La kleidouchos était « la prêtresse à la clé ». A. Mantis la nomme « la clef du naos 1349 », l’endroit le plus saint du sanctuaire où se trouvait la représentation sacrée de la divinité qui recelait sa puissance. La clé était le symbole iconographique des prêtresses, elle les identifiait immédiatement. Elle était « le symbole de l’autorité sacerdotale féminine1350 », les prêtres n’étaient jamais représentés avec cet attribut1351. Par contre, les dieux portaient aussi des clés, témoignant qu’ils étaient à l’origine du pouvoir divin et qu’ils étaient les gardiens de leurs domaines, ainsi Hadès qui détient les clés du monde souterrain, des représentations montrent la déesse Cybèle assise sur son trône qui tient sa clé de la main droite, le bras levé (Fig. 199, statue en argile) ; Korè debout, derrière sa mère Déméter assise, s’appuie de sa main droite sur une clé longue, recourbée à laquelle sont suspendues des bandelettes (Fig. 200, relief) ; ou encore Héra qui combat les géants avec sa clé (Fig. 197, 198 : cratères). Le fait que ce symbole devint l’un des principaux attributs de la prêtrise grecque, et surtout des prêtresses, traduit la relation intime entre le dieu et son serviteur, cette passation d’attribut équivalait à une passation de pouvoir. La kleidouchos était celle qui gardait la puissance de la divinité et qui pouvait influer sur cette puissance, la clé symbolisant le rôle de gardienne de la prêtresse. En même temps, cet insigne, lien entre la divinité et la prêtresse, témoignait fortement du pouvoir de celle-ci et de son ascendance sur les autres serviteurs de la divinité.
Le symbole iconographique de la clé semble apparaître vers la fin de l’époque archaïque, dans le Péloponnèse, à Argos plus exactement avec les représentations d’Héra à la clé1352. Héra se confondait avec la cité argienne et était simplement dite « ἀργείν »1353, démontrant leur lien. Héra, maîtresse d’Argos, en était sa gardienne et la clé en témoignait. De même, Athéna était la gardienne de la cité athénienne et à ce titre, Aristophane la nomme « la kleidouchos 1354». Héra, plus généralement, était la maîtresse de la maison, gardienne du mariage. De fait, il existait une relation entre le temple demeure du dieu et l’oikos, demeure des hommes1355 ; relation qui n’est pas sans évoquer le rapport que nous avions observé entre l’oikos et la cité. La femme était la despoina de l’oikos, la maîtresse de maison, qui veillait sur cet espace, le temple étant l’oikos du dieu dans la cité, la prêtresse devenait la despoina du temple. La clé symbolisait ce rapport, et explique qu’il devint de préférence l’attribut iconographique de la prêtrise féminine.
Ce symbole de la clé se généralisa à partir de l’époque classique et demeura l’insigne des prêtresses jusqu’à la période romaine. On le retrouve sur les vases, mais aussi des reliefs funéraires de l’époque classique, où des personnages féminins identifiés comme des prêtresses arborent l’instrument, parfois la présence d’une divinité ou un autre attribut permettent de les situer comme étant prêtresse de telle ou telle divinité, mais en général la clé seule est figurée comme insigne, empêchant toute identification.
A noter que le symbole de la clé en iconographie ne fut pas répertorié en Asie Mineure, hormis à Chypre où les artistes reproduisirent les modèles athéniens1356.
A. Mantis, Problemata, p. 28.
A. Mantis, op. cit., p. 28-29.
Les prêtres pouvaient posséder l’insigne de la clé du culte (cf. la stèle en marbre du prêtre Simos, Athènes Musée National Archéologique, n° 772, vers 400 av. J.C., fig.Gr. 137 ThesCRA V) mais dans les représentations iconographiques, ils sont généralement figurés avec un couteau. Cependant dans les illustrations de scènes mythologiques, ils pouvaient porter la clé comme Chrysès, prêtre d’Apollon suppliant Agamemnon de lui rendre sa fille (LIMC I, sv. Agamemnon 44, Cratère à Volutes, Paris, Louvres CA 227, vers 375-350 av. J.C.)
A. Mantis, op. cit., p. 32-34 ; M.F. Billot, « Recherches archéologiques récentes à l’Héraion d’Argos », p. 38 et 47-49 ; A. Kosmopoulou, « Working women, Female Professionals on Classical Attic Gravestones », ABSA 96 (2001), p. 294-295.
Hésiode, Théogonie, 12.
Aristophane, Thesmophoriazousai, 1136-1137.
Euripide (Les Héraclides, 770-772) qualifie la déesse Athéna comme « la mère, la maîtresse, la gardienne de la cité », soulignant ce rapport maternel entre la protectrice et le peuple ; G. Georgoudi, « Athanatous Therapeuein. Réflexions sur des femmes au service des Dieux », Kernos Supplément 15 (2005), p. 81-82 sur Héra « Kleidouchos (…) qui garde les clefs du mariage » l’associant « à la vie et l’espace domestique » et Athéna à Athènes « en tant que puissance qui possède la cité » ; J. B. Connelly, Portrait of a Priestess., p. 104
J.B. Connelly, op. cit., p. 138-139.