3-1) Les hèrésides à Argos.

Elles « s’approvisionnent en eau à la source H[ippeion], ces jeunes filles que l’on appelle hèrésides (ἡρεσίδες) et qui portent l’eau lustrale à Héra Akraia 175». Elles sont les « jeunes filles (parthénoi) qui apportent l’eau du bain à Héra176 », les « prêtresses sacrées d’Héra à Argos, d’où leur appellation, et appelées aussi arysitides (ἀρυσίτιδες) car elles puisent l’eau lustrale 177». Nous ignorons combien de jeunes filles composaient le groupe des hèrésides, mais nous pouvons considérer que, comme pour les autres jeunes filles argiennes participant aux services religieux civiques, elles faisaient partie des meilleures familles de la cité. Nous ne savons rien du rite auquel elles participaient, cependant le fait qu’elles allaient chercher l’eau lustrale tendrait à prouver que la statue était baignée dans un lieu à l’intérieur du sanctuaire. Ce n’était pas un rite d’immersion178. Il semble qu’elles ne lavaient pas elles-mêmes la statue mais apportaient simplement l’eau lustrale à une tierce personne. Elles faisaient acte de loutrophorie, ce qui les plaçait dans un contexte nuptial179, permettant de mieux cerner leur statut. Le fait de servir Héra, la déesse du mariage, et d’aller chercher l’eau à la source Hippè, l’une des Danaïdes, marque le caractère de la jeune fille en âge de se marier mais encore indomptée et qui refuse cette union. Elle est l’image de la « jeune fille en cavale », comme un cheval sauvage dont son nom tire sa signification180. Le fait d’utiliser cette eau devait répondre à un symbolisme : l’eau de « la jeune fille en cavale » pour faire acte de loutrophorie, conduisant au mariage, marquait l’inversion. C’était une façon de conjurer cet état. Les hèrésides étaient des jeunes filles matures, en âge de se marier. Elles participaient à un rituel qui ne visait pas seulement à régénérer la puissance magique de la déesse, mais aussi à les préparer à leur future condition d’épouse181.

Notes
175.

Callimaque, Fr. 65 (Pfeiffer) + Commentaire, d’après les écrits d’Agias et Derkylos. « ὑ[δρεύονται ἐ]κ μὲν τοῦ Ἱ[ππείου παρ]θένο[ι αἱ] καλοῦνται  Ἡρεσίδες καὶ φ[έροντι τὰ] λοετρὰ τ[ᾷ Ἥρᾷ τᾷ] Ἀκρεί[ᾳ] ». Pfeiffer corrige la lecture Ἡ[ραίου] proposé par Vogliano en Ἱ[ππείου]. Il est suivi par P. Marchetti, Le nymphée de l’agora d’Argos, p. 235 et M-F. Billot, « Recherches archéologiques récentes à l’Héraion d’Argos », p. 47. P. Marchetti juge logiquement n. 21 qu’il ne peut s’agir que de l’un des quatre nymphées argiens étant donné que deux d’entre eux sont déjà nommés dans ce fragment (Physadeia et Automatè) et en rapport avec l’utilisation de leurs eaux. Ces quatre nymphées sont cités dans le Fr. 66 (Cf. Tisseuses sacrées d’Argos) : Hippè citée avec Physadeia, Automatè et Amymonè. Voir FGrHist 305 F 4 qui donne la lecture Ἡ[ραίου] et F. Jacoby, Kommentaar, Tome III, B, F 4, p. 21-22 qui pense que le lieu mentionné se rapporte à l’Héraion d’Akraia.

176.

Hésychius, sv. Ἡρεσίδες.

177.

Etymologicum Magnum, sv. Ἡρεσίδες.

178.

R. Ginouvés, Balaneutikè, p. 289 ; M-F. Billot, op. cit., p. 47.

179.

A.-M. Vérilhac et C. Vial, « Le mariage grec du VIème av. J.C. à l’époque d’Auguste », BCH Supplément 32, p. 293-295 ; V. Pirenne-Delforge, « La loutrophorie et la prêtresse loutrophore de Sicyone », BCH Supplément 28 (1994), p. 148-149 sur les liens entre loutrophorie et mariage.

180.

P. Brulé, La fille d’Athènes, p. 306-307 rapproche Hippè des Leucippides et des Proétides, symboles des jeunes filles en cavale. D’ailleurs, dans l’une de leurs histoires, les Proétides sont rendues folles par Héra, et se mettent à errer dans la nature. L’histoire se termine par leur guérison symbolisée par leur mariage. (Bacchylide, Epinicie, X ; Apollodore II, II, 2).

181.

R. Ginouvés, op. cit., p. 289 n. 1 voyait un lien avec le mythe de la déesse Héra qui allait chaque année se baigner dans la source Canathos à Nauplie, pour retrouver sa virginité avant son mariage avec Zeus (Pausanias, II, 18, 3). Il estimait qu’il s’agissait d’un bain post nuptial. Contra : A. Avagianou, Sacred Mariage, p. 36-39 qui établit un lien avec le collège féminin évoqué par Pausanias (II, 17, 1) qui serait les hèrésides, allant chercher de l’eau à la source eleuthérion hydor pour le bain prénuptial d’Héra.