A-3) Etre en état de pureté.

Cette capacité d’établir le lien avec la divinité constituait un pouvoir mais aussi un engagement qui s’exprimait à travers de nombreux interdits propres à certains cultes et l’obligation d’accéder à un état de pureté supérieur à celui que l’on demandait aux autres officiantes. Pour accomplir ces actes sacrés, il leur fallait être non seulement katharos (pure) au quotidien mais devenir hagnos (sacré) de façon à posséder l’état de hiéros 1423, c'est-à-dire être à leur tour chargée d’une puissance apparentée aux forces créatrices pour pouvoir les côtoyer. Cela leur permettait de manipuler la puissance divine contenue dans les hiéra, de pouvoir influer sur celle-ci et donc de l’orienter positivement pour la communauté.

De façon générale, assumer un sacerdoce n’exigeait pas un ascétisme contraignant, et la fonction se combinait à la vie quotidienne. La notion de sacré était intimement liée à celle de pureté pour les Grecs, celle-ci s’exprimant à travers la propreté corporelle1424. Cette pureté portait essentiellement sur les interdits sexuels, parfois aussi de naissance et de mort, les prêtresses devant, d’une certaine façon, s’extraire un temps de la vie effective pour atteindre un état anormal qui amplifiait leur puissance sacrée1425. Ainsi, des périodes d’abstinences, généralement courtes, étaient requises avant les fêtes. Mais certains sacerdoces exigeaient une hygiène de vie spécifique : à Orchomène, au IIème ap. J.C., le prêtre et la prêtresse d’Artémis Hymnia devaient rester chastes à vie et vivre d’une façon autre que la communauté : « ni pour le bain, ni pour le mode de vie en général, ils ne suivent les mêmes règles que les autres, et n’entrent pas dans la maison d’un particulier » mais Pausanias lui-même rapporte qu’il s’agit d’un cas exceptionnel1426. Plus souvent, les restrictions étaient circonscrites à un ou plusieurs interdits : à Athènes, la prêtresse d’Athéna Polias avait interdiction de manger du fromage de chèvre fabriqué en Attique1427 ; à Kos, la prêtresse de Déméter Olympia ne devait pas manger lors d’un rituel héroïque, ne pas marcher sur la tombe d’un héros, ne pas pénétrer dans une maison où une femme venait d’accoucher ou perdre son enfant, ni dans un lieu où un homme était mort pendant un temps limité, elle ne devait pas non plus manger d’animal, et toucher un animal mort1428. De plus, pour marquer symboliquement la rupture d’avec la vie quotidienne et entrer dans l’état indispensable pour approcher le sacré, des rites de purifications avaient toujours lieu avant toutes cérémonies. Il s’agissait de rejeter toute souillure susceptible de perturber et corrompre le lien et donc l’acte rituel1429.

Les obligations ou interdits vestimentaires qui régissaient certains cultes doivent se comprendre en relation avec cette recherche de l’état de pureté, lié à la notion de respect de la divinité. Les règles différaient d’un culte à l’autre. A Eleusis, ceux et celles qui accomplissaient un sacerdoce portaient un vêtement de couleur pourpre1430 ; le prêtre de Nikè à Kos devait, lors de certaines fêtes, porter un chiton de couleur pourpre, une bague en or et une couronne d’olivier et au quotidien des vêtements blancs1431 tandis que le prêtre de Dionysos Phléos à Priène pouvait s’habiller comme il le souhaitait, mais il devait porter une couronne en lierre dorée au théâtre de Dionysos et une autre en or au mois Lénaion 1432. Epiè de Thasos, lorsqu’elle assuma la charge de prêtresse de Zeus Eubouleus et de Déméter et Korè, devait revêtir la tenue prescrite par la coutume, c'est-à-dire des vêtements blancs1433. Ces prescriptions étaient aussi valables pour les autres agents du culte ainsi les arrhéphores d’Athéna Polias étaient vêtues de blanc.

Certains de ces préceptes vestimentaires s’adressaient aussi aux fidèles qui venaient au sanctuaire, il était interdit aux femmes d’entrer dans le sanctuaire de Déméter Thesmophoros en Arcadie habillées avec des robes luxueuses et décorées. Celles qui violaient la loi devaient offrir leurs tenues à la déesse. De même, les prêtresses ne devaient pas porter de robes agrémentées ou de couleur pourpre et or, des bijoux ou du maquillage1434. Pareillement, au sanctuaire de Despoina à Lykosoura en Arcadie, les femmes ne devaient pas porter de pourpre et même arborer une tenue trop élégante1435. Cette recherche de la pureté corporelle pour être en état de pureté rituelle, de quelque façon qu’elle s’exprimait (sexuelle, ablution, apparence), visait à atteindre l’eukosmia pour que les pratiques cultuelles se déroulassent conformément aux règlements sacrés1436.

Notes
1423.

M. Fauquier, J.-L. Villette, La vie religieuse dans les cités grecques aux VI, V et IV ème siècle avant J.C., p. 28. Cf. J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse, p. 21-51. Ceux qui pratiquaient les fonctions sacerdotales (déjà katharos) devaient acquérir l’état de pureté hagnos qui leur permettait d’être considérés comme sacrés et de pénétrer les lieux sacrés, toucher les hiéra. L’hagnos était un « état de pureté extra temporelle », détaché de l’ordre cosmique et social pour pouvoir interférer dessus. Pour devenir hagnos, il fallait suivre des rites d’abstinence et de lustrations « conférant une qualité nouvelle, une dignité religieuse qui les préparait au contact, à la communication et à l’emprise de la puissance » (p. 173). Pour J. Rudhardt, il s’agit d’un état positif anormal de l’être humain.

1424.

Cf. L. Moulinier, Le pur et l’impur, p. 65 ; R. Parker, Miasma, p. 357-365.

1425.

J. Rudhardt, op. cit., p. 43.

1426.

Pausanias, VIII, 13, 1 (éd. Belles Lettres, 1998, J. Marcadé, M. Jost) ; M. Jost, Sanctuaires et cultes d’Arcadie, p. 416-417.

1427.

Strabon, IX, 1, 11.

1428.

LSCG 154 A, 21-35. (1ère moitié du III ème av. J.C.)

1429.

Pour les Grecs, il existait deux sortes de souillures : les lûma (pollutions sexuelles, naissance, mort…) et miasma (la souillure par excellence liée au meurtre). Pour être sacré, il fallait être pur de tout miasma et lûma. Être pur de tout miasma suffisait pour être katharos mais non sacré, c'est-à-dire devenir hagnos (qualité vénérable d’après Sophocle, Oreste, 843-844) (J. Rudhardt, op. cit., p. 51 et M. Fauquier, J.L. Villette, op. cit. , p. 32). Cf. R. Ginouvés, Balaneutikè, p. 316-317 et 405-406 et l’importance de l’eau dans les actes de lustrations.

1430.

[Lysias], Contre Andocide, 51 ; K. Clinton, Sacred Officials, p. 32-33.

1431.

LSCG 163 = ICos ED 89, 12-13 (II/Ier av. J.C.)

1432.

LSAM 37, 13-24 (3ème quart du IIème av. J.C.)

1433.

F. Salviat, « Décrets pour Epié, fille de Dionysios : Déesses et sanctuaires Thasiens », BCH 83 (1959), p. 362-397 ; SEG XVIII, 343, décret n° 2, 32-33 (Ier av. J.C.) ; F. Ferrandini Troisi, La donna nella sociétà ellenistica, n° 51 p. 78-80 ; ; R. van Bremen, The Limits of Participation, p. 26-27 et 29-30 ; A. Bielman, Femmes en public dans le monde hellénistique, p. 54-57. Cf. Infra Chapitre 5 (1-3 : Epiè, la néocore).

1434.

LSS 22 = SEG XI, 112 (VI/Vème av. J.C.) ; M. Jost, op. cit., p. 325-326 ; A. Bielman, op. cit., p. 247-250.

1435.

LSCG 68 = IG V 2, 516, 1-13 (IIème av. J.C.) ; M. Jost, op. cit., p. 326-337.

1436.

M. Dillon, Girls and Women in Classical Greek Religion, p. 262-264 ; N. Deshours, Les mystères d’Andania, p. 100.