A-2) Privilèges inhérents à la fonction.

Certaines de ces distinctions étaient confondues avec la fonction comme l’éponymie pour les prêtresses d’Athéna Polias à Athènes, de Déméter et Korè à Eleusis, d’Héra à Argos. Les règlements en relation avec le culte, les décrets honorifiques, les dédicaces étaient datées en fonction de la prêtresse, son nom servant de référence chronologique ainsi que nous avons pu le voir sur les dédicaces des arrhéphores, canéphores avec parfois la mention « sous la prêtresse …. ». Ce n’était pas seulement un privilège mais un des aspects de la charge, visant à distinguer les prêtrises les plus importantes de la cité et témoignant du respect au sacerdoce. Cependant, en les nommant ainsi sur des documents officiels, leur renommée s’en voyait accrue et la valorisation de la charge se répercutait sur l’individu.

De plus, les prêtresses possédaient aussi un sceau, emblème de leur autorité, qu’elles pouvaient utiliser pour sceller ou marquer les documents officiels. Ce sceau était le prolongement de leur fonction : comme la clé les reconnaissait comme kleidouchos, le sceau les identifiait comme représentante légale de la divinité1487. A ce titre, elles pouvaient ester en justice, s’exprimer librement et publiquement sur les affaires cultuelles. Certaines, comme la prêtresse de Déméter et Korè à Eleusis, pouvaient gérer des fonds importants. Elles jouissaient d’une autonomie légale et sociale supérieure à celle des autres femmes. Ces privilèges civiques s’inscrivaient dans le cadre de la fonction, une magistrature civique. Cependant ces responsabilités pouvaient aussi se heurter à certaines limites, notamment dans les cités où leur statut de femmes les empêchait de pouvoir traiter en personne avec les magistrats, devant être suppléées par un homme, parfois un officiel du culte, parfois son tuteur légal, le kyrios.

Une autre distinction pouvait, en certains cas, faire partie d’un privilège lié à la fonction, voire même constituer un devoir. La proédrie (siège réservé au théâtre) dans le culte de Déméter Chamyné à Olympie voyait la prêtresse être la seule femme mariée admise à assister aux Jeux Olympiques1488. Elle était assise face aux juges, sur un autel de marbre blanc1489, et présidait d’une certaine façon les épreuves. Sa présence était requise en tant que prêtresse de la déesse, et non pas accordée comme un privilège même si comme pour l’éponymie, cette valorisation lui valait la reconnaissance non seulement de sa communauté mais aussi de Grecs venus de différentes cités. La proédrie, dans ce cas là, s’apparentait à la théorie, une charge civique où la femme qui l’assumait devait assister aux concours sportifs pour lesquels elle avait été désignée théore, « spectatrice d’honneur », mais cette charge ne revêtait pas la même signification1490. La proédrie était surtout une reconnaissance honorifique, apportant un prestige social considérable et qui permettait d’être vue par toute la communauté, lorsque la prêtresse rejoignait son siège observée par tous ceux déjà installés. A Athènes, dans le théâtre de Dionysos, de nombreux sièges étaient réservés pour les officiels civiques, prêtres et prêtresses compris. Certains de ces sièges furent accordés par décret de l’assemblée, ainsi des deux sièges portant le nom de Mégistè, datés de l’époque impériale1491. De nombreux sièges, datant de l’époque impériale, notamment du Ier/IIème ap. J.C., étaient réservés à des femmes occupant des fonctions sacerdotales. Certains pouvaient ressembler à de véritables trônes comme celui de la prêtresse d’Athéna Polias Athènion, fille d’Athènios, dont le nom était inscrit sur le dessus du siège, lequel arborait des serpents sculptés de chaque côté de la chaise et rehaussé sur le dessus de deux têtes de Gorgô sculptées (Fig. 223)1492. Certains sièges mentionnent le nom de la divinité : ainsi la prêtresse d’Hélios; d’Hestia sur l’Acropole ; d’Hestia des Romains ; de Déméter Chloè ; de Gé Thémis ; de Kourotrophos ; de Déméter et Peithô ; d’Aidos ; d’Aphrodite Pandemos et des Nymphes1493. D’autres n’évoquent que le nom de la divinité comme Déméter Achaia ; Thesmophoros ; Déméter Thesmophoros ; Moires ; Hebè ; Kourotrophos et Aglauros1494. Certaines inscriptions nomment les prêtresses : outre la prêtresse Athènion, fille d’Athènios, nous trouvons la prêtresse E[…] Antonia  ; la prêtresse Kléaristè ; Flavia […] prêtresse de Léto et Artémis1495. Ce privilège se retrouve ailleurs dans le monde grec : à Mytilène, à l’époque impériale, Julia Potamila, fille de Sacerdos, et Aurelia A[…]linne Trophimè disposaient de sièges situés à l’entrée des parodoi 1496. A la fin du IIème av. J.C., la prêtresse d’Athéna Polias, Chrysis, se vit octroyer la proédrie à Delphes, pour les jeux pythiques (IG II2 1136, 171). La proédrie était une distinction d’un prestige incommensurable qui communiquait immédiatement le statut et la position éminente de celui ou celle qui en était bénéficiaire1497. L’attribution d’une position établie pour celles qui accomplissaient une charge civique témoignait symboliquement de la différenciation de statut qui existait entre ces dernières et les autres femmes, mais aussi par rapport à certains hommes1498.

Notes
1487.

Fragment de Lycurgue, Sur les Prêtresses, Fr. VI 4 (Conomis) : « Il a été décidé par décret que la prêtresse devait aussi ajouter son sceau au registre » en parlant de la prêtresse d’Athéna Polias. (Traduction J. B. Connelly, p. 219). J. Martha, Les sacerdoces Athéniens, p. 114 ; A. Bielman, « Citoyennes hellénistiques. Les femmes et leurs cités en Asie-Mineure », p. 183 ; J. B. Connelly, op. cit., p. 217-220.  

1488.

Pausanias, VI, 20, 8-9. Les parthénoi avaient aussi le droit d’assister aux concours.

1489.

J. B. Connelly, op. cit., p. 212 pense que l’autel avait spécifiquement était construit pour la prêtresse Regilla qui exerça la charge vers l’époque où l’autel fut érigé. La prêtrise de Déméter Chamyné était l’une des plus importantes d’Olympie. Elle était choisie parmi les femmes nobles Eléennes ou parmi les plus distinguées des femmes étrangères. Quatre inscriptions permettent de connaître certaines d’entre elles au II/IIIème ap. J.C. : Antonia Baevia, fille d’Ant. Samippos, descendante du roi Oxylos (Ol. 456, 157 ap. J.C.) ; Regilla, femme d’Hérode Atticus l’Athénien, riche et membre d’un génos éleusinien, archiéreus du culte impérial, évergète à Corinthe, Olympie et Athènes. (Ol. 610, entre 145 et 160/1 ; cf. W. Ameling, « Herodes Atticus » , Subsidia Epigraphica 11 (1983), 2 vols, Hildesheim) ; Claudia Tychè, fille d’un romain, femme arcadienne qui reçut la citoyenneté éléenne à titre honorifique et devint archiéreia du culte impérial et prêtresse de la ligue Achéenne et Hestia de la ligue arcadienne (Ol. 474, 212/213) ; […]ilaa, femme de Flavius Archelaos, membre d’une grande famille d’Elis (Ol. 485, 2ème moitié du IIIème). Julia Dikaeosynè fut peut-être aussi prêtresse de Déméter Chamynè, l’inscription étant mutilée. Elle était la femme d’un prince inconnu (Ol. 286).

1490.

Le rôle des femmes théores n’était pas religieux même si certaines furent prêtresses. La théorie féminine était différente de celle des hommes. « Une femme théore est en fait une spectatrice (…) privilégiée ; elle assiste aux jeux et aux concours célébrés dans sa propre cité, en occupant une place d’honneur, en face de la tribune des juges ». C’est une charge attestée seulement à l’époque impériale. Elles faisaient parties des élites locales et étaient désignées par leur cité. « la théorie féminine apparaît de prime abord comme le pendant impérial de la proédrie hellénistique (…) qui s’inscrivait à l’époque hellénistique (…) dans la ligne des honneurs civiques (…).  L’octroi de la proédrie saluait (…) des bienfaits intéressant la polis », ceux qui la reçurent « s’étaient rendus utiles à la cité » alors que la théorie féminine « ne récompensait pas un engagement civique » et ne concernait « que les femmes dont le principal mérite était d’appartenir à une famille prestigieuse ». (A. Bielman, « Femmes et jeux dans le monde grec hellénistique et impérial », p. 34-36). A Sparte, les femmes théores assistaient aux Hyakinthies ; à Ephèse, une femme théore présida les Mégala Olympia (L. Robert, « Les femmes théores à Ephèse », CRAI (1974), p. 176-181 = OMS V, 669-674). cf. R. van Bremen, The Limits of Participation, p. 88-89, 155-156 et Appendix 1 et 2 où sont recensées plusieurs femmes qui furent théores ; A. Bielman, op. cit., p. 33-50 : sur les femmes assumant les charge de théores, gymnasiarques et agonothètes, fonctions de prestige mais qui exigeaient de grandes ressources financières et donc préférentiellement dévolues aux élites (spécif. p. 34-36 sur les femmes théores). Nous avons mention de neuf théores pour l’époque impériale romaine : 2 à Sparte (IG V 1, 586, 587 : Memmia Xénokrateia et Pompeia Polla) et 7 à Ephèse (IEphesos 891, 892, 893, 894, 895, 896, SEG XXXIV, 1093 : Claudia Basilô, Claudia Caninia Severa, Aurélia Marcellina, Paula Aratiana, Sempronia Secunda Papiana, Anonyme, Mindia Stratonikè Hegouménè).

1491.

IG II2 5105 et IG II2 5107 ; J. B. Connelly, op. cit., p. 211 émet l’hypothèse que ces sièges pouvaient appartenir aux deux prêtresses d’Athéna Polias prénommées Mégistè, fille d’Asclépiadès d’Halai, et Junia Mégistè, fille de Zènon du Sounion.

1492.

IG II2 5063a (IIème ap. J.C.)

1493.

Respectivement : IG II2 5093 ; 5096 ; 5102 ; 5129 ; 5130 ; 5131 ; 5131; 5147 ; 5149.

1494.

Respectivement : IG II2 5117 ; 5132 ; 5136 ; 5137 ; 5150 ; 5152.

1495.

Respectivement : IG II2 5063a ; 5095 ; 5125 ; 5156.

1496.

L. Robert et J. Robert, « Bulletin épigraphique », REG 74 (1961) p. 205 n° 440 et REG 83 (1970), p. 423-424 n° 423 ; R. van Bremen, op. cit. , p. 155-156.

1497.

J. B. Connelly, op. cit., p. 213.

1498.

A la fin de l’époque hellénistique et romaine, les femmes pouvaient assister aux représentations théâtrales, c’était peut-être déjà le cas durant l’époque classique mais nous manquons de précision à ce sujet. N. Bernard, Femmes et société dans la Grèce ancienne, p. 142-143 ; J.B. Connelly, op. cit., p. 211-213 (où sont résumées les diverses positions à ce sujet).