1-3) Critères sélectifs.

Seule les filles et les femmes de citoyens pouvaient accéder à la charge, mais elles devaient remplir certaines exigences : être issue d’une famille honorable et pieuse, être elle-même de bonne réputation1314. Cette exigence d’une moralité sans tache était une garantie que la cité prenait sur celle qui allait devoir effectuer avec rigueur et conformité les rites et cérémonies cultuelles. Elle devait être belle, saine et ne pas avoir de tare physique, signe d’un opprobre divin aux yeux des Grecs, comme il était mentionné dans le diagraphê de la prêtrise de Dionysos Thyllophoros à Kos1315. La beauté et l’intégrité physique avaient rapport avec les liens qui se formaient et le transfert que faisaient les Grecs sur les prêtres et prêtresses et l’identification que cette perception entraînait. Ces critères étaient communs aux deux types de prêtrises, ordinaires ou patrimoniales, mais il existait de nombreux critères propres à chaque sanctuaire et divinité1316.

De façon générale, les dieux étaient desservis par des hommes, les déesses par des femmes, et les déesses vierges par des parthénoi ; mais des exceptions existaient1317 : ainsi un jeune garçon pré pubère assumait la charge pendant cinq ans, jusqu’à peu avant sa puberté pour Athéna Kranaia à Elatée1318 au IIème ap. J.C. Un prêtre officiait pour Athéna Poliatis à Tégée au II/IIIème ap. J.C. 1319 Les situations pouvaient aussi varier d’une région à l’autre : Aphrodite, en Asie Mineure, aux époques hellénistique et romaine, avait principalement des prêtres, alors que des femmes assumaient de préférence le sacerdoce de la déesse en Grèce propre, même si quelques cultes voyaient des hommes accomplir la fonction1320. L’inverse existait : une parthénos servait Poséidon à Thèbes1321 et à Calaurie1322, Héraclès à Thespies, au IIème ap. J.C. Héraclès exigeait même de sa prêtresse la virginité à vie1323 mais c’était un cas rare pour les Grecs, la virginité n’était pas un idéal en soi, la femme renouvelant le corps civique en donnant naissance aux enfants.

Lorsque la prêtresse était une parthénos, elle devait être vierge et rester chaste durant toute la durée du service, accomplissant sa charge jusqu’à qu’elle ait l’âge de se marier ou qu’elle se fiance. C’était le cas de la prêtresse d’Artémis à Aigira en Arcadie, de celle d’Athéna Aléa à Tégée, au IIème ap. J.C.1324. A Pelléne, la prêtresse d’Athéna était considérée comme « la plus belle et la plus grande des parthénoi  (καλλίστη καὶ μεγίστη τῶν παρθένων) »1325, ces caractéristiques témoignant de sa maturité et signifiant qu’elle approchait de l’âge du mariage, ainsi que nous l’avions observé précédemment (Chapitre 2). Certaines prêtresses étaient mariées comme les prêtresses d’Aphrodite Pandemos à Elis où une inscription d’époque impériale mentionne Phila, fille de Leontoménès et femme d’Anauchis : « Φίλα Λεοντομένεορ θυγάτηρ, Ἀναυχίδα δὲ γυνὰ, θεοκολέσσα Ἀφροδίτα »1326. De même, à Athènes, un relief votif mentionne la prêtresse d’Aphrodite Pandemos, Ménésikrateia, fille de Dexikratès du dème d’Ikaria, et son fils Archinos, qui dédièrent, dans le troisième quart du IVème av. J.C., un relief à leurs effigies à la déesse1327. Artémis avait une gynè pour prêtresse à Brauron, mariée et mère de famille1328. Les prêtresses pouvaient ainsi mener une vie de famille, procéder à des rites de purification lorsqu’il leur fallait assumer la charge et avant les grandes cérémonies, elles devaient se soumettre à une période de chasteté. C’était  le cas avec les sacerdoces patrimoniaux dont la fonction à vie impliquait le mariage, à la fois pour perpétuer le renouvellement des générations et la transmission des sacerdoces. Parfois, il était indiqué que la prêtresse ne devait avoir connu qu’un seul homme dans sa vie comme celle de la Terre en Achaïe. Les femmes qui se présentaient à la fonction devaient prêter serment, attestant que leur mari avait été leur seul amant. Elles devaient boire du sang de taureau pour éprouver leur sincérité. Puis une fois entrées en fonction, elles devaient rester chastes pendant toute la durée de leur service1329. Il semble, en ce cas, que la prêtrise était ouverte préférentiellement aux veuves et les femmes remariées ne pouvaient donc pas prétendre à la charge.

Les prêtresses pouvaient ainsi être des parthénoi, gynaikes, mariées ou veuves, voire même ménopausées. Il n’y avait pas de règles générales, cela dépendait de la divinité et les situations pouvaient évoluer. Le statut de la prêtresse pouvait changer, suite à un événement fortuit, comme ce fut le cas pour le sacerdoce d’Artémis Hymnia à Orchomène1330, après le viol de la prêtresse parthénos à l’intérieur même du sanctuaire. Pour éviter que le drame ne se reproduise, il fut décidé que dorénavant la prêtrise serait assumée par une gynè qui avait eu assez de relation avec les hommes. A Milet, au II/III ème ap. J.C., Satorneila une femme qui avait été mariée et avait eu des enfants devint prêtresse vierge d’Athéna Polias pour le reste de sa vie. L’oracle d’Apollon, consulté, approuva le choix1331. Un prêtre pouvait aussi la remplacer : ainsi un homme officia à partir du IIème ap. J.C. pour Athéna Aléa à Tégée1332.

La virginité et la chasteté étaient deux notions équivoques pour les Grecs, les femmes plus âgées, inactives sexuellement, possédaient dans le service religieux le même statut que les parthénoi, mais seulement lorsque la charge n’avait pas de rapport avec le contexte initiatique. Il était ainsi nécessaire que la prêtresse fût pure de tout miasma, et le sexe étant l’une des principales causes de souillure, des règles simples étaient indispensables. La virginité des parthénoi exprimait leur pureté mais dans le cas des femmes mariées, une vie sexuelle respectable, dans les limites des cadres sociaux et bien pensants, garantissait leur légitimité et la sacralité du culte. La femme reconnue adultère ne pouvait prétendre aux charges religieuses. « La virginité tout comme la chasteté (était) un état de pureté proprement religieux 1333», la pureté physique était complémentaire de la pureté morale.

Plusieurs femmes pouvaient exercer ensemble, comme à Elis dans le culte d’ Eileithyia et de Sosipolis, où une prêtresse annuelle et une vieille femme qualifiée de presbutis, vivant dans la chasteté, s’occupaient chacune respectivement de l’une des divinités1334. Il arrivait aussi que le culte fût desservi par un prêtre et une prêtresse : pour Artémis Brauron à Athènes à la fin du IVème av. J.C. 1335 ou encore Despoina à Lykosoura au IIème/ Ier av. J.C. 1336. A Orchomène, la prêtresse vierge d’Artémis Hymnia fut remplacée par un prêtre et une prêtresse au cours du Ier/IIème ap. J.C., tous deux cohabitant ensemble pour le reste de leur vie1337.

Si les prêtrises patrimoniales étaient à vie, la durée de la charge des sacerdoces ordinaires pouvait varier : généralement d’un an, elle dépendait surtout du culte, ainsi tout changement de statut entraînait la fin du sacerdoce comme la puberté, et le mariage pour les parthénoi. Elle pouvait être à vie comme la prêtrise d’Artémis Boulaia à Milet1338, ou plus rarement au gré de la prêtresse comme celle de la Déesse Mère à Amorgos qui pouvait rester dix ans si elle le souhaitait1339.

Aucune véritable qualification n’était requise. La prêtresse sortante devait instruire sa remplaçante sur les principaux éléments de la charge, les légendes qui s’y rattachaient, les rites à accomplir et les formules à dire1340. Le contrat de vente de Kos fait mention d’une initiation (télétè « τελετή ») pour la nouvelle prêtresse de Dionysos Thyllophoros. Il est précisé (l. 15-28) que la cité devait consacrer la prêtresse selon la tradition, et que les trésoriers devaient assumer les dépenses pour la cérémonie1341. Cette cérémonie, sur laquelle nous n’avons aucune précision, servait peut-être de transmission du savoir. Les prêtresses pouvaient aussi se référer à des textes sacrés qui les aidaient à accomplir correctement leur fonction1342. Pour les prêtresses des génè, la tradition familiale devait être enseignée aux plus jeunes dans l’optique que filles et garçons étaient susceptibles d’assumer un jour la charge religieuse1343.

La prêtrise grecque demandait une certaine aisance financière, non seulement lorsqu’il fallait l’acheter mais aussi pour l’exercer, prêtres et prêtresses assumant certaines dépenses au quotidien, aidant économiquement à faire vivre le culte. Il s’agissait d’un aspect de leur fonction, un devoir qu’il leur fallait accomplir au même titre que l’aspect purement religieux. Le culte était perçu comme une liturgie et en échange des frais engagés, le desservant ou la desservante pouvait espérer se voir décerner des honneurs civiques. Par conséquent, au fil du temps, les charges financières, de plus en plus lourdes, finirent par restreindre l’accès aux citoyens les plus riches.

Nous le voyons, si en théorie toutes les filles et femmes de citoyens pouvaient assumer une fonction sacerdotale, dans la réalité plusieurs éléments en restreignaient l’accès aux personnes considérées comme les plus belles, les plus honorables, de belle naissance et à un groupe, assez souvent aisé financièrement.

Notes
1314.

Platon, Lois, 759 C (éd. Belles Lettres, 1956, A. Diès, L. Gernet, E. des Places) estimait nécessaire de vérifier « pour chacun des élus si tout d’abord il est physiquement intègre et de naissance légitime, ensuite si (…) il est né de maison sans souillure et s’il a vécu pur du meurtre et des crimes semblables qui offensent la divinité, ainsi que ses pères et mères. » 

1315.

ICos Ed 216, A, 7-8 (225-175 av. J.C.) ; LSCG 166, 9-10 (IIème/Ier av. J.C.).

1316.

J. A. Turner, Hiereiai, p. 174-188 et 206-231 ; V. Pirenne Delforge, ThesCRA V : Le personnel cultuel, p. 6-7 ; J.B. Connelly, Portrait of a Priestess, p. 44-46.

1317.

E. Sinclair Holderman, A Study of the Greek Priestess, p. 2-53 et « Le sacerdotesse, requisiti, funzioni, poteri », p. 301-305. cf. E. Fehrle, Die Kultische Keuscheit im Altertum, p. 6-7 et 92-97 qui voyait dans les sacerdoces féminins pour des dieux l’illustration d’un hiéros gamos, la prêtresse étant la fiancée du dieu.

1318.

Pausanias, X, 34, 7-8.

1319.

Pausanias, VII, 47, 5 ; IG V 2, 10, 2 (IIIème ap. J.C.)

1320.

V. Pirenne Delforge, L’Aphrodite grecque, p. 398-400.

1321.

IG VII 2465.

1322.

Pausanias, II, 33, 2.

1323.

Pausanias, IX, 27, 6 qui met en doute la légende : Héraclès fit l’amour en une nuit avec quarante-neuf des filles du roi mais la cinquantième se refusa à lui. Pour la punir, il l’instaura prêtresse de son culte et la condamna à la virginité à vie

1324.

Pausanias VII, 16, 5-6 (Aigira) ; VIII, 47, 2-3 (Tégée).

1325.

Polyen, Stratagèmes, VIII, 9.

1326.

E. Papakonstantinou, Ἀρχαία Ἀχαία καὶ Ἠλεία, p. 331-334 ; V. Pirenne Delforge, op. cit., p. 236-237. Nulle autre desservante de ce culte n’est connue, nulle source n’utilise explicitement le terme de hiéreia, suggérant à V. Pirenne Delforge que Phila assumait le rôle de prêtresse dans ce culte, le terme theokolès, signifiant « servante de la divinité » pouvant désigner la prêtresse.

1327.

IG II2 4596.

1328.

Démosthène, XXV, 1 : Hiéroklès, le fils de la prêtresse est accusé d’avoir volé les vêtements sacrés de la déesse. Le fait qu’elle ne soit pas nommée suggère à R. Osborne, Démos, p. 161 qu’elle était connue. Un fragment d’inventaire du trésor mentionne plusieurs hiéreiai (IG I2 387, 36) sans préciser si elles servaient Artémis Brauronia ou si il y avait des hiéreiai d’autres divinités.

1329.

Pausanias, VII, 25, 12

1330.

Pausanias, VIII, 5, 11-13.

1331.

T. Drew-Bear and W.D. Lebek, « An Oracle of Apollo at Miletus », GRBS 14 (1973), p. 65-73 ; J. Fontenrose, Didyma, p. 97-98 ; R. van Bremen, The Limits of Participation, p. 93

1332.

Pausanias, VIII, 43, 3 ; M. Jost, Sanctuaires et cultes d’Arcadie, p. 381 pense qu’il y eut un changement au cours du siècle, puisqu’une inscription datée du Ier/IIème ap. J.C. (IG V 2, 81) mentionne une prêtresse.

1333.

L. Moulinier, Le pur et l’impur, p. 65

1334.

Pausanias, VI, 20, 2-5

1335.

IG II2 1524, 45 et 1526, 6 et 27 ; B. Jordan, Servants of the Gods, p. 34 n. 59 ; R Garland, « Religious Authority in Archaic and Classical Athens », ABSA 79 (1984), p. 88 ; Cratérisque n° III (Fig. 61 et 64) où un prêtre et une prêtresse sont représentés masqués en ours.

1336.

SEG XXXIV, 324 ; et IG V 2, 536 (IIème/Ier av. J.C. une prêtresse), 524 (IIème/Ier av. J.C. un prêtre), 516 (Ier ap. J.C. mentionnant un prêtre et une prêtresse) ; M. Jost, Sanctuaires et cultes d’Arcadie, p. 326-337.

1337.

Pausanias, VIII, 5, 11 et I, 13, 5 ; M. Jost, op. cit. p. 416-417

1338.

Artémis Boulaia (Julia Artémô, fille d’Antipatros, datation incertaine, Didyma 330, 3).

1339.

IG XII 7, 237 B = LSCG 103 B, 15-17 (Ier av. J.C.)

1340.

R. Garland, « Priests and Power in Classical Athens », p. 77.

1341.

ICos Ed 216, A, 15-18 (225-175 av. J.C.) ; LSCG 166, 20-23 (IIème/Ier av. J.C.).

1342.

J. Martha, Les sacerdoces athéniens, p. 28.

1343.

V. Pirenne Delforge, ThesCRA, V, p. 17 sur la question de la formation des prêtres et prêtresses et « La cité, les dèmotelè hiera et les prêtres », Kernos Supplément 15 (2005), p. 65-66 sur le sacrifice de la télétè servant à la fois d’intronisation et de payement pour la charge.