3-1) Des avantages en nature.

Prêtres et prêtresses ne percevaient pas de salaires, leurs rémunérations étaient généralement en nature (peaux, parts de la victime sacrifiée, grains, fruits, huiles, gâteaux…), parfois en argent, rarement de grosses sommes1468. Ces émoluments étaient désignés par les termes d’apometra 1469, de hiérosuna ou encore par l’expression « les parts d’honneur » (τὰ γέρα) comprenant argent, portion de victimes sacrificielles ou offrandes déposées sur les tables1470 qui revenaient de droit au détenteur d’un sacerdoce. Les expressions attestent qu’il s’agit à la fois d’une rémunération, d’un dû, mais aussi d’un privilège inhérent à la charge. Les prêtresses recevaient, au cours des sacrifices publiques, la peau de l’animal - qui pouvait être revendue au marché constituant un bénéfice important 1471 - et une part lors du partage entre citoyens, en tant que dépositaires d’une magistrature civique et reconnues par la cité comme membres du corps civique. De plus, à ces donations ponctuelles s’ajoutaient les parts des sacrifices privés, les offrandes faites à la divinité qu’elles pouvaient légitimement prendre pour elles-mêmes. Les modalités du partage étaient codifiées, stipulées sur les règlements cultuels, les calendriers sacrés ou les diagraphai de vente, de façon à ce qu’il n’y ait pas de conflits, ni que l’une ou l’autre des parties ne soit lésée. Si un fidèle refusait de donner ce qui était dû, il devait payer une amende. Ces prescriptions visaient aussi à empêcher le ou la desservant(e) d’abuser de ses prérogatives en prenant plus que ce qui lui était accordé par les lois.

Ces bénéfices étaient différents d’un culte à l’autre, ceux et celles qui desservaient des sanctuaires modestes vivaient chichement, tandis que dans les temples où les fidèles affluaient, où les sacrifices étaient courants et les offrandes nombreuses, la rémunération était plus conséquente. Les prêtresses d’Héroïnè et de Sémélè dans le dème attique d’Erchia recevaient la peau, celles de Déméter Chloé, d’Héra, de Dionysos Anthios, dans le dème d’Aixonè en Attique, obtenaient de l’argent, les peaux et des parts de la victime, de l’huile, du miel, de la farine, alors que la prêtresse de Dionysos à Milet percevait les « viscères, reins, intestins, parts consacrées, la langue et une patte déboîtée au niveau de la hanche »1472. Les rémunérations directes étaient rares, souvent symboliques, allant de quelques oboles à plusieurs drachmes. Le prêtre ou la prêtresse du dème de Paiania en Attique, dans un culte non identifié, recevait trois oboles et des portions de l’animal1473 ; la prêtresse du Thesmophorion, du dème de Cholargos en Attique, percevait quatre drachmes1474 alors que la prêtresse d’Athéna Polias recevait dix drachmes pour un sacrifice public pour procéder à l’achat nécessaire du matériel1475. De plus, au temps du tyran Hippias, elle recevait à chaque naissance et mort à Athènes une ration de farine et une obole1476. Elle percevait une certaine somme de la part des nouvelles épouses en échange de sa protection pour avoir des enfants1477. Ces rites en rapport avec la fertilité et la naissance étaient courants chez les divinités féminines1478.

Le cas de la prêtresse d’Athéna Nikè à Athènes se présente comme une exception notable en relation avec la réorganisation d’inspiration démocratique du culte qui se produisit au cours du Vème av. J.C. Elle recevait cinquante drachmes par an de la cité, ce qui s’apparentait à un salaire annuel assez important, de plus elle recevait aussi à l’occasion du sacrifice civique les pattes et la peau de l’animal1479.

L’une des prêtresses les mieux rétribuées était celle de Déméter et Korè à Eleusis : elle recevait une obole de chaque initié aux petits et grands mystères, elle percevait vingt deux drachmes pour des sacrifices favorables et en recevait trente autres pour avoir fait des sacrifices préliminaires en consacrant la terre sacrée (dite orgas) avant son exploitation, avec le hiérophante. Elle avait aussi la charge des dépenses d’un fond de 1600 drachmes. De plus, elle partageait une somme de cent drachmes avec les génnètai des Eumolpides pour avoir accomplis ensemble les sacrifices d’usages à l’occasion des Eleusinia. Certaines de ces sommes, comme le fond de 1600 drachmes, étaient utilisées pour le culte mais il est probable aussi que d’autres lui revenaient personnellement et qu’elle pouvait peut-être les utiliser à sa guise1480.

Il n’était ainsi pas toujours évident de déterminer si l’argent amassé l’était pour les besoins du culte ou si la prêtresse pouvait aussi en profiter pour elle-même comme cela était spécifié pour la prêtresse d’Artémis Pergaia à Halicarnasse. Cette dernière jouissait de nombreux avantages comme le droit de procéder à une collecte publique avant les sacrifices publics, le décret stipulant que la somme réunie était sienne, mais précisant qu’il lui était interdit d’entrer dans les maisons pour réclamer. Et à l’occasion des sacrifices privés, elle recevait une drachme. De plus, elle touchait une partie de la somme du thésauros, un fond où les fidèles déposaient leurs offrandes monétaires, l’autre partie servant pour accomplir les sacrifices, aux différents besoins du culte et à pourvoir à son habillement. A côté de ses revenus monétaires, elle recevait lors des sacrifices publics une cuisse et les parties attachées, le quart des viscères et la peau ; et lors des sacrifices privés, une cuisse et les parties attachées, le quart des viscères. De plus, lorsque les prytanes faisaient un sacrifice, la prêtresse d’Artémis Pergaia recevait une part égale à celle des femmes des prytanes qui avaient aidé pour l’élaboration du banquet1481.

Par contre, à Kos, la prêtresse d’Aphrodite Pandemos et Pontia ouvrait une fois par an au mois de Dalios avec les prostates le thesauros de la déesse. La somme était partagée entre la prêtresse et la déesse, l’argent de cette dernière étant placé en banque1482. Cela pourrait suggérer que la prêtresse pouvait jouir librement de l’argent qu’elle recevait, du moins en théorie car la pression sociale pouvait l’influencer pour réutiliser cet argent dans le culte.

En effet, certaines de ces sommes perçues étaient employées au service du dieu : la prêtresse de Dionysos à Milet recevait une compensation financière de la part de ceux qui souhaitaient pouvoir initier aux mystères du dieu, mais en échange elle devait fournir les instruments de culte pour l’initiation1483. Elle devait donc utiliser une partie de la somme récoltée pour payer ces ustensiles, le reste lui revenant probablement à titre personnel. A Minoa d’Amorgos, la prêtresse de la Mère des Dieux recevait un pélanos d’une drachme de chaque initié. L’argent était encaissé par des officiels civiques, les épimênioi, qui prêtaient cette somme, puis avec les intérêts perçus finançaient le banquet. Le reste des intérêts revenait à la prêtresse1484, qui elle aussi devait pouvoir l’utiliser à son gré.

La charge devait offrir une certaine rémunération qui compensait les dépenses financières mais qui était aussi susceptible d’attirer les candidats et surtout les acheteurs lorsque le sacerdoce était en vente. Mais tous les sacerdoces n’étaient pas bénéficiaires : à Thasos, Epiè, fille de Dionysios1485, assuma plusieurs charges sacerdotales, prêtrises et néocorie, laissées vacantes car trop coûteuses et n’offrant pas de rémunérations suffisantes. Le coût de certains sacerdoces était si élevé que la cité ne parvenait pas certaines années à trouver des candidats. Epiè fut honorée, sur quatre décrets, pour avoir pris en charge financièrement ces cultes et assumé les charges sacerdotales. Extrêmement riche, Epiè faisait partie de ces élites qui pouvaient se permettre de dépenser énormément pour sa communauté sans avoir besoin de récupérer ces sommes sur les rétributions du culte. Dans son cas, les honneurs accordés étaient plus importants que l’aspect financier. Ces difficultés pécuniaires accentuèrent la main mise des familles riches des cités, et contribuèrent à favoriser une aristocratie religieuse héréditaire.

Notes
1468.

J. A. Turner, Hiereiai, p. 384-386 ; B. Le Guen-Pollet, Espaces sacrificiels et corps des bêtes immolées : Remarques sur le vocabulaire désignant la part du prêtre dans la Grèce antique de l’époque impériale, p. 3-23 ; R. Van Straten, Hiera Kala, p. 154-155 ; J. B. Connelly, op. cit., p. 197-202.

1469.

Artémidore, Oneirocritique III, 3 : « faire un vol sacrilège, dérober aux dieux des objets qui leur sont consacrés, c’est pour tous les hommes un crime grave excepté pour les prêtres et les devins qui peuvent l’oser impunément. Car l’usage leur permet de prendre les offrandes apportées aux dieux, ils vivent en quelque sorte des dieux mêmes. » ; J. Martha, Les sacerdoces athéniens, p. 124.

1470.

Fr. Sokolowski LSCG 7, B, 1-2 et 17, A, 6 (Règlement cultuel d’un dème attique ; A= fin Vème av. J.C.) et LSS 18, A, 6, 24, 28, 32 et B, 19, 24, 28, 32 (Règlement cultuel du dème attique de Péania, Vème av. J.C.) pensait que le terme apometra désignait plus spécifiquement un remboursement pour les dépenses du culte faites par les desservants. Contra : J.B. Connelly, op. cit., p. 202.

1471.

J. Martha, op. cit., p. 123-124.

1472.

LSCG 18, A-18-22 (Héroïnè) et 46-51 (Sémélè)  (Dème Erchia, IVème av. J.C.) ; LSCG 28, 9-11 (Dionysos), 11-16 (Héra), 16-21 (Déméter Chloè) (= IG II2 1356 = SEG XXXV, 61 ; dème Aixonè ; IVème av. J.C) ; LSAM 48, 16-17 (Milet ; IIIème av. J.C.)

1473.

IG I3 250, A, 4-9 = LSS 18, B, 4-9 (Milieu Vème av. J.C.)

1474.

IG II2 1184, 1-7  et 15-18 (334/333 av. J.C.).

1475.

IG II2 1357 b = LSCG 17 C (entre 400 et 350 av. J.C.)

1476.

Aristote, Economiques, II, 1347 a ; B. Jordan, Servants of the Gods, p. 32 : l’argent était pour le culte ; B. Hotzmann, L’Acropole d’Athènes, p. 220  estime que cette mesure ne survécut pas à la mort du tyran.

1477.

Paroemiographie Suppl. I 65 ; W. Burkert, Greek Religion, p. 101 ; M. Dillon, op. cit., p. 95.

1478.

M. Dillon, op. cit., p. 95-97.

1479.

IG I2 25, 4-8 (= IG I3 36) et IG I3 35, 9-11.

1480.

IG I2 6 C, 6-20 (460 av. J.C) ; IG II2 1540, 57-58 (Ier quart du IV ème av. J.C.) ; LSS 10 A, 73-76 ; IG II2  204, 60 (352 av. J.C.) ; IG II2  1363, b, 20 (IIIème av. J.C.) ; K. Clinton, Sacred Officials, p. 69-70 ; J. B. Connelly, op. cit., p. 199-200.

1481.

LSAM 73, 9-14 et 25-28 = SEG XVI, 701 (IIIème av. J.C.) ; Suidas, sv. Ἡ Περγαία Ἄρτεμις où il est mentionné que la mendicité de la prêtresse est importune. W. Burkert, Greek Religion, p. 101 ; R. Parker, Athenian Religion, p. 162 ; M. Dillon, op. cit., p. 96-97 ; A. Bielman, Femmes en public dans le monde hellénistique, p. 32-38 ; J.B. Connelly, op. cit., p. 200

1482.

R. Parker et D. Obbink, « Aus der Arbeit des Inscriptions Graeca VI », Chiron 30 (2000), p. 415-449, n° 1, 16-20 = SEG L, 766, 16-22 (125 -100 av. J.C.): « τᾶν δὲ κλαικῶν τῶν θησαυρῶνκυριευόντω τοὶ προσάτται καὶ ἀνοιγόντω μετὰ τᾶς ἱερείας καθ᾿ἕκαστον ἐνιαυτὸν ἐμ μηνὶ Δαλίωι καὶ τὸ μὲν ἥμισσον ἔστω τᾶς ἱερείας, τὸ δὲ ἥμισσον ἀναπεμπόντω ἐπὶ τὰν δαμοσίαν τράπεζαν ἐς τὸν ὑφεστακότα τᾶς Θεοῦ λόγον καὶ λόγον χρηματιζόντω ἐς τὰ δαμόσια γράμματα·τὸ δὲ χρῆμα τοῦτο ὑπαρχέτω ἐς κατασκευάσματα ἃ κα δόξῃ τᾶι ἐκκλησίαι καὶ ἐς ἐπισκευὰν τοῦ ἱεροῦ. »

1483.

LSAM 48 = IMilet 8 = A.-F. Jaccottet, op. cit., p. 251-253 Tome II, n° 150, 13-20 (276/5 av. J.C)

1484.

IG XII 7, 237 B, l. 8-18 = LSCG 103 B (Ier av. J.C.)

1485.

F. Salviat, « Décrets pour Epié, fille de Dionysios : Déesses et sanctuaires Thasiens », BCH 83 (1959), p. 362-397 ; F. Ferrandini Troisi, La donna nella sociétà ellenistica, n° 51 p. 78-80 ; R. van Bremen, The Limits of Participation, p. 26-27 et 29-30 ; A. Bielman, op. cit., p. 54-57. Cf. Infra Chapitre 5 (1-3 : Epiè, la néocore).