A-2) Le corps comme moyen d’expression

Durant cette période de transition, où la fille devenue pubère se développait physiquement pour devenir femme, son corps exprimait son statut. Il servait de support aux différents insignes - vêtements, nudité, bijoux, maquillage, coiffures783, objets sacrés portés en procession - qu’elle arborait durant son service sacré. Ces insignes avaient une signification religieuse propre à la divinité concernée : ainsi de la crocote pour les ourses de Brauron, du chiton des jeunes coureuses d’Héra à Olympie, des fleurs pour Héra Antheia, du thyrse brandit par les jeunes filles pour Dionysos, ou encore à Patrai où le changement de couronnes les faisaient passer d’Artémis à Dionysos… Parfois, ainsi que nous l’avons vu avec Antheia à Ephèse, la vêture allait jusqu’à la personnification de la divinité, une façon de l’honorer et de la célébrer784. La fille arborait ainsi, en général, les signes de sa condition qui permettaient de la distinguer. En même temps, son corps, ainsi apprêté, ne restait pas figé mais se mouvait selon les différentes pratiques auxquelles on le soumettait : course, danse, marche. La parthénos semblait être toujours en mouvement.

Parmi les services que nous avons considérés, il nous faut d’abord observer que les parthénoi matures, ayant acquis la beauté, arboraient toujours des vêtements de fêtes, des robes et des manteaux de qualité, de belles tenues confectionnées peut-être par leurs soins pour démontrer leur habilité dans cet art féminin. Elles portaient des bijoux, leurs cheveux quelquefois relevés en chignon pouvaient aussi tomber dans le dos, en tresse, un bandeau disciplinait les mèches rebelles. Ces coiffures témoignaient de leur état de fille à marier785. Elles arboraient une tenue significative de leur âge. Avec les canéphores, nous avons vu qu’elles arboraient une tenue distinctive de leur classe d’âge, se composant d’un péplos et d’un manteau léger, ramené sur les épaules ou agrafé sur le péplos. La statue d’une jeune fille, en marbre, avec les cheveux bouclés, un chignon sur la tête, portant le péplos argien, des bandes croisés sur la poitrine, un péplos agrafé tombant en vague dans son dos (Fig. 176) en est un exemple type. Ce port de cette vêture de la part des filles en âge de se marier signifiait « la reconnaissance (…) de leur changement physique, de l’adolescente à l’adulte 786». De plus, les canéphores étaient maquillées. Ces jeunes filles adoptaient aussi des comportements plus calmes. Elles ne couraient pas, leurs danses n’avaient rien de folles, et le plus souvent nous les retrouvons dans les procession, chantant ou portant des fleurs, des objets sacrés, qui les distinguaient et permettaient de les repérer immédiatement. Elles allaient au même rythme que les autres, dignement, dans une attitude noble, une certaine forme de fierté. Cette démonstration de leur maîtrise corporelle montrait l’acquisition de la maturité, elles avaient rejeté leur altérité négative.

Parmi les autres parthénoi, en train d’acquérir cette beauté, les tenues étaient plus diversifiées, leurs gestuelles aussi. Les jeunes filles qui couraient arboraient des tenues spécifiques, un chiton court le plus souvent, parfois nues787. La nudité788 se comprenait comme une tenue à part entière, elle pouvait marquer un passage, un moment de mort symbolique comme dans le cas des ourses, ou renvoyer à une composante masculine comme pour les parthénoi spartiate. Le chiton court était de différente sorte selon les lieux : ainsi les parthénoi d’Héra à Olympie portaient un chiton d’un style particulier, agrafé sur l’épaule gauche, dénudant le sein droit (Fig. 65, statuette laconienne en bronze ; 66, statue en marbre), alors que celui des petites ourses était plus flottant, non ceinturé, sans manches mais couvrant la poitrine (Fig. 59, cratérisque à figures rouges n° 1). Toutes les filles qui participaient à un rituel de course devaient porter des chitons courts, même si la forme ou la coupe différaient d’une cité à l’autre. En effet, la signification de la course comme rite de passage impliquait un changement significatif par rapport au quotidien et la tenue en était la meilleure personnification, et de plus, l’exercice de la course se pratique difficilement avec une robe longue même lorsque celle-ci n’inclut pas ou peu de notion agonistique789.

Les arrhéphores portaient des tenues spécifiques à leurs rangs et à leur âge790 : des robes blanches pour symboliser leur pureté et leur sacralité, des bijoux d’or en forme de serpent qui signifiaient leur ascendance athénienne. Cette tenue les marginalisait en les sacralisant, elles étaient intouchables. Cette tenue permettait dans la procession des Panathénées de les dissocier des autres porteuses sacrées, car même si elles adoptaient au sein du cortège le même comportement que les canéphores, leur apparence distinctive et propre à leur charge, permettait de les identifier comme arrhéphores.

En ce qui concerne les autres parthénoi non matures nous n’avons pratiquement aucune information. Les petites filles à Aulis devaient porter la nébride pour témoigner de leur état de faons, mais rien n’est dit concernant les fillettes à Orthia sur le port de tenues distinctives, peut-être matérialisées par l’utilisation de masques. Dans l’espace choral, même si certains services étaient caractérisés par une tenue spéciale (comme c’était le cas des jeunes filles qui participaient aux rites dionysiaques et qui portaient le thyrse ou des karyatides) la magnificence de la parure les situait en dehors du quotidien mais c’était surtout l’activité qu’elles pratiquaient – danse ou procession – qui en créant des espaces les extériorisant de la communauté, les projetaient dans le sacré.

Notes
783.

Cf. New Pauly, sv. Hairstyle ; sv. Clothing ; H. Mills, « Greek Clothing Regulations : Sacred and Profane?», ZPE 55 (1984), p. 255-265, et spéc. p. 255-256 : « le vêtement est une des façons dont l’être humain établit sa relation avec le monde. A travers les vêtements, hommes et femmes s’adressent aux autres, à eux-mêmes et à leur monde. Le vêtement est un symbole qui communique différentes fonctions (…) pouvant symboliser le pouvoir, la sexualité, l’affiliation religieuse, indiquer le statut économique et social »; P. Brulé, La fille d’Athènes, p. 118 ; P. A. Bernardini, op. cit., p. 153 ; E.B. Harrison, « Greek Sculptured Coiffures and Rituals Haircuts », p. 247-254 ; L. J. Roccos, « Back mantle and Peplos, the Special Costume of Greek Maidens in 4th Century and Votives Reliefs », Hesperia 69 (2000), p. 235-236 : le costume est important car il indique le statut social et l’appartenance à un groupe ; J.B. Connelly, Portrait of a Priestess, p. 87.

784.

W.R. Connor, « Tribes, Festivals and Processions, Civic Ceremonial and Political Manipulation in Archaïc Greece », JHS 107 (1987), p. 44-45 : l’utilisation de la vêture divine par les hommes et les femmes appartient à un fond cultuel commun, elle peut exprimer la gratitude ou simplement personnifier la divinité pour l’honorer.

785.

E.B. Harrison, « Greek Sculptured Coiffures and Rituals Haircuts », p. 247-254 : elle note un rapport entre l’âge et la coiffure. Une coiffure abondante, dénote la jeunesse et la fertilité. Garçons et filles portent les mêmes coiffes (cheveux non coupés, tressés sur la tête, avec des boucles). Les jeunes filles en âge de se marier portent un ruban, les femmes matures ont souvent l’himation ramené sur leurs têtes. Les cheveux courts sont pour les hommes dans le cadre athlétique. Mais elle précise que les indications iconographiques ne sont pas des codes généraux et dépendent du contexte dans lequel elles sont lues.

786.

L.J. Roccos, Hesperia 69 (2000), p. 261

787.

Th. F. Scanlon, « The Footrace of the Heraia at Olympia », AW 9 (1984), p. 80-81 note que ces prescriptions de porter des tenues spécifiques dans le sport n’étaient pas seulement d’ordre pratique mais pouvaient avoir des significations religieuses. Ces codes vestimentaires faisaient partie des rites initiatiques.

788.

Cf. New Pauly, Vol. 9, sv. Nudity. M. Eliade, Rites, initiations, sociétés secrètes, p. 69-70 : « (…) la nudité rituelle (…) peut s’interpréter comme symbolisant l’asexualité du néophyte » ; N. Serwint, « The Female Athletic Costume at the Heraia and Prenuptial Initiations Rites », AJA 97 (1993), p. 421: la nudité correspond à une mort symbolique, une séparation d’avec les normes de la société.

789.

P.A. Bernardini, op. cit., p. 163 : Les filles endossaient une tenue spéciale pour courir qui répondait à une commodité et exprimait un signe de différence.

790.

A. Brelich, Paides e Parthenoi, p. 325 : il établit une relation entre les vêtements des arrhéphores et les tenues portées par les ourses et les canéphores.