D-2) Les porteuses sacrées sous l’ombre de la canéphore.

La porteuse sacrée transportait lors des processions les objets sacrés ou les offrandes à une tierce personne qui effectuait le rite. La fonction regroupait sous une même activité différentes appellations. De manière générale, ces services étaient ainsi dénommées : le terme désignant le contenant - la corbeille - ou plus rarement le contenu – objets ou autres-, associé au terme « –phoros » qui signifie porteur / porteuse. La porteuse était définie comme canéphore « porteuse de kanoun », liknophore « porteuse de liknon », arrhéphore « porteuse de l’arrichos »…. Les services liés à cette fonction étaient nombreux et diversifiés. Dans les processions publiques, les filles pouvaient être hiéraphores (Ἱεραφόροι) porteuses d’objets sacrés, thallophores (Θαλλοφόροι) porteuses de branches, hydrophores ou hygrophores (Ὑδροφόροι, Ὑγροφόροι) apportant l’eau pour le sacrifice et les lustrations ou bien choéphores (Χοηφόροι) portant libations et offrandes…. Si généralement, la porteuse sacrée était choisie pour une durée limitée à la cérémonie à laquelle elle allait participer, en certains cultes elle était désignée pour une durée plus longue ; ainsi des canéphores à Délos pour Isis et Hagnè Aphrodite, pour Asclépios à Athènes lors des Epidauria, choisies pour un an633. Elles étaient généralement une parente du prêtre en charge du culte. Leur rôle ne différait pas de celle des autres canéphores, participant aux processions en l’honneur des divinités, portant le kanoun sur leurs têtes634. Toutefois, certaines porteuses sacrées, désignées annuellement, assumaient des charges de prêtresses, ainsi des hydrophores d’Artémis à Milet et de la loutrophore d’Aphrodite à Sicyone. Leur rôle au sein du sanctuaire dépassait le simple cadre de la porteuse sacrée, elles seront abordées au cours de la seconde partie de l’étude.

Parmi tous les services de porteuses sacrées auxquels les filles pouvaient prétendre, la charge la plus prestigieuse était celle de canéphore. Ces dernières étaient « les jeunes filles de haute naissance (He, Pho635) qui portaient les corbeilles ( κανά ) sur leurs têtes lors des processions (So, Ha) » et notamment « pour Athéna aux Panathénées (He, Pho, So, Ha) ». Dans ces kana, était déposé  « ce qui était utile au sacrifice (Ha). ». Le kanoun était en général une sorte de corbeille plate, large, parfois semblable à un plateau avec trois branches mais il pouvait prendre d’autres formes. Il est communément admis qu’il contenait le stemma (ruban) pour orner l’animal sacrifié, le grain qui était versé sur ce dernier et le couteau servant à la mise à mort. Mais certains kana contenaient aussi des offrandes636. Sur ces « porteuses de kanoun », et particulièrement à Athènes, nous possédons de nombreuses informations, ce qui n’est pas le cas pour les autres porteuses sacrées.

La canéphorie était l’une des charges les plus courantes et estimées de la Grèce ancienne637. Il y avait des canéphores dans tout le monde Grec, dans toutes les fêtes et cérémonies religieuses. Ainsi pour Héra à Argos, lors des Hyakinthies de Sparte, à Ephèse pour la fête d’Artémis, en Thessalie, mais aussi en Egypte où des filles macédoniennes occupèrent la fonction aux Alexandria au IIIème av. J.C., …638 Cependant, c’est principalement pour la cité d’Athènes que nous avons le plus d’informations. Les sources font même de la cité Attique le lieu d’origine de la charge, et d’Athéna, la première divinité honorée par les canéphores. En effet, selon les sources, Erichtonios, devenu roi, avait « fondé les petites Panathénées 639 » et « fut le premier à faire porter aux filles les corbeilles (Ha, So) ». De fait, c’était cette fête que les sources littéraires évoquaient plus communément tant il est vrai qu’à cette occasion, la charge revêtait une forme de magnificence qui marquait les esprits mais présentait aussi un sens particulier pour les filles qui accomplissaient le service, ainsi que nous le verrons. Cependant, les parthénoi servaient aussi à l’occasion d’autres fêtes, ainsi il y avait des canéphores pour Artémis aux Brauronies, aux Epidauria pour Asclépios, pour Déméter lors des Eleusinia, pour Dionysos lors des grandes et petites Dionysia, aux Anthestéries 640 . C’est donc en suivant cette origine attique que nous allons étudier les canéphores, à travers les mythes, les témoignages épigraphiques qui nous sont parvenus, leurs représentations iconographiques, leur présence aux Panathénées mais aussi le sens que nous pouvons donner à toutes ces informations pour comprendre cette charge, et à travers elle, les porteuses sacrées dans leur ensemble.

Notes
633.

S. B. Aleshire, The Athenian Asklepion, p. 91.

634.

P. Roussel, Délos colonie Athénienne , p. 251, 262 et 267 ; S.B. Aleschire, The Athenian Asklepion, p. 90-92. Rien n’indique qu’elles participaient au culte de la divinité comme assistantes, la servant au quotidien ; J. D. Mikalson, Religion of Hellenistic Athens, p. 102, 230, 233, 293-294, 312.

635.

Harpocrate, sv. ΚανηφόροιHa

Hésychius, sv. ΚανηφόροιHe

Photius, sv. ΚανηφόροιPho

Souda, sv. ΚανηφόροιSo

636.

Κανεόυ, -ου ; κάνεον, -ουν ; au pl. κάνεα ; κανά. On rencontre les formes contractées κανοῧν ; κανά en Attique. Cf. Photius, sv Κανοῦν (petite corbeille). L’étymologie du terme est rattaché au verbe καίνω (kaino) (tuer) : Hesychius, sv. Κανεῖν (tuer) ; Souda, sv. Κανοῦν « … les corbeilles, sur lesquelles on déposait les prémices de toutes choses. » J. Schelp, Das Kanoun, qui a recensé et dessiné une centaine de kana et estime p. 21-25 que le kanoun ne contenait que l’orge et le couteau sacrificiel. F.T. Van Stratten, Hiera Kalà, p. 10-12 et p. 162-164 : la corbeille consacrée pouvait être un plateau où l’on mettait les différents éléments qui avaient rapports avec le sacrifice (offrandes, gâteaux, récipients). P. Bonnechère, « La machaira était dissimulée dans le kanoun, quelques interrogations », REA 1999(101), p. 21-35 qui remet en question ce fait estimant que nulle source ne permet d’affirmer avec certitude que la machaira, soit le couteau sacrificiel, se trouvait véritablement dans le kanoun lors de la procession. Il pense que celui-ci était en réalité déposé dans la corbeille après la procession devant l’autel. Il estime que le kanoun pouvait contenir de la nourriture. D’après certains auteurs anciens (Héliodore, Ethiopiques, III, 2, -2) le kanoun servait à transporter des gâteaux, des fleurs.

637.

Elle était si évidente que lorsque Aristophane parodie des processions, la canéphore est toujours présente. Ainsi, dans « Les Acharniens », Dicéopolis improvise une procession familiale sur le modèle de la procession civique des petites Dionysia. Sa fille, bellement vêtue et portant des bijoux d’or, joue le rôle de canéphore : « Allons, ma fille, fais en sorte de porter la corbeille gentille comme tu es, gentiment, les yeux baissés comme en mangeant de la salade (…) » (253-254, éd. Belles Lettres, 1923, V. Coulon, H. van Daele).

638.

Mittelhauss, Re Kanephoroi, p. 1865-1866 ; Héra (Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, XXI, 2 évoquant le fait que la fête d’Héra à Argos se déroulait sur le même mode que celle de Faléries : « Le rituel des sacrifices y était le même, des femmes consacrées étaient au service du sanctuaire, une enfant appelée canéphore – pure de toute union (hagné gamon) – accomplissait les rites préliminaires aux sacrifices» (éd. Belles Lettres, 1998, V. Fromentin)) ; Ephèse (Xénophon d’Ephèse, Les Ephésiaques, I, II, 4 : « on voyait défiler le cortège, en tête les objets sacrés, les torches, les kana, l’encens » (éd. Belles Lettres, 1962, G. Dalmeyda)) ; Thessalie (Héliodore, Ethiopiques, III, 2, 2) ; Egypte lors des Alexandria (Bérénikè, fille d’Adaios (A.B. Tataki, Macedonians, n° 25 p. 280) ; Bilistikè, fille de Philon et maîtresse de Ptolémée Philadelphe, deux fois victorieuse aux jeux olympiques (-268, -264) (A.B. Tataki, op. cit., n° 32 p. 281).

639.

Scholie à Aristide, Panathénaïque, XIII, 189. 4 (III, p. 323 éd. G. Dindorff) ; Hygin, Astronomie, II, 13, 2.

640.

Artémis Brauron (Scholie à Théocrite, II, 66 ; Wernicke, RE Arkteia, p. 1171; L. Deubner, Attische feste, p. 208 ; T. Linders, Studies in the Treasure Records of Artemis Brauronia found in Athens, p. 1514 l. 29-30) ; Asclépios ( IG II2 3457) ; Déméter (IG II2 3554) ; Dionysos (Scholie à Aristophane, Les Acharniens, 242 ; L. Deubner, op. cit., p. 102, 135, 142).