C-1) L’espace processionnel.

La procession780 « Πομπή », du verbe πομπεύειν signifiant « conduire – accompagner » désignait le cortège, plus ou moins important, dans lequel prenaient place les différents membres de la communauté pour aller faire offrande et sacrifice aux divinités, suivant un parcours établi et considéré comme sacré. La procession civique était un spectacle vivant dans lequel la cité se mettait en scène selon une chorégraphie élaborée. Ceux qui la composaient étaient séparés des autres membres de la cité, spectateurs joyeux et admiratifs, par une frontière imaginaire. Conscients de l’importance de leur charge et de l’honneur qui leur était fait, ils avançaient d’un pas solennel, beaux, majestueux dans leurs vêtements de fêtes, arborant parures ou couronnes. Moment festif, la procession était une réaffirmation des valeurs de la cité, une « réappropriation symbolique de l’espace de la cité de la part de la cité781 » où tous communiaient - même ceux qui étaient exclus du cortège – dans une démonstration de magnificence et de puissance des forces vives de la communauté. La cité affichait sa cohésion mais aussi ses différences. Au sein de ce tableau idéalisé, chacun avait un rôle et une place assignés selon sa valeur et son statut social. Ainsi, les filles de citoyens, issues des meilleures familles, se voyaient attribuer les charges les plus prestigieuses (canéphores). Et, lors de la procession de Panathénées athéniennes, les filles des métèques officiaient en tant qu’assistantes des canéphores, portant ombrelles et chaises pour elles. Citoyens, magistrats, prêtres et officiels, éphèbes, vieillards honorables … étaient mis en valeurs. La procession renvoyait l’image de sa société, une société voulue idéale, où les meilleurs étaient honorés, où la supériorité du citoyen était affirmée.

La plupart des jeunes filles assumaient la charge de porteuse sacrée, dont la canéphore était la plus représentative et la plus prestigieuse, mais il était possible aussi que la procession ne consistât qu’en un simple défilé comme lors des Hyakinthies spartiates mais les parthénoi sur leurs kannathra transportaient peut-être le péplos qui allait être remis à Apollon Amycléen.

Il n’est pas possible de dégager des espaces topographiques pour l’espace processionnel car ce dernier était toujours connecté à l’espace civique, même lorsque la procession quittait la cité pour rejoindre un lieu situé extra-muros comme lors de la procession des Hyakinthies, de celle de Patrai ou de celle pour Artémis Daitis à Ephèse. Intimement liée à ses valeurs cultuelles et culturelles, la procession marquait le territoire de la cité : se composant des membres reconnus comme faisant partie de la communauté, elle était un condensé de celle-ci. De fait, la procession ne pouvait quitter l’espace civique puisqu’elle était elle-même un espace civique. En conséquence, ceux et celles qui participaient à la procession étaient considérés comme membres de la communauté et à ce titre la procession servait de cadre de présentation et d’intégration pour les nouveaux membres des deux sexes. Ces derniers achevaient ainsi leur cycle initiatique dans une « montre général des classes d’âges »782, associant à ceux qui avaient fait et ceux qui faisaient la cité, ceux qui composaient son futur, comme un signe de sa continuité à travers le temps. Cette présentation se doublait d’un contexte prénuptial où l’espace processionnel servait, comme dans l’espace choral, de lieu de rencontres.

En effet, de façon générale, la procession était accomplie par des parthénoi matures, considérées comme belles, en âge de se marier à l’exception de celle des arrhéphoresd’Athéna Polias qui concernaient des jeunes filles non encore matures. Cependant, les processions qu’elles réalisaient (lors du rituel secret et à l’occasion des Panathénées) s’inscrivaient dans ce cadre intégratif et présentatif. En effet, les rituels processionnels accomplis par les arrhéphores étaient en relation avec les valeurs de la cité. Elles connaissaient une initiation civique qui les mettait en relation avec l’un des mythes fondateurs de la cité qui parallèlement marquait un moment de crise pour elle. En reconduisant ce mythe, en réalisant l’épreuve que leurs modèles mythiques n’avaient pas réussi, les arrhéphores se désignaient comme leurs héritières et comme membres à part entière de la communauté. La procession des Panathénées où elles venaient offrir le péplos nouveau à Athéna reconduisait le lien civique entre la communauté et la déesse. Leur participation démontrait publiquement leur appartenance à cette communauté, la procession des Panathénées était la contrepartie publique de la procession arrhéphorique secrète dans la réalisation du pacte civique. De plus, la charge n’était pas complètement hors du contexte amoureux puisque, selon une ancienne version, la fille du tyran fut embrassée alors qu’elle était arrhéphore dans la procession des Panathénées, canéphore pour les autres.

Coïncidant logiquement avec leur statut de filles à marier, certaines processions étaient connectées avec l’espace choral, le cortège étant identifié comme un chœur processionnel (les anthesphores, les jeunes filles aux Héraia argiennes) ou simplement associé à un exercice choral (jeunes gens de Patrai, parthénoi de Sparte aux Hyakinthies, parthénoi athéniennes aux Panathénées) parachevant le rituel ou au contraire l’introduisant.

Ainsi, ces services que les filles accomplissaient lors de la procession témoignaient de leur statut social devant tous et les faisaient reconnaître comme membre à part entière de la cité, et les plaçaient aussi dans un statut sexuel adulte où, sous le regard des hommes, elles se présentaient comme prête à se marier et à entrer définitivement dans l’âge adulte.

Notes
780.

Sur la procession civique cf. F. Van Stratten, Hierà Kalà,; F. Graf, « Pompai in Greece, Some Considerations bout Space and Ritual in the Greek Polis », p. 55-65; J. Gebauer, « Pompe und Thysia » (Compte-rendu de G. Ekroth, « Revue des Livres », Kernos Supplément 19 (2006), p. 474-478) ; J. Mylonopoulos, Kernos Supplément 16 (2006), p. 103-109.

781.

L.B. Zaidman, et P. Schmitt Pantel, La religion grecque dans les cités à l’époque classique, p. 105.

782.

Cl. Calame, op. cit.., I, p. 220 ; P. Brulé, « Fêtes grecques, périodicité et initiations : Hyakinthies et Panathénées »p. 31 pour la citation.