B- 1) L’activité de course.

Vers la fin de l’époque hellénistique et surtout durant la période romaine, l’exercice de la course féminine déborda largement le cadre rituel, de nombreux concours (Jeux Pythiens, Isthmiens, Néméens, Sicyoniens, Sébasteia athéniennes, Epidauria,…) s’ouvrirent aux filles778.

Développant un idéal agonistique semblable à celui des jeux masculins qui leur servaient de modèles, ces jeux n’avaient pas de rapport avec les pratiques de courses rituelles telles que nous les avons observées. Les jeunes filles qui y participaient n’assumaient pas de charges religieuses et leur course ne traduisait pas un changement de statut comme c’était le cas pour les nébai, les ourses, les parthénoi d’Olympie….

La course était un acte sacré relevant des pratiques initiatiques. Plusieurs éléments le démontre : les courses présentaient toutes un caractère local, seules les filles de la cité pouvaient y participer. Aucun homme n’assistait aux courses rituelles, même à Sparte. L’espace sacré de course était un territoire féminin. Et même si la notion agonistique était présente, elle n’était pas essentielle, et hors d’Olympie (où les jeux masculins influencèrent probablement la pratique), les filles ne dédiaient pas de statues à leur gloire mais témoignaient simplement qu’elles avaient accompli le service par des offrandes comme les nébai.

Cette initiation se doublait d’un rituel de passage, la course marquait une transition. L’acte de courir traduit bien cette séparation d’avec un état antérieur, ce cheminement qu’implique le passage. Plus exactement, la course le matérialise, permettant de le visualiser de façon concrète. Courir c’est se déplacer d’un lieu à l’autre, et lorsque l’on court on laisse quelque chose derrière soi. Il n’y a pas de retour possible. Ainsi, partant d’un point originel, sans se retourner, le plus rapidement possible, la jeune fille atteignait l’arrivée. Par cet effort physique, elle abandonnait sa condition antérieure pour accéder à celle à laquelle elle aspirait de par son âge et/ou sa biologie. C’était « un accomplissement personnel et collectif précédant le changement de statut»779.

La composition des groupes de coureuses était faite sur le même mode que celle du choeur, et parfois se confondait. En effet, souvent les deux pratiques étaient liées. La danse témoignait du changement que la course avait produit, elle complétait la transition de façon logique. La danse apprenait à discipliner le corps, son exécution montrait la maîtrise corporelle. Soit la course et la danse étaient incluses dans le rituel (ourses, courses pour Hélène à Sparte), soit le rituel de course s’associait à un rituel choral lors de deux cérémonies différentes (à Argos, course pour Héra Antheia et chœur des anthesphores). Toutes les filles n’effectuaient pas le service, seul un panel représentatif d’une classe d’âge - où se retrouvaient les filles choisies parmi les meilleures familles, nobles et/ou riches - était choisi. La course concernait soit des parthénoi non matures, non encore initiées socialement, soit des parthénoi matures prêtes physiquement et socialement à entrer dans l’âge adulte via le mariage :

  1. Les courses accomplies par des jeunes filles en train d’acquérir la beauté, matures ou non, en dehors de l’espace de la cité mais indirectement lié à elle comme les ourses.
  2. Les courses accomplies par des jeunes filles, matures, qui marquaient l’acquisition de la beauté, à l’intérieur de la cité ou en dehors de l’espace de la cité mais indirectement lié à elle  comme les parthénoi spartiates, celles d’Olympie, celles d’Argos pour Athéna et Héra, les nébai de Macédoine, les néai de Thessalie.

Nous pourrions alors considérer que la course se retrouvait aux deux pôles du temps initiatique pour les jeunes filles marquant leur passage d’un statut à l’autre : la puberté et le mariage. Mais ce serait omettre le peu d’informations que nous avons sur les autres services marquant l’approche de la puberté pour les filles et précisément le fait qu’aucun rituel de course, hors celui des ourses, n’est assuré. La course était liée à la notion de mariage. Elle consacrait la fille à celui-ci, en lui conférant les qualités de la beauté. Or le service des ourses a précisément trait au mariage : dans l’imaginaire collectif, il marque une rupture que la fille doit faire pour devenir femme et être apte à se marier. Il nous faut noter le cas particulier athénien car, à part ce service, les parthénoi athéniennes ne connaissaient pas d’autres charges en relation avec les pratiques chorales et les pratiques de courses. En dehors des ourses, les parthénoi athéniennes ne se retrouvaient pas entre elles pour chanter et danser (j’excepte le chœur mixte de la géranos) et encore moins courir. Par contre comme nous l’avions observé dans le chapitre précédent, elles assistaient et participaient aux différentes tâches sacrées en rapport avec la domesticité : alétrides, ergastines, loutrides, services sacrés que nous retrouvons le plus souvent accomplis par les femmes dans les autres cités. Les parthénoi athéniennes en âge de se marier connaissaient donc une expérience différente des autres filles du même âge lesquelles, véritablement à l’approche de l’âge du mariage, participaient à des rituels de courses et/ou à des pratiques chorales. Les divinités qui les assistaient dans cette épreuve étaient principalement des divinités de la sexualité adulte (Héra, Déméter, Dionysos), des héroïnes sexuées (Hélène) ou des divinités et héroïnes dont le statut oscillait entre parthénos et nymphè (Korè, Leucippides).

Notes
778.

P.A. Bernardini, « Le donne e la pratica della corsa », p. 153 et 172 -177 ; A. Bielman, Femmes en public à l’époque hellénistique, p. 262-267. Des athlètes féminines virent le jour dont les trois sœurs constituent la meilleure évocation : Tryphosa, Hédèa, Dionysia, filles d’Hermesianax de Tralles d’Asie Mineure participèrent pendant seize ans à tous les concours ouverts aux filles de l’époque (Jeux Pythiques, Isthmiques, Néméens, Pythiques de Sicyone, Sébasteia d’Athènes, Asclépia d’Epidaure) et remportèrent prés d’une cinquantaine épreuves à elles trois, dans de prestigieuse épreuves sportives et musicales (SIG 3 802 , 40/50 ap. J.C.). Jusque là, les sites où les femmes couraient étaient limités et étaient à mettre en rapport avec une pratique cultuelle. Mais si les femmes ne pouvaient assister physiquement aux épreuves, les femmes fortunées pouvaient participer aux jeux en tant que propriétaires d’un attelage mais non comme athlètes : ainsi Kyniska, sœur d’Agésilas II, victorieuse aux jeux olympiques (-396/392). (Plutarque, Agésilas, 20, 1 ; Pausanias, III, 8, 1).

779.

Th. F. Scanlon, « The Footrace of the Heraia at Olympia », AW 9 (1984), p. 84 et 90 ; R. Frasca, L’agonale nell’educazione della donna greca, p. 70 : La course était « une célébration rituelle à travers l’expression corporelle à finalité initiatique structurée entre agon et exhibition » ; M. Hatzopoulos, Cultes et rites de passages en Macédoine, p. 32 « la course dans la Grèce antique constitue le rite de passage marquant la sortie d’une classe d’âge » ; P. Marchetti, Le nymphée de l’agora d’Argos, p. 228 ; N. Bernard, Femmes et sociétés dans la Grèce classique, p. 38 pour la citation.