C-4) Ergastines et arrhéphores.

J. D. Mikalson142 a émis l’hypothèse que les ergastines étaient une création du IIème av. J.C. Elles ne sont pas attestées dans les sources avant cette période. De fait, au vu de l’importance de la charge, c’est assez troublant. Lorsqu’il évoque les différentes charges accomplies par les jeunes athéniennes, Aristophane ne les mentionne pas : arrhéphores, alétrides, ourses, canéphores sont énumérées alors que la charge de tisser le péplos pour la déesse poliade est omise143. Cette absence concernant une charge d’une telle importance et qui impliquait un large groupe de parthénoi incite à considérer, en effet, la charge d’ergastine comme une création de l’époque hellénistique, répondant à un besoin social. L’institution nouvelle fut peut-être créée sous la pression des familles importantes et aisées qui désiraient voir plus de filles accéder aux fonctions religieuses, les mettre en valeur en les honorant par le biais d’un culte prestigieux et voir l’honneur rejaillir sur leur nom. C’était aussi un moyen pour les filles de participer à une forme de sociabilité féminine144 et pour la cité, en s’ouvrant plus largement, il s’agissait peut-être de faire perdurer ces valeurs, en les encadrant dans un rôle typiquement féminin. De fait, la création de la charge d’ergastine à l’époque hellénistique irait logiquement de concert avec l’instauration d’un péplos annuel à cette même période comme le suggère J. Shear145.

Ainsi, avant cette période, nous pouvons supposer que le péplos était quadriennal et était tissé par les femmes de la cité peut-être en compagnie de deux des arrhéphores, filles de citoyens, nobles et âgées entre 7 et 11 ans146. A l’époque hellénistique, la création de la charge d’ergastine entraîna des modifications. Lors de la fête des Chalkeia « fête ancienne et publique (…) qui avait lieu le dernier jour de pyanepsion, les arrhéphores posaient la trame du péplos  147». Ce dernier était symboliquement mis en chantier à cette date. C’était aussi les arrhéphores, qui, le jour des Panathénées, venaient remettre en tant que porteuses sacrées (ainsi que l’atteste leur étymologie en « -phoros ») le péplos nouveau à la déesse148. Avant la création de la charge d’ergastine, les arrhéphores devaient participer avec les téleiai gynaikes à la confection du péplos. Plusieurs éléments permettent de le penser : d’abord les sources mentionnent avec les gynaikes des parthénoi sans pour autant les nommer explicitement ergastines, ensuite les liens entre l’arrhéphorie et les filles de Kékrops. Les arrhéphores représentaient les Kékropides, or ces dernières avaient un lien essentiel avec le tissage : elles furent les premières tisseuses sacrées mais aussi les premières à parer les statues divines149. De fait, il est logique de penser que ce rôle de tisseuses sacrées fût dévolu à celles qui représentaient les héritières des princesses mythiques athéniennes. Le rôle des arrhéphores fut restreint par la suite et il est possible que la « mise en chantier du péplos » lors de la fête des Chalkeia fut aussi créée à cette période, rappelant l’ancien devoir des arrhéphores dans une volonté de ne pas rompre le lien et de diminuer l’importance d’un service parmi les plus anciens et essentiels de la cité. L’arrhéphorie était une charge honorifique, extrêmement importante, des dédicaces, faites principalement par des familles qui avaient reçu le droit d’élever une statue à leur enfant, permettent de mieux la cerner, nous étudierons cette charge dans le chapitre 2 lorsque nous aborderons l’arrhéphorie dans sa globalité et non pas seulement dans ses activités liées au péplos de la déesse.

Notes
142.

J.D. Mikalson, Religion of Hellenistic Athens, p. 255-256 ; J.B. Connelly, Portrait of a Priestess, p. 39.

143.

Aristophane, Lysistrata, v. 641-647.

144.

P. Brulé, La fille d’Athènes, p. 99-105.

145.

J. Shear, op. cit., p. 97-103.

146.

Cf. Infra Chapitre 2 (1-1, B-1 : Les arrhéphores d’Athéna Polias). Souda, sv. Ὑφῆς πέπλου qui renvoie à l’entrée ἀρρηνοφορεῖν pour signaler leur connexion. F. Vian, La guerre des géants, p. 252-253, p. 256 ; J. Neils, « Pride, Pomp and Circumstances », p. 185-186. ; G. Greco,« Des étoffes pour Héra », p. 195.

147.

Etymologycum Magnum, Χαλκεῖα et Souda, Χαλκεῖα.

148.

IG II2 1060, fr. a, 3-6  (fin IIème av. J.C.)(très fragmentée) faisait peut-être référence aux arrhéphores en mentionnant le péplos, une processionet une ou plusieurs personnes portant des vêtements blancs, le blanc étant la couleur des vêtements que portaient les arrhéphores durant leur charge. J. Mansfield, op. cit., p. 271 ; S.B. Aleshire et S.D. Lambert, « Making the Peplos for Athena : a New Edition of IG II2 1060 + IG II2 1036 », ZPE 142 (2003), p. 71 pensent qu’il s’agit soit des arrhéphores, soit des ergastines.

149.

Photius, sv. προτόνιον « Pandrosos fut avec ses sœurs la première à faire des vêtements de laine pour les hommes » et ailleurs Photius sv. Καλλυντήρια καὶ Πλυντήρια « (…) Agraulos fut la première prêtresse à avoir orner les divinités. »