Chapitre 3
Altérité féminine, ordre et désordre dans la cité.

Nous avons déjà vus les gynaikes accomplir certaines fonctions domestiques au service de la divinité où elles jouaient le rôle de guide pour les plus jeunes, leur transmettant leur savoir notamment sur l’art du tissage, composant l’image de la mélissa travailleuse et consciencieuse, l’épouse modèle (Chapitre 1). Ici, nous allons nous pencher sur les aspects déroutants des pratiques religieuses où la femme affichait des comportements singuliers, où elle semblait devenir autre. Cependant, contrairement à la parthénos, l’altérité de la gynè n’était jamais une altérité non féminine mais une autre forme du féminin. Cette autre femme était à la fois elle-même et une Autre : elle-même car toujours elle demeurait la gynè, l’épouse du citoyen ; et aussi Autre car elle assumait alors une position, des attitudes inadéquates au quotidien mais recommandées dans le cadre de sa fonction religieuse. De fait, cette altérité n’était jamais négative au sens où elle n’était pas rejetée mais assimilée. Néanmoins, elle était restreinte à un cadre religieux car cette altérité était perçue comme dangereuse, pouvant mettre en danger la cité, non pas seulement parce que ces femmes quittaient maisons, familles et devoir de réserve qui était le leur au quotidien, mais aussi parce que du fait de l’interaction continuelle entre son sexe - plus exactement sa biologie et ses capacités de procréation - et la communauté (hommes et territoires), ses actions influaient directement sur le destin de tous. Les gynaikes, en se réunissant ainsi pour accomplir les pratiques rituelles liées à la sphère fertilité et fécondité, formaient des groupes homogènes, et ces rassemblements matérialisaient visuellement l’existence d’une communauté féminine au sein de la communauté civique. En se dissimulant aux regards importuns pour accomplir des rites et mystères interdits aux non-initiés, elles affirmaient leurs différences et leur pouvoir sur ces domaines. Ce pouvoir inhérent à leur sexe, inconnu et donc incompréhensible, était inquiétant pour les hommes. Cependant, l’altérité de la gynè était comprise comme nécessaire au renouvellement et à l’existence de la cité, ce bouleversement social qu’elle créait n’était que temporaire et participait de la reconduction de l’ordre. Cette altérité était recherchée, même dans ses aspects inquiétants, et alimentait l’imaginaire collectif de la femme idéelle, positivement ou négativement.