C-3) Statue et hiéra, les objets du sacré.

Si en certains endroits, la prêtresse était la seule à pouvoir pénétrer dans le temple et approcher la statue de culte, en d’autres lieux, elle seule pouvait la voir comme au sanctuaire d’Eileithyia à Hermionè ou d’Héra à Aigion1457. Ces interdits qui ne concernaient que les personnes extérieures au personnel cultuel accentuaient le rapport d’intimité de la prêtresse avec la statue ou les objets sacrés. Mais cette relation ne s’exprimait pas seulement en termes de privilèges mais aussi de devoirs : il lui incombaient de prendre soin de la statue, de lui donner à manger, de la laver, de la parer. Dans les grands sanctuaires, cet entretien quotidien était fait par des officiantes spécialisées et le personnel du culte ; dans les petits sites, c’était le desservant local qui accomplissait ces tâches. Parfois, à l’occasion d’une cérémonie particulière, la statue de culte était lavée et parée, généralement une fois par an et le plus souvent, ce service était effectué par des personnes désignées n’appartenant pas au personnel cultuel (cf. Chapitre 1) mais en certains lieux, cette charge revenait à la prêtresse1458. Ainsi, à Kos, lorsque le sanctuaire était pollué, la prêtresse de Déméter Kourotrophos emportait la statue à la mer pour la purifier. Une loi sacrée datant du III ème av. J.C. nous apprend qu’elle devait accomplir les purifications pour la statue de culte de la déesse lorsque le sanctuaire avait été souillé, notamment par la présence d’un cadavre. Elle devait emporter celle-ci, cachée, à la mer pour l’y baigner et sacrifier une brebis : « [κατακαλυπτέτω δὲ καὶ] ἐξαγέτω ἁ ἱέρεια Κοροτρόφον κατὰ τὰ νομι[ζ]ό-[μενа ἐπὶ θάλασσαν καὶ θυέτω ὑ]ν ἠ οἴν Κοροτρόφωι (l. 24-26)» 1459. De même, à Samos, tous les ans pour la fête des Tonaia, la prêtresse d’Héra emmenait la statue à la mer pour la laver. Le mythe étiologique raconte que des pirates Tyrrhéniens volèrent, de nuit, la statue mais que lorsqu’il voulurent l’emmener dans leur bateau, des miracles se produisirent qui stoppèrent leur progression. Terrifiés, ils lui demandèrent pardon et s’enfuirent en l’abandonnant. Le lendemain, s’apercevant de la disparition, des recherches furent lancées par les Samiens. Retrouvant la statue prés de la mer et croyant qu’elle avait elle-même tenté de fuir, ils la ficelèrent mais avant de la rapporter, la prêtresse la purifia, peut-être dans la mer, puis des offrandes lui furent faites, et elle fut ramenée au temple1460.

La prêtresse était la dépositaire du xoanon antique, facilement transportable et qu’elle pouvait emporter s’il était nécessaire1461. Ainsi, la prêtresse d’Athéna Polias eut la charge de s’occuper de la statue de la déesse lorsque les Athéniens prirent la décision de quitter la cité devant l’arrivée des Perses en -4801462. De même, la relation privilégiée tissée avec la divinité faisait d’elle son intermédiaire et ces messages s’exprimaient parfois par le biais de la statue. A Sparte, à l’occasion de la cérémonie initiatique des garçons au sanctuaire d’Artémis Orthia, la prêtresse portait le xoanon de la déesse devant tous ceux qui étaient venus assister à la fête. Les éphèbes des quatre dernières classes d’âge étaient fouettés devant l’autel de la déesse, et lorsque les coups donnés n’étaient pas suffisamment forts, la statue devenait de plus en plus lourde dans les bras de la prêtresse, qui transmettait le message divin aux exécuteurs du rituel1463. La prêtresse était la xoanophore de la divinité, celle qui portait le xoanon sacré. Ainsi, sur la stèle funéraire de Polyxèna (Fig. 218) nous voyons la prêtresse tenir dans sa main gauche la petite représentation de la déesse Déméter. Mais ce type était rare et n’identifiait pas spécifiquement la prêtresse comme le faisait l’identifiant de la clé. Ainsi à Messène, pour Artémis Ortheia, un fragment de bras portant un brétas fut retrouvé et mis en relation avec Mégô, xoanophore mais non prêtresse de la déesse (Fig. 235) 1464.

En tant que dépositaire du sacré, la prêtresse jouissait d’une relation privilégiée aux objets qui contenaient la puissance divine, non seulement le xoanon mais aussi les hiéra. Habituellement conservés à l’abri dans le sanctuaire, ceux-ci étaient présentés lors de fêtes et cérémonies. La prêtresse pouvait alors les porter en procession devant tous, comme celle de Déméter et Korè à Eleusis dans la procession des Mystères1465, de la prêtresse de Dionysos à Milet qui conduisait la procession de la grande fête des Katagôgia 1466. Cette exhibition des objets du sacré n’offrait pas seulement une visibilité à ceux-ci, légitimant le service cultuel, mais aussi à la prêtresse1467, l’identifiant comme la représentante de la divinité et affirmant la relation privilégiée qui était la sienne avec le sacré. Et même si la prêtresse n’était pas la seule à pouvoir approcher la statue sacrée ou les hiéra – certaines femmes sacrées spécialisées pouvant accomplir ces offices - cette intimité, couplée à l’action sacrificielle et à ses devoirs administratifs, accentuait le pouvoir et l’influence que la communauté lui prêtait.

Notes
1457.

Pausanias, II, 35, 11 et VII, 23, 9.

1458.

I. Bald Romano, « Early Greek Cult Images and Cult Practices », p. 127-134.

1459.

LSCG 154 B : le texte, très fragmenté, évoque les différents rites de purifications que la prêtresse devait accomplir en fonction des événements et les prescriptions de pureté rituelle qu’elle devait observer. Ces règles étaient de nature semblable à celle assumées par la prêtresse de Déméter Olympia à Kos, et répertoriées dans le même décret (LSCG 154 A, 21-35) ; Th. Hadzisteliou-Price, Koutrotrophos, p. 153-154. Sur le bain de la statue : S. Bettinetti, La statua di culto nella pratica rituale greca, p. 155.

1460.

Ménodotos de Samos, FGrHist 541 F 1-2 ; R. Ginouvés, Balaneutikè, p. 288 pensait qu’il s’agissait d’un bain prénuptial ; A. Avagianou, Sacred Mariages, p. 46-54 le réfute et y voit un rite cathartique ; I. Bald Romano, op. cit., p. 129-130 et p. 132 sur les différentes statues et la parure de la déesse.

1461.

I. Bald Romano, op. cit., p. 128 : il existait des cérémonies où les statues de culte étaient emportées hors des temples lors de jours spéciaux pour être vues et adorées.

1462.

M. H. Jameson, « A Decree of Themistokles from Troizen », Hesperia 29 (1960), p 214 et 219 ; B. Jordan, Servants of the Gods, p. 77-80.

1463.

Pausanias, III, 16, 9.

1464.

Cf. Infra Chapitre 4 (D-2, 2, a : D’un type iconographique rare, la prêtresse xoanophore) et Chapitre 5 (3-5 : Xoanophore et phosphoros d’Artémis Ortheia).

1465.

IG I2 81, 9-11 (421 av. J.C.) ; K. Clinton, Sacred Officials, p. 89.

1466.

A.-F. Jaccottet, Choisir Dionysos, p. 250-253 n° 149, l. 3-4 et 150, l. 21-24 (p. 250-253 Tome II et p. 74-76 Tome I). Cf. Supra Chapitre 3 (1-2, B-2 : Les bacchantes).

1467.

J.B. Connelly, op. cit., p. 166.