1-1) Sacerdoces Héréditaires

A-1) Définition et statut des génè.

Parmi les sacerdoces héréditaires se trouvaient les patriai hiérosunai, sacerdoces patrimoniaux.Un sacerdoce patrimonial était une charge religieuse héréditaire mais publique, détenue par un groupe, dénommé famille religieuse ou génos, qui se rattachait à un ancêtre commun fondateur. La notion de génos est complexe et a désigné des réalités différentes selon les époques1109. Ce n’est qu’au Vème av. J.C. que le terme fut appliqué au contexte religieux, bien que l’organisation qu’il nommait existât auparavant, sans avoir de qualification définie1110. Dans le contexte religieux, le génos caractérise un groupe stable, dont les attributions sont établies et délimitées, une « corporation religieuse organisée en un groupe de descendance agnatique fermé 1111 ». L’appartenance au génos était héréditaire, par filiation patrilinéaire ou matrilinéaire1112, mais le génos n’était pas une famille, un clan ou un lignage aristocratique. Ses membres, appelés génnètai, appartenaient parfois à différentes familles. Théoriquement égaux, tous n’étaient pas riches ou nobles, mais tous étaient considérés comme des eugéneis « des biens nés ». L’ancêtre fondateur - mythique ou réel - symbolisait l’union des membres ou des différentes branches qui le composaient, et non une ascendance véritable.

Les génè avaient la charge d’un culte civique, seuls leurs membres pouvaient, pour la communauté entière, pratiquer les rituels et cérémonies cultuels des sacerdoces qu’ils possédaient, leur octroyant un privilège considérable et une certaine forme de pouvoir. Ils jouaient parfois aussi un rôle financier et administratif dans le culte. Car le statut des génè pouvait être différent d’une cité à l’autre, variant en fonction du système politique et de l’organisation sociale. Si à Athènes, les génè ne jouaient aucun rôle politique, leurs attributions étant exclusivement cultuelles suite à la réforme de Clisthène1113, ce n’était pas nécessairement le cas dans d’autres cités mais les données étant trop lacunaires pour le reste de la Grèce il est difficile d’observer et de comparer ces groupements d’une cité à l’autre. Et même si à Athènes, prêtres et prêtresses des génè n’étaient pas considérés d’un rang supérieur à ceux qui avaient reçu un sacerdoce ordinaire, l’estime dont ils jouissaient dépendait de l’importance de la charge. Aussi, les sacerdoces prestigieux pouvaient apporter autorité et influence, socialement et politiquement. Mais, les génè n’étaient pas des institutions immuables, leurs situations pouvaient évoluer : une branche pouvait ainsi définitivement disparaître, aussi des stratégies familiales se mettaient en place pour perpétuer la lignée : alliances matrimoniales, adoption du mari ou du neveu. Ceux qui appartenaient à deux génè pouvaient choisir le génos de leur mère si il n’y avait plus d’héritiers, parfois aussi s’il était plus illustre1114. Certains génè connurent des revers de fortune qui entraîna en Asie Mineure la vente de sacerdoces, ceux qui avaient de l’argent achetaient les prêtrises1115.

Notes
1109.

J. Toepffer, Attische Genealogie ; F. Bourriot, Recherches sur la nature du genos, Vol. 1 et 2 ; Daremberg-Saglio, DA, sv. Genos ; J.A. Turner, Hiereiai, p. 15-50 sur les prêtrises héréditaires. Elle étudie les formes et évolution des génè dans l’histoire, les cités et la religion, les passations de pouvoirs et les privilèges ; R. Parker, Athenian Religion, p. 56-66 et Appendice ; D. Roussel, Tribus et cités, p 17 à 25 : sur les problèmes de définitions de la notion de génos et la confusion avec les grandes maisons et les lignages aristocratiques ; S.B. Aleshire, « The Demos and the Priests », p. 327-337.

1110.

D. Roussel, op. cit., p. 84.

1111.

D. Roussel, op. cit., p. 65, 80.

1112.

A Sparte, la transmission des prêtrises se faisait par voie matrilinéaire et patrilinéaire, probablement en raison d’un manque de ressortissant de la cité laconienne (A.J.S. Spawforth, « Spartan Cults Under the Roman Empire », p. 231). J. Toepffer, op. cit., p. 125-126 a démontré que la transmission pouvait se faire par les femmes lorsque la situation l’exigeait dans une prêtrise patrilinéaire. Une fille épiclère ne pouvait pas jouir elle-même de la prêtrise mais devait la transmettre comme patrimoine à ses enfants mâles. Plutarque, Lycurgue, 843 B-C  nous raconte comment par alliance matrimoniale, la famille de Thémistocle d’Acharnai qui possédait déjà la charge de dadouque d’Eleusis, donc appartenant au génos des Kérykes, s’allia à celui des Etéoboutades, Eumolpides et ce faisant acquis la prêtrise de Poséidon Erechthée : « (…) De l’union de Mèdeios avec Timothéa, fille de Glaucos, naquirent Laodameia, Mèdeios qui exerça le sacerdoce de Poséidon Erecththée, et Philippè qui fut ultérieurement prêtresse d’Athéna Polias. Elle avait été auparavant l’épouse de Dioclès, du dème de Mélitè, et de leur union était né un Dioclès qui fut stratège des hoplites. Celui-ci épousa Hédistè, fille d’Habron, et en eut Philippidès et Nicostratè. Thémistoclès le dadouque, fils de Théophrastos, épousa Nicostratè et en eut Théophrastos et Dioclès ; il hérita aussi de la prêtrise de Poséidon Erechthée. » (éd. Belles Lettres, 1957, R. Flacelière, E. Chambry, M. Juneaux) (Sur cette famille, cf. Supra Chapitre 2 (1-2, D-2 : Les porteuses sacrées sous l’ombre de la canéphore : Tableau Canéphores n°11 et 25, Laodameia et Philippè).

1113.

Les génè se constituèrent à l’époque archaïque, les familles nobles formèrent des groupements, partageant les cultes de la cité, s’assurant un monopole et appuyant leur pouvoir. Le processus s’élargit, et sur le même modèle, des groupes se constituèrent autour de familles aisées ou d’individus ayant reçu par la cité une charge qu’ils pouvaient léguer à leur descendance. Les cultes publics se structurèrent et l’existence des génè répondit à un besoin, assurant une organisation capable de gérer les sacerdoces. Ainsi à Athènes, lorsque Clisthène au VIème av. J.C. entrepris de réformer les cadres sociopolitiques, il ne bouleversa pas les structures des cultes patrimoniaux, à la fois pour des raisons pragmatiques et par piété. (Aristote, Constitution d’Athènes, 21, 6 : « pour les familles, les phratries et les sacerdoces, il laissa chacun les conserver suivant les traditions de ses ancêtres » (éd. Belles Lettres, 1922, G. Matthieu, B. Haussoulier) ; Platon, Lois, VI, 759 A-C et Politique, 290 C-D ; J. Martha, op. cit., p. 17 : «  Il y a entre le dieu et son génos, une alliance indissoluble »). Mais les génè Athéniens déclinèrent progressivement, dés l’époque classique déjà, avec la mise en place d’officiels chargés par la cité de s’occuper des affaires administratives et financières du culte, leur laissant le domaine liturgique. Les charges étant moins nombreuses, les membres s’opposèrent pour les assumer. (R. Garland, « Religious Authority in Archaic and Classical Athens », ABSA 79 (1984), p. 77)

1114.

J.A. Turner, op. cit., p. 26-27 ; cf. mariage de Mèdeios III avec sa cousine Diphila (Famille de Mèdeios de Mélitè cf. cf. Supra Chapitre 2 (1-2, D-2 : Les porteuses sacrées sous l’ombre de la canéphore : Tableau Canéphores n° 11 et 25, Laodameia et Philippè Canéphore ).

1115.

LSCG 119, 1-17 : à Chios, un génos organise la vente de son sacerdoce d’Héraklès (IVème av. J.C)