2-2) Devoirs administratifs, gestion du sanctuaire au quotidien.

Les devoirs administratifs concernaient essentiellement tout ce qui touchait aux lieux sacrés, aux biens de la divinité comme le sanctuaire dans son intégralité, le temple, les jardins ou les bois, les diverses constructions qui s’y trouvaient, les offrandes. Selon l’importance du culte, un sanctuaire en Grèce pouvait être à la fois une de ces impressionnantes et prestigieuses constructions telles que l’Acropole d’Athènes, ou simplement un autel consacré, une grotte, un bois, un cours d’eau. Les Grecs étaient sensibles à la nature et si un lieu les impressionnait fortement ils étaient enclins à penser que la divinité s’était manifestée à eux, leur signifiant l’endroit où devait être érigé son sanctuaire. Etait alors établi un enclos signifiant le téménos. Des signes extérieurs, bornes ou mur continu, marquaient les limites entre ce territoire sacré et le domaine profane. Un sanctuaire était une terre inviolable, protégée, avec des interdits rigoureux, ainsi quelqu’un en état de souillure ne pouvait y pénétrer. Parfois, le téménos ne contenait rien d’autre que l’autel, le foyer sur lequel étaient déposées les offrandes pour le sacrifice. Parfois, des dépendances étaient mises à dispositions du personnel du sanctuaire. Prêtres et prêtresses pouvaient ainsi résider dans l’enceinte sacrée lorsque les nécessités du culte l’exigeaient comme les prêtresses de Déméter et Korè à Eleusis. Ceux qui s’occupaient du culte ne vivaient pas à l’intérieur du temple hormis quelques exceptions telles la loutrophore et la néocore d’Aphrodite à Sicyone, les prêtresses d’Eileithyia à Olympie1397. Ceux et celles qui avaient une vie de famille résidaient avec les leurs dans leur oikos personnel, en dehors du sanctuaire, la vie de famille ne pouvant s’immiscer dans les affaires du temple.

Le temple était la demeure du dieu  sur terre, c’était là que se déroulait la plupart des rites sacrés1398, et dans la pièce principale, naos ou cella, se trouvait la statue, l’agalma de la divinité, sa personnification aux yeux des fidèles. Certains temples n’étaient pas accessibles à la population, ainsi de celui d’Aphrodite à Sicyone où les fidèles devaient contempler la statue depuis l’entrée1399, d’autres étaient fermés et ouverts à jours fixes comme le temple de Dionysos au Limnaion à Athènes, mais généralement les particuliers pouvaient s’en approcher, faire des offrandes, des sacrifices auxquels devaient assister les officiels du culte, sauf prescriptions1400. Un lieu de culte était sacré, qu’il soit aménagé ou non, et ne pouvait être déplacé1401. Ceux qui servaient une divinité appartenaient à ce dieu en particulier, et se trouvaient affiliés à son culte et à son sanctuaire. Leur autorité était limitée au territoire géographique du téménos, mais en tant que ses représentants, ils en étaient les principaux dépositaires et protecteurs. Prêtres et prêtresses devaient donc prendre soin de cette demeure divine, ils devaient s’assurer que rien ne venait troubler l’ordre du sanctuaire, que les fidèles respectaient bien les règles et ne violaient pas les interdits, assumant leur rôle de surveillants. Ils ne devaient pas laisser le lieu se détériorer et veiller à ce que le temple reste un endroit sacré, propre, décent, où régnaient ordre et respect1402. Les interdits étaient de toute sorte : couper du bois sacré, irriter les animaux du sanctuaire, amener des animaux personnels, porter des vêtements inadéquats, tenir des propos incorrects, se conduire de façon malséante. Au Thesmophorion du Pirée en Attique, la prêtresse en compagnie du dèmarque devait assumer ce rôle de surveillance. Ils devaient s’assurer que nul ni affranchisse d’esclaves, n’y réunisse de thiases, n’installe d’objets sacrés, ne fasse de purifications ou ne s’approche des autels et du temple sans la prêtresse, sauf lors de certaines fêtes féminines. De même, il était interdit de couper ou de ramasser du bois des arbres sacrés1403. Lorsque des gens se conduisaient mal dans l’enceinte du sanctuaire, les officiels du culte pouvaient en référer aux autorités judiciaires. Au Thesmophorion, c’était le dèmarque qui pouvait infliger une amende et porter l’affaire au tribunal, mais à Amorgos, la prêtresse de Déméter à Arkésiné, au IVème av. J.C., porta plainte auprès des prytanes contre les femmes qui, désobéissantes aux règlements du sanctuaire, pratiquaient des sacrifices en son absence1404. Généralement, un intermédiaire agissait pour elle1405. Ainsi, à Athènes, la prêtresse d’Aphrodite Pandemos était représentée par un parent devant le conseil1406. La prêtresse de Dionysos Thyllophoros, à Kos, devait être représentée par un kyrios devant le conseil lorsqu’elle désirait porter plainte en cas d’infraction et pour fixer l’amende1407. De même, à Milet, un kyrios représentait la prêtresse d’Artémis lorsqu’il portait devant les officiels la liste de ceux qui n’avaient pas remis les parts à la prêtresse comme il était stipulé dans un décret datant de 380/379 av. J.C.1408.

Les cités tentaient de protéger les prérogatives de ses officiels de culte, et des règlements cultuels formulaient les devoirs mais aussi les droits des prêtres et prêtresses pour éviter qu’ils ne fussent lésés : à Milet, un décret énonce les différentes prescriptions relatives aux droits des représentants du culte officiel de Dionysos et les droits et honneurs dûs à la prêtresse. Ces dispositions indiquent que leurs prérogatives n’étaient pas toujours respectées par les thiases privés1409.

La prêtresse devait aussi s’assurer des biens matériels conservés dans le sanctuaire, devant transmettre dans son intégrité ce qui s’y trouvait en l’état où ils étaient lorsqu’elle avait pris sa charge et qu’on lui avait confié, comme le mobilier, les trésors, les vêtements, les accessoires, les offrandes non périssables….1410A Athènes, un règlement cultuel du début de l’époque impériale précise que la prêtresse d’un culte inconnu devait prendre soin de tous les biens matériels, notamment du mobilier sacré. La nouvelle prêtresse devait même en faire le serment devant l’ancienne1411. Cette tâche de prendre soin des biens matériels pouvait être déléguée1412 et l’était généralement, ainsi des officiels civiques s’occupaient des biens d’Athéna Polias ou d’Athéna Brauron à Athènes, les trésors faisant l’objet d’inventaires que les trésoriers géraient. A Délos, des hiéropes géraient les finances des différents cultes.

En plus de ce rôle de surveillance, il lui fallait s’occuper de «  l’entretien des édifices existants et la restauration des bâtiments qui menacent ruines, et aussi pour tout ce qui est réservé  au dieu1413». La prêtresse devait ainsi prendre soin des bâtiments, signaler aux instances civiques lorsque des réparations ou des constructions devaient se faire. En effet, prêtres et prêtresses ne pouvaient accomplir des changements sans l’aval des autorités de la cité, toutefois ils pouvaient contribuer financièrement à ces réfections, ce qui leur valait des honneurs en conséquence. Ainsi Satyra, prêtresse aux Thesmophories, fut honorée au IIème av. J.C par le dème de Mélitè pour avoir réparé les temples dans l’Eleusinion et le sanctuaire de Pluton1414. De même, celle qui fut la prêtresse de toutes les divinités, Epigonè, à Mantinée, à la fin du Ier av. J.C., fut honorée avec son époux par une inscription et des statues, énumérant les nombreux bienfaits qu’ils apportèrent à leur cité. Sans ménager à la dépense, Epigonè a ainsi honoré les déesses et offert des banquets aux citoyens dans les fêtes. Son mari a par ailleurs contribué à la construction d’une agora, réparé des temples, construit des salles de banquets et contribué à l’embellissement de sa cité1415.

Cette contribution financière ne se limitait pas au sanctuaire mais concernait aussi les cérémonies cultuelles, la prêtresse pouvant fournir le nécessaire pour le sacrifice (instruments, offrandes, victimes, banquets). Dans le règlement cultuel de la Mère des Dieux à Minoa d’Amorgos, au Ier av. J.C., la prêtresse devait fournir à ses frais le nécessaire pour la cérémonie d’initiation1416, de même que celle de Dionysos à Milet comme l’indique un décret du IIIème av. J.C.1417. Elles pouvaient offrir des banquets publics aux citoyens et étrangers, comme Epigonè de Mantinée ou la prêtresse d’Athéna Polias, [Lysistra]tè ou [Phanostra]tè, fille de Polyeuktos de Batè, qui au IIIème av. J.C., donna cent drachmes au génos des Praxiergides, sur ses propre biens, pour le sacrifice traditionnel des Plyntéries et Kallyntéries, alors même qu’elle ne participait pas elle-même au rituel1418. Ces contributions financières n’étaient pas l’apanage des prêtresses, des femmes sacrées spécialisées pouvaient aussi œuvrer pour l’embellissement ou l’aménagement des bâtiments sacrés, offrir des dons pour les cérémonies de culte, ainsi que nous le verrons dans le chapitre suivant. De même, des femmes riches n’assumant pas de sacerdoces pouvaient faire des dons ou financer des travaux : à Mantinée, en 60/59 av. J.C., Nikippa, fille de Pasias, fut honorée pour la part active qu’elle prit dans la vie religieuse de sa cité mais aussi pour avoir aidé financièrement le culte de Korè, entre autre le payement de sacrifices, des travaux du temple…1419. C’était un devoir pour les femmes des élites de participer à la vie sociale, et lorsqu’en plus elles assumaient un sacerdoce, cette contribution devenait quasi obligatoire, comme faisant partie intégrante de la charge1420, principalement à l’époque hellénistique1421.

Accueil des fidèles, entretien et maintien de l’ordre dans le sanctuaire, contributions financières, intendance des biens de la divinité, la prêtresse était la garante de l’accomplissement des différentes tâches administratives ; et même si dans les grands ensembles, elle déléguait à des assistantes spécialisées qui participaient à cette gestion de tous les instants, s’assurant que la paix et l’ordre régnaient dans l’enceinte sacrée, sa responsabilité était engagée.

Notes
1397.

Eleusis (IG II2 1672, 127 (329/8 av. J.C.) ; K. Clinton, Sacred Officials, p. 71) ; Sicyone (Pausanias, II, 10, 4-6) ; Olympie (Pausanias, VI, 20, 3). J. A. Turner, Hiereiai, p. 387-390 ; J. B. Connelly, Portrait of a Priestess, p. 202.

1398.

J. Mylonopoulos, « Greek Sanctuaries as Places of Communication through Ritual », Kernos Supplément 16 (2006),p. 69-110 : le sanctuaire était le lieu où se déroulaient rites et pratiques sacrés pour la divinité. L’espace sacré et le rituel étaient en interaction permettant la création de la communion.

1399.

Pausanias II, 10, 4-6.

1400.

LSS 129,7-11 (Vème av. J.C.) : à Chios, au sanctuaire de Pélinaios, en cas d’absence du prêtre, et s’il n’avait pas répondu après trois appels, on pouvait sacrifier soi-même.

1401.

G. Roux, « Trésors, Temples, Tholos », TMO 7 (1984).p. 164.

1402.

Platon, Lois, VI, 759 A

1403.

IG II/III 2 1177 = LSCG 36, 1-24. (IVème av. J.C.) Règlement cultuel du Thesmophorion du Pirée.

1404.

IG XII 7, 4 = LSCG 102 (IVème av. J.C.)

1405.

V. Pirenne Delforge, ThesCRA V, p. 22-23

1406.

IG II2 659, 17-23 = LSCG 39 (287/6 av. J.C.).

1407.

ICos ED 216, A, 21-28 (225-175 av. J.C.) ; LSCG 166, 27-31 (IIème/Ier av. J.C.)

1408.

LSAM 45, 9-22 = IMilet 5 (IVème av. J.C.)

1409.

LSAM 48 = IMilet 8 = A.-F. Jaccottet, Choisir Dionysos, n° 150, p. 251-253 Tome II et p. 75 Tome I. (276/275 av. J.C.)

1410.

R. Garland, « Priests and Power in Classical Athens », p. 77-78.

1411.

IG II/III2 1346 = LSS 127 (époque impériale).

1412.

LSAM 59, 9-10 (IV ème av. J.C.) : à Iasos, la responsabilité des offrandes du culte de Zeus Mégistos incombait aux néopes.

1413.

Aristote, Politique, 1322 B. (éd. Belles Lettres, 1986/1989, J. Aubonnet)

1414.

O. Broneer, « The Thesmophorion at Athens », Hesperia 11 (1942), p. 265-274.

1415.

IG V 2, 268 ; R. van Bremen, The Limits of Participation, p. 139-140 et 274-275.

1416.

IG XII 7, 237 B, l. 8-18 = LSCG 103 B.

1417.

LSAM 48 = IMilet 8 = A.-F. Jaccottet, Choisir Dionysos, p. 251-253 Tome II, n° 150, l. 13-15 (276/275 av. J.C.) : « elle (le prêtresse) fournira le materiel initiatique (aux femmes) lors de tous les orgia. »

1418.

IG II776, 19-20 (IIIème av. J.C.)

1419.

IG V 2, 265 (Ier av. J.C.) ; M. Jost, Sanctuaires et culte d’Arcadie, p. 346-347.

1420.

R. van Bremen, The Limits of Participation, qui étudie le rôle des élites féminines dans la vie sociale de leurs cités, notamment en Asie Mineure, du IIème av. J.C. au IIIème ap. J.C. ; A. Bielman, Femmes en public dans le monde hellénistique, p. 281-282 et 289-291 et « Citoyennes hellénistiques. Les femmes et leurs cités en Asie-Mineure », p. 176-196 expliquant comment les femmes des élites devinrent une composante des stratégies et ambitions familiales, visant à valoriser leur parenté, en étant incitées à participer à la vie collective, notamment à travers les charges religieuses, les magistratures civiques et les dons faits à la cité et comment, à travers ces diverses activités, elles devinrent une composante intégrée, essentielle de leur communauté car « non contentes d’assurer les liens harmonieux entre les dieux et les hommes, (elles) contribuaient par le biais de liturgies religieuses à améliorer le sort de la collectivité » ; Et « Egéries égéennes, les femmes dans les inscriptions hellénistiques et impériales dans les Cyclades », p. 195-213 où elle étudie plus spécifiquement la place des femmes dans les Cyclades aux époques hellénistiques et impériales, dans l’espace religieux, l’espace public, au sein de leur famille et leur rapport à l’argent. Elle observe que dans ces cités insulaires, le peu de familles riches et la sollicitation grandissante des élites à participer à la vie civique conduisirent ces dernières à recourir aux femmes pour assumer les charges prestigieuses et perpétuer l’honneur et le pouvoir de la famille ; M.-Th. Le Dinahet Couilloud, « Femmes dans le paysage délien », p. 387-413 sur la place des femmes à Délos, dans la sphère publique et privée, et la façon dont elles étaient perçues (p. 387-393 sur les offrandes féminines faites à Délos aux différentes divinités, notamment par leurs prêtresses et les femmes qui occupèrent un service religieux) ; J.B. Connelly, Portrait of a Priestess, p. 192-194 sur les participations financières au culte des prêtresses et femmes de l’élite qui parle de « devoir de générosité ».

1421.

A. Bielman, « Citoyennes hellénistiques. Les femmes et leurs cités en Asie-Mineure », p. 185 observe cette différence majeure entre l’époque classique, où les prêtresses pouvaient faire acte de liturgie mais ce n’était pas encore une obligation, et l’époque hellénistique où les cités leur imposaient des dépenses importantes.