A-1) Réunion aux Thesmophories.

C’était une fête ancienne794 et importante qui avait lieu généralement en octobre/novembre. Déméter Thesmophore était perçue comme une divinité civilisatrice qui permit une vie policée, fondée sur l’agriculture. Le terme thesmoi (thesmos sg.), sur lequel est fondé l’appellation de la déesse, est le sujet de discussions entre ceux qui estiment qu’il fait référence aux lois ou désigne des objets sacrés que les femmes manipulaient. A. C. Brumfield comprend ce terme de manière intéressante considérant qu’il désigne plus exactement les rites divins, tous les rituels féminins traditionnels qui furent enseignés par Déméter795.

C’était une fête de fertilité, du sol et des êtres humains, exprimée et stimulée à travers celle des femmes. Les Thesmophories étaient célébrées en divers endroits du monde grec : à Athènes, durant trois jours du 11 au 13 Pyanopsion (septembre/octobre), à Sparte où la fête portait le nom de Trièméros ; à Thèbes où les femmes célébraient les Thesmophories sur l’Acropole thébaine dite Kadmeia ; dans de nombreuses cités de Grèce, d’Asie Mineure, et de Grande Grèce796. En Attique, la situation était plus complexe. Nous possédons divers documents faisant références à des Thesmophories célébrées dans des dèmes dans l’enceinte de Thesmophoria locaux. Cependant, comme K. Clinton l’a fait remarquer, aucune donnée n’existe concernant une fête des Thesmophories dite d’Etat qui impliqueraient toutes ou une partie des femmes de la cité athénienne. Il en conclut, logiquement, qu’il est plus que probable que dans la cité athénienne, les Thesmophories étaient célébrées exclusivement dans les dèmes, plusieurs d’entre eux se partageant un Thesmophorion 797. La cité attique s’était développée, démographiquement et territorialement, mais la fête des Thesmophories, ancienne, avait conservé une logistique locale et continuait d’être prise en charge par les autorités du dème et non par les autorités de la cité. K. Clinton fait justement observer qu’aucune dépense pour la fête n’apparaît dans les documents officiels athéniens, ce qui est surprenant pour une fête d’une si grande ampleur, mais que plusieurs données concernant les dèmes en font références, comme nous allons le voir.

Notes
794.

A. Mommsen, Feste der Statd Athen, p. 308-322 ; M.P. Nilsson, Griechische Feste, p. 313-325 ; J.E. Harrison, Prolegomena, p. 120-162 ; L. Deubner, Attische Feste, p. 50-60 ; H.W. Parke, Festivals of the Athenians, p. 82-88 ; A. C. Brumfield, The Attic Festivals of Demeter, p. 70-95 qui voit les Thesmophories comme une fête de nouvel an ; E. Simon, Festival of Attica, p. 18-22 ; W. Burkert, Greek Religion, p. 242-246 ; N. Robertson, « The Magic Female Properties of Female Age-group in Greek Rituals », AW 26 (1995), p. 193-203 ; S. Blundell, Women in Ancient Greece, p. 163-165 ; M. Dillon, Girls and Women in Classical Greek Religion, p. 110-121. Concernant le rapport entre Arrhètophories et Thesmophories : L. Deubner, p. 10-13 ; J.E. Harrison, p. 131-134  et H. Jeanmaire, Couroi et Courètes, p. 266-267 firent l’analogie entre Arrhéphorie et Arrhètophorie (ἀρρητοφόρια). L. Deubner pensait que durant l’Arrhéphorie, on jetait des objets et lors des Thesmophories, on allait les rechercher. J.E. Harrison et H. Jeanmaire voyaient dans l’Arrhéphorie, les Thesmophories des jeunes filles et les considéraient comme des initiations féminines où le mythe de la mère et de la fille était interprété selon le symbolisme naturiste (p. 268-276 et p. 303-307). P. Brulé, La fille d’Athènes, p. 82 s’il n’exclut pas l’existence des Arrhètophories, rejette le rapprochement. Pour lui, l’Arrhètophorie était l’autre nom du premier jour des Thesmophories. (Cf. Supra Chapitre 2 (1-1, B-1 : Les arrhéphores d’Athéna Polias)

795.

Les fondements d’une vie civilisée (H. Jeanmaire, op. cit., p. 303-307 ; M. Detienne, Violentes Eugénies, p. 184 ; F.I. Zeitlin, « Cultic Models of the Female : Rites of Dionysus and Demeter », Arethusa 15, 1.2 (1982), p. 318) ; les choses sacrées (J.G. Frazer, Encyclopaedia Britannica, sv. Thesmophoria ; A. Mommsen, op. cit., p. 316 ; M.P. Nilsson, op. cit., p. 323-324 et Greek Popular Religion, p. 25 ; H.W. Parke, op. cit., p. 83-85 avec des réserves ; E. Simon, op. cit., p. 18-19) ; des incantations magiques (J.E. Harrison, op. cit., p. 136-144) ; les rites de Déméter (A. C. Brumfield, op. cit., p. 70-73).

796.

Athènes (cf. ci-dessous) ; Mégare (Pausanias, I, 43, 2) ; Corinthe (Bookidis N., «Dining in the sanctuary of Demeter and Kore at Corinth», Hesperia 68 (1999), p. 1-54) ; Lykosoura (Pausanias, VIII, 37, 8) ; Sparte (Hésychius, sv. τριήμερος) ; Egine (Hérodote, VI, 91) ; Délos (Ph. Bruneau, Recherches sur les cultes de Délos, p. 285-290) ; Erétrie (Plutarque, Œuvres Morales, 298 B-C) ; Thèbes (Xénophon, Helléniques, V, 2, 29) ; Drymaia en Phocide (Pausanias, X, 33, 12) ; Thasos (Hérodote, VI, 134) ; Ephèse (Hérodote, VI, 16) ; Syracuse (Athénée, XIV, 647 a). cf. R. L. Farnell, Cults, III, n. 75-107 qui donne les références concernant plusieurs sites du monde grec. Cf. S.G. Cole, « Demeter in the Ancient Greek City and its Countryside », p. 133-154 qui dresse un catalogue des différents sanctuaires de Déméter où avaient lieu les fêtes de la déesse dans le monde grec. Elle étudie plus spécifiquement leur localisation dans les cités et observe que beaucoup se situaient entre les murs de la cité et la zone agricole, tandis que quelques uns se trouvaient dans la cité et d’autres dans les terres agricoles.

797.

K. Clinton, « The Thesmophorion at Athens and the Celebration of the Thesmophoria in Attica », p. 111-125 (Appendix I A sur les dèmes p. 121-122 : Pirée (IG II2 1177 ; IVème av. J.C.) ; Cholargos (IG II2 1184 ; 334/3 av. J.C.) ; Eleusis (IG II2 1363 B, 22-27 ; IIIème av. J.C.) ; Mélitè (O. Broneer, « The Thesmophorion at Athens », Hesperia 11 (1942), p. 265-274 ; IIème av. J.C.) ; Pithos (Isée, VIII, 19-20) ; un dème inconnu (Isée, III, 80) ; Phrearrhioi (SEG XXXV, 113 ; 300 av. J.C.) ; Oe (Lysias, Discours, 1, 20); Halimonte (Pausanias, I, 31, 1 ; Plutarque, Solon, VIII, 4-6). Sur les données concernant les dèmes, plusieurs points de vues s’opposent : pour certains, ces données n’impliquent pas nécessairement des Thesmophories dans les dèmes, mais témoignent d’une organisation au niveau de toute la cité attique pour désigner les représentantes dans chaque dème. Ainsi, L. Deubner, op. cit., p. 57 réfutait les célébrations dans les dèmes Attiques ; O. Broneer considérait que les données du dème de Cholargos étaient à utiliser au niveau national ; J.D. Mikalson, The Sacred and Civil Calendar of the Athenian Year, p. 68 voit un festival local à Eleusis mais se ravise dans Religion of Hellenistic Athens, p. 426. Cf. D. Whitehead, The Demes of Attica, p. 80-81 et M. Dillon, op. cit., p. 211-217 sont nuancés sur la question, considérant que les données doivent être étudiées au cas par cas, certaines faisant incontestablement référence à un dème (Eleusis, Pirée), d’autres étant moins certaines (Isée, VIII, 19-20). Cependant, la théorie développée par K. Clinton rend intelligible l’ensemble des données, car l’existence de Thesmophories locales (attestée de façon claire pour le Pirée où une prêtresse officie dans un Thesmophorion local) conjointement à des Thesmophories d’Etat est difficilement compréhensible et pose les questions : pourquoi et pourquoi seulement certains dèmes ?