Conclusion Chapitre 4 :

La hiéreia détenait l’autorité sacerdotale la plus éminente parmi les fonctions religieuses féminines car elle renfermait toutes les manifestations de l’autorité sacerdotale, laquelle s’exprimait à la fois sur le plan administratif, rituel et civique. Sacrée elle-même, elle pouvait entrer en contact avec la divinité, leur relation était plus forte qu’avec n’importe quelle autre femme effectuant un sacerdoce, en témoigne leurs identités qui se troublaient parfois. Elle était la gardienne de la divinité mais aussi une guide pour sa communauté. Gardienne, car elle devait s’assurer que, dans toutes les affaires sacrées où sa compétence était engagée, étaient respectés les volontés divines, les obligations et les interdits sacerdotaux ; guide car elle était aussi celle qui accomplissait pour les autres ces pratiques, qui leur enseignait, leur montrait comment les accomplir et les transmettait aux générations suivantes1570. Elle était l’intermédiaire entre le ciel et la terre, entre le dieu et la communauté, entre le passé et l’avenir, selon un schéma établi qu’elle devait suivre sans le modifier. Et en conformité avec ces responsabilités, elle en retirait honneurs, privilèges et une autorité réelle mais sujette au contrôle constant de la cité et de la communauté. A leur entrée en charge, prêtres et prêtresses devaient prêter serment devant celle-ci, comme les magistrats1571, et à leur sortie de charge, ils devaient subir la reddition des comptes, un jugement de valeur où ils devaient rendre compte de leurs actions et du bilan de leur service, certifiant avoir accompli leur sacerdoce suivant la tradition (kata ta patria) et conformément aux décrets et lois du peuple, soit par eux-mêmes, soit parfois pour les prêtresses par l’intermédiaire d’un kyrios 1572. Les prêtresses des génè se trouvaient elles sous la surveillance des membres de leurs familles. Mais toutes les prêtresses, comme les prêtres, se trouvaient au quotidien sous la surveillance de la communauté entière. Elles étaient à la fois protégées par les lois et soumises à elles, elles pouvaient ester en justice mais être aussi poursuivies, dénoncées si on jugeait qu’elles ne remplissaient pas correctement leur rôle1573. Elles étaient reconnues mais observées. La grande visibilité que leur offrait la charge dans la sphère publique leur enjoignait ainsi un devoir de respectabilité, une attitude si exemplaire que le terme sacerdoce - impliquant un dévouement de la part de ceux et celles qui accomplissent une fonction - prend tout son sens. Mais au final ces restrictions et interdits liés à la charge devaient peser peu pour ces femmes riches, pouvant jouir personnellement pour certaines de leurs biens, bénéficiant d’un prestige et d’une autorité religieuse qui se répercutaient dans la sphère sociale et civique. Honorées, respectées, aimées, elles assumaient un rôle de leader au sein de leur communauté. De ce fait, elles ne craignaient pas de s’opposer aux grands de ce monde comme les prêtresses d’Athéna Polias à Athènes et d’Héra à Argos, s’interposant devant le roi spartiate Kléomènès qui souhaitaient pénétrer dans les temples des déesses et auquel elles enjoignirent de quitter les lieux1574 ; elles pouvaient influencer les citoyens ce que fit la prêtresse d’Athéna Polias qui, en accord avec la décision de Thémistocle de quitter la cité devant l’arrivée des Perses, informa ses concitoyens que le serpent sacré n’avait pas touché à sa ration de gâteau au miel signifiant qu’il avait quitté la terre Attique et que les Athéniens devaient faire de même1575.

Toutefois, la hiéreia évoluait dans une certaine ambivalence, entre un pouvoir certain - avec un statut légal supérieur aux autres femmes et même à certains hommes– mais restreint du fait de sa nature féminine1576. Cette dernière établissait parfois une distinction, en certains lieux, l’empêchant d’accomplir peut-être l’action de mise à mort ou de s’exprimer devant l’assemblée comme Hégésippulè, prêtresse d’Aphrodite Pandemos à Athènes, qui se fit remplacer par un parent1577. D’ailleurs, dans les inscriptions honorifiques, elles étaient généralement qualifiées par des qualités féminines de sagesse et d’honorabilité et souvent était évoquée leur vie de famille réussie. Cette différenciation sexuelle se voit notamment dans l’iconographie où les attributs religieux ne servaient pas seulement à l’identifier mais participaient aussi de l’idée que l’on se faisait de la prêtresse grecque. Habillée comme une femme honorable, dans une tenue commune, la prêtresse n’était pas différente des autres femmes, seuls les attributs permettaient de la différencier de celles-ci mais aussi du prêtre, son pendant masculin direct, tout en l’établissant dans des actions « nobles » où sa nature féminine ne pouvait être désavouée. Ainsi les phiales et les bols de libation témoignait de son rôle en tant que « celle qui consacrait », la disposition de ses mains indiquait qu’elle était « celle qui accomplissait la prière », et surtout la clé qui symbolisait son rôle de gardienne par opposition au couteau du sacrifice que tenait le prêtre1578. A travers les représentations iconographiques s’exprimait toute l’ambiguïté du statut de la prêtresse : sa nature féminine n’était pas niée mais ne l’enfermait pas. Tout comme elle demeurait humaine face à la divinité, la prêtresse restait femme dans le rôle qu’elle exerçait.

Notes
1570.

J.B. Connelly, Portrait of a Priestess, p. 219-220 sur les connaissances cultuelles et mythologiques des prêtresses.

1571.

Ainsi des prêtresses de Déméter à Kos à l’époque hellénistique (W. R. Patton, E. L. Hicks, The Inscriptions of Cos, n° 386)

1572.

Eschine, Contre Ctésiphon, 18 « (…) personne n’est soustrait à l’obligation de rendre des comptes, d’entre ceux qui touchent de prés ou de loin aux affaires publiques. (…) C’est ainsi que la loi impose cette formalité aux prêtres et prêtresses, à tous solidairement et à chacun en particulier (…) et non seulement ils sont responsables comme individus, mais cette responsabilité s’étend aux familles sacerdotales toutes entières » ; Démosthène, Exordia, 54 ; Aristote, Constitution d’Athènes, 21, 6. J. Martha, Les sacerdoces Athéniens, p. 137 sur la procédure athénienne : le prêtre se présentait devant la Boulè qui déclarait les formules d’usages attestant de sa bonne conduite. Cette décision devait être entérinée par l’assemblée. Généralement, personne ne protestait et la cité ratifiait la décision, mais si une personne mettait en doute la parole, l’affaire était renvoyée devant le tribunal de l’Héliée. Dans les grands sanctuaires, les prêtresses étaient à peine mêlées aux actes financiers, les officiels la suppléaient dans ce rôle mais dans les petits temples où parfois seule la prêtresse composait le personnel sacerdotal, il est vraisemblable qu’elle s’occupait des questions financières, et gérait les biens de la divinité. La reddition des comptes devait alors comporter un bilan financier. Pour J. Martha, cette procédure était la même pour les prêtresses mais nous avons noté qu’en certains lieux, la prêtresse pour les affaires judiciaires se faisait remplacer par un kyrios. Les situations devaient différer d’une cité à l’autre. G. Georgoudi, « Athanatous Therapeuein. Réflexions sur des femmes au service des Dieux », Kernos Supplément 15 (2005), p. 78-80.

1573.

J.B. Connelly, op. cit., p. 213-217.

1574.

Hérodote, V, 72 (Athènes) et VI, 81 (Argos).

1575.

Hérodote, VIII, 41 ; J.B. Connelly, op. cit., p. 218.

1576.

G. Georgoudi, Kernos Supplément 15 (2005), p. 77 : « La prêtresse n’est pas devenue un mâle ; c’est en tant que femme qu’elle accède à certaines responsabilités religieuses et civiques, qui la différencient, non seulement des autres femmes, mais aussi des hommes ordinaires » ; J.B. Connelly, op. cit., p. 220 partage ce point de vue.

1577.

IG II2 659, 17-23 = LCSG 39 (287/6 av. J.C.).

1578.

J. Mylonopoulos,« Greek Sanctuaries as Places of Communication through Ritual », Kernos Supplément 16 (2006), p. 76 : la différenciation sexuelle est exprimée dans l’iconographie avec la prêtresse arborant la clé et le prêtre, le couteau du sacrifice, symbolisant le rôle de gardienne de la prêtresse et le rôle de sacrificateur du prêtre, s’opposant dans un rapport passif/actif.