D-2) Vente de sacerdoces.

Le phénomène prit naissance à la fin du Vème av. J.C.1303 et perdura jusqu’au IIIème ap. J.C dans certaines cités d’Asie Mineure et des îles, mais n’est pas attesté en Grèce propre. Il fut particulièrement vivace du IIIème au Ier av. J.C. Si les causes étaient économiques, les cités vendant un bien public suite aux troubles économiques, les raisons de l’abandon progressif de cette pratique sont obscures. Il n’est pas impossible que le renouveau religieux coïncidant avec l’hégémonie romaine en Grèce, encourageant les pratiques anciennes, en ait été une des causes1304. Le phénomène de vente engendra des abus et des excès, où l’on se souciait peu de savoir si la personne qui achetait la prêtrise était capable de remplir sa charge, à tel point qu’au Ier ap. J.C., le proconsul romain Paullus Fabius Persicus passa un édit où il dénonçait et reprochait des comportements excessifs dans la vente d’offices d’Artémis à Ephèse1305, dénaturant le service religieux.

L’acheteur se voyait octroyer la charge à vie, qu’il pouvait léguer par testament - les transactions devaient être alors revalidées - ou bien pour une durée limitée, en moyenne dix ans. Il pouvait l’acheter pour lui-même ou un membre de sa famille, voire même la revendre pour en tirer une plus value1306. Les raisons de l’achat étaient multiples : piété, prestige, enrichissement sur la revente ou les revenus tirés du sacerdoce, et pour les familles les plus riches un moyen de s’exonérer des liturgies. En effet l’acheteur de sacerdoce se voyait octroyer, généralement, des privilèges comme l’exemption de taxes, du service militaire, de cotisations et de certaines liturgies comme la chorégie, la triérarchie, …. Or dans l’optique où ces familles riches assumaient ces liturgies pour leur cité, non pas seulement dans un désir de contribuer mais aussi par devoir et sous le poids de la morale sociale, qu’elles se voyaient chargées cycliquement de répondre aux sollicitations, l’achat même coûteux sur le moment pouvait en fait apporter plus de bénéfices sur le long terme. De fait, certaines prêtrises masculines pouvaient atteindre des sommes extrêmement élevées par rapport aux prêtrises féminines, qui s’explique par un surenchérissement des acheteurs pour bénéficier de ces privilèges. Ainsi à Priène, au IIème av. J.C. la prêtrise à vie de Dionysos Phléos, vendue conjointement avec celle de Dionysos Katagôgios, fut payée 12 002 drachmes1307. Le diagraphê (contrat de vente) prévoyait des exemptions en fonction du montant de la somme (de 6000 à 12000 drachmes), attestant que si le coût dépassait les 12000 drachmes, l’acheteur serait exempté des liturgies financières les plus lourdes : triérarchie, administration des finances publiques, construction de temples, proeisphora (avancement d’argent à la cité)1308. Ces charges publiques ne concernant pas les femmes, les prêtrises féminines vendues étaient moins nombreuses et n’atteignaient pas des sommes aussi faramineuses1309. Cependant, elles pouvaient aussi atteindre un certain coût comme celle d’Aphrodite Pandemos payée 2040 drachmes, au IIème av. J.C., à Erythrée1310. Les prix étaient variables, dépendant de l’importance de la charge mais surtout des bénéfices que l’acheteur pouvait en retirer.

Les modalités de la vente précisaient parfois le nom de l’acheteur, le montant de l’achat, les profits et les honneurs qui en résultaient, donnant certaines informations sur le culte, signalant quelquefois des critères sélectifs restreignant l’accès de la charge. Ces critères semblaient inhérents au sacerdoce même, antérieurs au changement de procédure comme l’exigence de la pureté pour celle ou celui qui accomplirait la charge, un âge minimum requis. Le texte concernant la vente de la prêtrise de Dionysos Thyllophoros à Kos au Ier av. J.C offre de nombreuses informations : la prêtresse devait être en bonne santé et d’une totale intégrité physique, elle ne devait pas avoir moins de douze ans1311. De plus, la vente pouvait se combiner à un tirage au sort comme dans le choix des prêtresses à vie de Déméter Antimacheia à Kos, au IV/IIIème av. J.C. : candidate sur une liste de femmes prêtes à payer pour acheter le sacerdoce, elle avait été tirée au sort puis avait payé le montant de la somme1312. D’autres critères semblaient au contraire avoir été établis pour empêcher l’accès au tout venant, en conservant le prestige de la charge. Ainsi, au IIIème av. J.C., à Halicarnasse, pour la prêtrise d’Artémis Pergaia, si l’acheteur était un homme, il devait désigner comme prêtresse à vie une femme qui devait avoir des ancêtres paternels et maternels citoyens depuis trois générations. Si c’était une femme qui achetait la prêtrise, elle devait elle-même accomplir le sacerdoce1313.

Nous avons évoqué à plusieurs reprises l’existence de critères sélectifs qui limitaient le nombre de candidats à la charge, ces critères combinaient à la fois les exigences de la cité et celles de la divinité pour obtenir le meilleur des prétendants. De différentes sortes, nombreux, ils régissaient l’accès à la prêtrise, permettant une sélection parfois drastique, avant même que le processus d’acquisition ne détermine définitivement le choix.

Notes
1303.

LSAM 77 (Chios) et LSAM 44 (Milet) (Vers 400 av. J.C.)

1304.

J. A. Turner, op. cit., p. 173.

1305.

IEphesos 18 b, 11-20 (44 ap. J.C.) 

1306.

A Erythrée, IIIème av. J.C. (-260), vente de 57 prêtrises attestant que dans ce cas précis, les motivations n’avaient rien de religieuses et étaient purement financières. Fr. Sokolowski, LSAM 25 : Mention d’Aristagora veuve d’Aristomène Métrodoros, qui paye pour hériter de la prêtrise d’Aphrodite Pythochrestos, pour son fils Dionysodoros. Son autre fils s’en porte garant (A, 3-12) ; Mention de Nossô, veuve, qui achète la prêtrise des Dioscures pour son fils Théophron. Son kyrios se porte garant d’elle (C, 120-124) ; Mention d’un homme qui achète la prêtrise des Korybantes d’Euphronieron et Thaleion pour un homme et une femme, puis revend les deux prêtrises individuellement (B, 95-99). E. Sinclair Holderman, A Study of the Greek Priestess, p. 11-12 : même si l’acheteur était un homme, les inscriptions ne précisant pas toujours quel était le sexe du desservant, il était possible, dans le cas des divinités féminines, qu’il achetait en vue de placer sa femme ou sa fille. J. A. Turner, op. cit., p. 160-166 observe les relations familiales et sociales entre les différents acheteurs. Elle considère que la participation de Nossô et Aristagora signifie une liberté économique de ces femmes. Contra : A. Bielman, Femmes en public dans le monde hellénistique, p. 36-39, p. 55 et p. 287 : « les femmes hellénistiques n’étaient jamais pleinement indépendantes ni autonomes en ce sens qu’elles étaient engagées vis-à-vis de leur oikos et vis-à-vis du patrimoine familial » ; J. B. Connelly, op. cit., p. 53 qui estime que l’achat de ces femmes impliquait leurs familles, elles ne semblaient pas disposer d’argent par elles-mêmes, c’était leur Kyrios qui agissait pour elles.

1307.

LSAM 37, 4 et 35-38. (3ème quart du IIème av. J.C.)

1308.

J. A. Turner, op. cit., p. 141-173 ; V. Pirenne Delforge, ThesCRA V, Chapitre 2, p. 6-7 ; J. B. Connelly, op. cit., p. 50-55.

1309.

J. A. Turner, op. cit., p. 146-150 et 168-172, Appendix 3-4 : elle étudie et compare prêtrises masculines et féminines, établissant un coût moyen de 350 drachmes pour les prêtrises féminines et de 1700 pour les hommes. Elle pense que les prêtrises féminines étaient moins riches en investissement, moins prestigieuses. Contra : J. B. Connelly, op. cit., p. 54 qui estime que « la variation des prix entre les prêtrises féminines et masculines est le résultat de privilèges plus que le sexe de l’officiant », puisque plus le prix était élevé, plus les exonérations de charges étaient importantes. Or comme ces charges civiques concernaient les hommes, le montant de la vente, proportionnel aux exonérations accordées, pouvait atteindre des sommes importantes dans le cas des prêtrises masculines. Ce procédé ne se retrouve pas avec les prêtrises féminines. J.B. Connelly réfute ainsi l’affirmation que les prêtrises féminines avaient moins de valeur.

1310.

LSAM 25, B, 58. (Milieu IIIème av. J.C.)

1311.

ICos Ed 216, A, 7-8 (225-175 av. J.C.) ; LSCG 166, 9-10 (IIème/Ier av. J.C.).

1312.

LSCG 175 ; J. A. Turner, op. cit., p. 104-106.

1313.

LSAM 73, 4-9 (IIIème av. J.C.) ; A. Bielman, Femmes en public dans le monde hellénistique, p. 36.