2-5) Les jeunes filles d’Argos.

‘«  (…) Nymphe épouse de Poséidon, il ne convient pas que celles qui ont la charge de tisser le vêtement sacré (Πάτος, Patos) d’Héra, se tiennent debout devant les métiers à tisser avant qu’assises sur la pierre sacrée, que tu encercles, ne soit répandue sur leurs têtes ton eau. Vénérable Amymonè et aimable Physadeia, Hippè et Automatè, je vous salue, antiques demeures des nymphes, et coulez opulentes filles des Pelasges ». ’

Voici comment une notice de Callimaque159 nous informe que des Argiennes accomplissaient un service sacré de tissage pour la déesse Héra. La notice nous apprend qu’avant de commencer le tissage de la robe robe (Πάτος), comme à Olympie, elles devaient se purifier : de l’eau était répandue sur leurs têtes. Cette cérémonie avait lieu au nymphée urbain d’Amymonè, « l’épouse de Poséidon160 ». Or, ce nymphée était un sanctuaire des femmes et plus particulièrement des futures épouses. Le lien entre Amymonè la nymphe, son eau et les rites nuptiaux étaient forts. Cet acte de purification se situait dans un contexte nuptial et se présentait comme un rite de préparation symbolique au mariage161 . Les tisseuses étaient des jeunes filles, en âge de se marier162.

Le patos était remis lors de la fête des Héraia qui avait lieu tous les cinq ans en l’honneur d’Héra, divinité poliade de la cité163. Durant plusieurs jours, toute la cité argienne venait participer à la fête, assistant ou participant aux épreuves sportives, procédant aux sacrifices. Des rites secrets, accomplis par un collège féminin, commençaient la fête. Puis une procession rejoignait le temple, la prêtresse se trouvait sur un char traîné par des bœufs blancs164. Le sacrifice de nombreuses vaches et taureaux était suivi d’une distribution de viandes au peuple et d’un banquet. Les jours suivants avaient lieu les jeux, les hommes se produisaient dans des concours gymniques et des courses. Les jeunes filles participaient à des chœurs en l’honneur de la déesse. La fête des Héraia était la grande fête civique de la cité : ce caractère politique, son déroulement et sa signification rappelaient les fêtes de Sparte, d’Athènes et d’Olympie, où des cérémonies de remise de péplos avait lieu. Les correspondances entre Olympie et Argos – purifications avant de commencer le travail, présence dans le culte d’un collège féminin, chœurs et processions de jeunes filles – incitent à considérer des interactions à une époque entre les deux cultes, probablement à la suite de la réorganisation des Héraia olympiennes. La fête argienne fut peut-être modelée au VIème av. J.C. sur le même rythme que celui d’Olympie pour acquérir plus de prestige. Cependant, le culte d’Héra à Argos étant ancien, une offrande de vêtement à la déesse devait sûrement déjà exister à une époque antérieure. De plus, le lien mis en évidence par Giovanna Greco entre Héra et le tissage permet de considérer que cette pratique existait ailleurs pour cette déesse. Le patos était remis à la statue en bois de Poirier de la déesse Héra qui se trouvait dans l’Héraion 165. Plutarque mentionne un rituel argien, appelé endymatia, évoquant l’acte de vêtir, d’habiller. Cette cérémonie devait se référer au patos d’Héra166. Elle avait peut-être lieu lors de la fête des Héraia ou quelques jours après.

Il existait une autre cérémonie concernant le patos, en rapport avec le lavage de celui-ci et à laquelle participaient les hèrésides, des jeunes filles nobles d’Argos. De fait, il est vraisemblable de penser que comme les autres tisseuses sacrées, mais aussi leurs compagnes argiennes qui accomplissaient des tâches sacrées pour Héra (hèrésides) et Athéna (lotrochooi), elles étaient elles aussi des eugéneis, issues des meilleures familles d’Argos.

Notes
159.

Callimaque, Fr. 66 (Pfeiffer) et FGrHist 305 F4 qui reprend v. 3 du Fr. 66 de Callimaque ; Hésychius, sv. Πάτος dit qu’il s’agissait d’un vêtement pour Héra « ἕνδυμα τῆς Ἥρας ». G. Gréco, « Des étoffes pour Héra », p. 185-198 analysant les informations sur les différents cultes d’Héra, note que de nombreux pesons furent découverts dans l’Héraion du Sélé qu’elle met en relation avec l’activité de tissage et constate qu’en différents temples d’Héra furent découverts de semblables fragments (pesons en terre cuite, bobines, pommeaux de fuseau). Giovanna Gréco note qu’à Argos même, furent retrouvées 227 bobines « qui ne doivent pas être interprétées comme de simples offrandes votives, mais qui sont l’indice d’une grande activité de tissage » (p. 196).

160.

Voir note Callimaque v. 2 Fr. 66 (Pfeiffer p. 69) ; P. Marchetti, Le nymphée de l’agora d’Argos, p. 234 n. 11 qui estime que ce nymphée devait être de forme circulaire, rappelant la geste d’Amymonè qui poursuivie par Poséidon aurait fait le tour du rocher, et que les eaux devaient entourer ce rocher.

161.

P. Marchetti, op. cit., p. 234 à 248 établit ce lien entre le nymphée d’Amymoné et le mariage. Le nymphée était une fontaine monumentale qui faisait partie du projet de restructuration de l’espace de l’agora entrepris au Ier et IIème ap. J.C., mais le nymphée ne fut pas construit à cette période, il fut reconstruit sur un édifice antérieur. Une crypte souterraine se trouvait en dessous.

162.

S. Bettinetti, La statua di culto nella pratica rituale greca, p. 138 ; P. Marchetti, op. cit., p. 241.

163.

Daremberg et Saglio, DA, sv.Heraea, p 76-77. R.L. Farnell, Cults I, p. 187-188 ; W. Burkert, Homo Necans, p. 201 (éd. Fr.). Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, XXI, 2, qui, évoquant la fête d’Héra à Falerri, indique que celle-ci se déroulait selon le modèle argien

164.

Hérodote I, 31.

165.

Celle la même dont les Proétides, filles du roi Proétos s’étaient moquées, provoquant la colère de la déesse (Apollodore, II, II, 2 ; Bacchylide, Epinicie, X)

166.

Plutarque, Œuvres Morales, 1134 C ; S. Bettinetti, op. cit., p. 155 le relie au culte d’Athéna à Argos et aux gérarades. cf. Infra Chapitre 1 (3-2 : Les Hèrésides à Argos).