op. cit., p. 115-116 estime que la frise du péplos tissé par les ergastines pouvait se présenter sous deux formes : soit des scènes successives dans une série de frises horizontales couvrant toute la largeur de l’habit ; soit une frise verticale le long du vêtement sur le devant, composée de plusieurs petits carrés représentant différentes scènes. La première méthode était la plus courante mais plus chère, la seconde pouvait être tissée plus vite. Elle pense que les deux styles pouvaient être utilisés alternativement. B. Holtzmann, op. cit., p. 238-239 pense que la frise couvrait peut-être simplement les bordures du péplos.

60.

Euripide, Hécube, v. 466-472 ; Platon, Eutyphron, 6 B-C ; Scholie à Euripide, Hécube, v. 468 et 472 ; Scholie à Aristide, Panathénaïque, XIII, 197. 8 (III, p. 343, G. Dindorff) ; E Ziehen, RE, Panathenaia, p. 460 ; F. Vian, op. cit., p. 251-254 ; H.W. Parke, op. cit., p. 38-39 ; J. H. Kroll, Hesperia supplement 20 (1982), p. 69-70 ; P. Brulé, La fille d’Athènes, p. 99 ; E.J.W. Barber, op. cit., p. 112-117 ; B. Holtzmann, op. cit., p. 238-239.

61.

Platon, Euthyphron, 6 b-c parlant de la « robe qui est emportée sur l’Acropole durant les grandes Panathénées » ; Aristote, Constitution d’Athènes, 60 (éd. Belles Lettre, G. Matthieu et B. Haussoulier) qui parle de la désignation par le sort tous les quatre ans des neufs archontes qui veillent entre autre sur « la fabrication du péplos » ; Plaute, Mercator, 66-70 (éd. Belles Lettres, 1956, A. Ernout) évoquant son héros qui «  ne pouvait venir en ville (…) qu’une fois tous les quatre ans » pour voir le péplos de la déesse.

62.

Diodore de Sicile, XX, 46, 2-3 : à propos de Démétrios et Antigone, il fut décidé « de tenir des jeux annuels en leur honneur avec une procession et un sacrifice, et de tisser leurs portraits sur le péplos d’Athéna chaque année ( Ἀθηνᾶς πέπλον κατ’ἐνιαυτόν)».

63.

Harpocrate, sv. Πέπλος ; Scholie à Euripide, Hécube, 467 ;  L. Deubner, op. cit., p 29-30 ; J.A. Davison, «Notes on the Panathenaea », JHS 78 (1958), p. 25 ; A. Brelich, op. cit., p. 319 ; P. Brulé, op. cit., p. 99 pensent que le terme seul « panathénaia » désigne les grandes Panathénées par opposition à la précision «  panathénaia ta mikra - petites Panathénées ».

64.

IG II2 1060, fr. b 1-4 (fin IIème av. J.C.) S.B. Aleshire et S.D. Lambert, ZPE 142 (2003), p. 71-73

65.

S.V. Tracy, Attic Letters-Cutters of 229-86 BC, p. 216-219 pour la datation ; S.B. Aleshire et S.D. Lambert, ZPE 142 (2003), p. 65.

66.

L.R. Farnell, Cults I, p. 296 ; F. Vian, op. cit., p. 278 ; Th. Hadzisteliou-Price, op. cit., p. 202 ; ; E. B. Harrison, op. cit., p. 202-203 ; J. Neils, « Pride, Pomp and Circumstances », p. 185 ; B. Holtzmann, op. cit., p. 328 ; S.B. Aleshire et S.D. Lambert, ZPE 142 (2003), p. 70-73.

67.

A. Mommsen, op. cit., p. 58 et 112 ; L. Deubner, op. cit., p. 30-31; J.A. Davison, JHS 78 (1958), p. 25 ; A. Brelich, op. cit., p. 321-322 ; H. W. Parke, op. cit., p. 33-34 et 40 estimant que le péplos était annuel à l’origine puis devint pentétérique au VIème av. J.C. ; J.H. Kroll, Hesperia supplement 20 (1982), p. 65 ; J.A. Turner, Hiereiai, p. 192 ; H. Ruhfel, Kinderleben, p. 98 ; P. Brulé, op. cit., p. 99-101 ; N. Robertson, GRBS 44 n° 2 (2004), p. 111-161 qui distingue entre un péplos quadriennal et un vêtement offert tous les deux ans lors de la fête des Kallyntéries, moment où le péplos de la déesse était lavé.

68.

J. Mansfield, The Robe of Athena and the Panathenaic Peplos, résumé dans E.W.J. Barber, « The Peplos of Athena », p. 112-117 qui suit son raisonnement comme B. Holtzmann, L’Acropole d’Athènes, p. 238-329 : les ergastines étaient désignées annuellement pour accomplir leur tâche, alors que tous les quatre ans, des artisans professionnels offraient à la cité un péplos plus grand, plus fastueux, superbe tapisserie exposée comme une voile sur le mât du navire. Les deux péploi partageaient une même imagerie, la lutte des géants, mais sa confection différait, le péplos des ergastines était peut-être plus limité. Et alors que ce dernier était offert au xoanon de la déesse, celui des hommes était peut-être exposé pendant un temps avant d’être remisé dans la péplothèque. E.W.J. Barber, p. 113 pense que l’offrande des hommes commença peut-être au Vème av. J.C. avec l’utilisation du Bateau.  

69.

J. Shear, Polis and Panathenaia, p. 97-103 ; S.B. Aleshire et S.D. Lambert, ZPE 142 (2003), p. 72 évoquent cette possibilité.

70.

L. Deubner, op. cit., p. 29-31 se basant sur la péplophorie d’Olympie.