Partie 2
les statuts sacerdotaux féminins

Le terme de  hiéreia (Ἱέρεια1103) désigne communément la prêtresse grecque mais cette traduction est limitée. Sa notion est complexe. Certaines charges spécialisées, en rapport avec un aspect particulier du culte, parfois de rang similaire à celui de la prêtresse, et certaines charges subalternes étaient désignées par ce qualificatif. Les termes engendrent la confusion car en Grèce ancienne, un même vocable peut signifier deux réalités différentes selon les lieux. Il n’est alors pas toujours évident de déterminer le statut de chacune. Il nous faut d’abord nous détacher de l’association hiéreia égale prêtresse : certaines femmes qui n’étaient pas nommées hiéreia en endossaient pourtant le rôle et certaines femmes qui étaient appelées ainsi n’assumaient pas de prêtrise. Dans cette partie nous allons distinguer entre les hiéreiai prêtresses et les « femmes sacrées spécialisées », mais avant d’aller plus loin il s’agit d’essayer de mieux cerner la notion de hiéreiaet ce qu’elle implique.

Le terme désigne celle qui accomplit un office religieux, qui est en rapport avec le culte. Il signifie plus précisément « la femme sacrée », « celle qui agit dans l’espace du sacré, qui accomplit des actes sacrés, qui s’approche de la divinité ». Dans l’absolu, toutes ces femmes qui évoluaient dans la sphère du sacré étaient des femmes sacrées, consacrées, qui appartenaient à la divinité. De fait, ces femmes rencontrées dans la partie 1, étaient, au moment où elles accomplissaient leur service religieux, des femmes du sacré. Hors du temps normal, revêtues d’insignes ou placées dans une situation qui témoignaient d’une position autre que celle de la vie quotidienne, elles entraient en contact avec la divinité. Leur statut à ce moment là changeait : serviteurs des divinités, en état de pureté, nul ne devait les malmener. Certaines demeuraient en retrait, d’autres approchaient au plus prés de la puissance divine. Elles influaient sur cette force à des degrés divers, mais toujours elles y participaient1104. Il ne sera donc pas surprenant de retrouver la plupart d’entre elles dans cette partie. Mais la figure dominante de ce monde religieux féminin demeurait la hiéreia prêtresse, porteuse du sacré par excellence, celle dont l’état de pureté transcendait la condition humaine. Elle possédait toutes les qualités des « femmes sacrées spécialisées », évoluant hors du temps quotidien, entrant en contact avec la divinité, pouvant influer dessus, un statut différent, accomplissant les actes sacrés, manipulant les hiéra mais à un degré supérieur, qui s’explique par la relation privilégiée qu’elle avait avec la divinité. Elle était la hiéreia par excellence car ce qui appartenait au dieu était hiéros, et en tant que première servante de la divinité, par identification elle devenait hiéros. Chargée de la puissance divine, à la différence des autres femmes qui accomplissaient un service sacré, elle n’était pas seulement consacrée ou protégée par la divinité, mais possédait elle-même la puissance du hiéros, soit un statut quasi-divin. De fait, la prêtresse était agnos et hiéros, une association d’état qui la rendait supérieure aux autres et faisait d’elle l’autorité supérieure du culte. Représentante principale du sacré féminin, elle était par conséquent préférentiellement désignée par ce qualificatif de hiéreia par opposition aux autres femmes, nommées généralement en fonction du rôle qu’elles jouaient, et que nous nommerons dans leur ensemble « les femmes sacrées spécialisées ».

Notes
1103.

Sur les tablettes mycéniennes de Pylos et Knossos, en langage du linéaire B, nous trouvons les termes i-je-re-ja, i-je-re-u et i-je-ro-wo-ko dont dérive le terme de hiéreia. Les tablettes de Pylos et de Cnossos font mention de trois prêtresses à Cnossos, et de quatre ou cinq à Pylos, dont la prêtresse E-ri-ta du sanctuaire de Pa-ki-ja-ne, au service de la déesse Po-ti-ni-ja. Les prêtresses faisaient alors partie de l’aristocratie, possédaient des biens propres, une certaine richesse personnelle, et étaient légalement indépendantes. Cependant, les tablettes ne donnent aucunes informations sur leurs pratiques cultuelles et leurs rôles. (J. A.Turner et J.C. Billigmeier, « The Socio-economics Roles of Women in Mycenaean Greece », p. 6-18). Il existait plusieurs variantes au terme hiéreia comme Ἱέρηα, Ἱερία, Ἱερίς, Ἱερίδος, Ἱερίη, Ἱερη, Ἱερηΐς, Ἱερηΐδος, Ἱερηΐη(ion.), Ἱρέα(dor), mais ils étaient moins usités.

1104.

Ainsi, des baigneuses sacrées comme les loutrides/plyntrides athéniennes, les gérarades et hèrésides s’approchant au plus prés de la puissance divine ; les jeunes filles du chapitre 2 évoluant dans des cadres intemporels et significatifs qui les établissaient dans des espaces autres ; les arrhéphores d’Athéna Polias en état de pureté tel que leur vêtement blanc en était le miroir, recluses pendant un an sur le site sacré de la déesse et qui comme les canéphores, elles aussi en état de katharos, étaient les dépositaires du sacré qu’elles emportaient ; la Basilinna et les gérairai pratiquant les rites secrets et sacrés pour le dieu Dionysos ; les femmes des Thesmophories manipulant les objets sacrés de Déméter ; les anthlétriai, chastes et pures qui allaient chercher les instruments de la puissance divine  ….