1-4) Mètrodôra, la zakore.

Dans le culte des Orgéons de la Grande Mère du Pirée, la prêtresse était tirée au sort chaque année, et elle désignait ensuite parmi les anciennes prêtresses celle qui serait zakore (ζάκορος) durant son année de service. Au IIème av. J.C., en –176/5, une femme Mètrodôra (PA 10135, LGPN II, Μητροδώρα, p. 312, 5) fut nommée zakore alors qu’Aristodikè était prêtresse, elle accomplit si bien son service que la prêtresse suivante Simalè demanda que Mètrodôra devienne sa zakore et soit nommée à vie. Or, il était décidé qu’une femme ne pouvait être zakore qu’une fois et ne pouvait prétendre à servir une deuxième fois seulement lorsque toutes les anciennes prêtresses auraient servi à leur tour1605. La requête était donc contraire aux règles du culte mais l’assemblée des Orgéons donna son accord pour l’exemplaire service de Mètrodôra. Par la suite, quelques mois après, dans un deuxième décret, Mètrodôra fut définitivement nommée zakore à vie à la demande de toutes les anciennes prêtresses, même celles qui normalement auraient dû prendre sa place1606.

D’autres inscriptions permettent d’identifier des prêtresses de Cybèle et donc de possibles zakores : Chairestratè dont la stèle funéraire rappelle le service comme prêtresse au IVème av. J.C. (IG II2 6288, 360-340 av. J.C. ; PA 15143 ; LGPN II, Χαιρεστράτη, p. 470, 6 ; Fig. 213) ; Nicomachè femme d’Eukliéis à la même période (IG II2 12292 ; Fig. 212)1607 ; Glaukè (IG II2 1314, 213/2 av. J.C.) et Krateia (IG II2 1315, 211/0 av. J.C., PA 8733, LGPN II, Κράτεια, p. 271, 1). La mère de Mètrodôra, Euaxis (PA 5275 ; LGPN II, Εὐαξίς, p. 163, 1) est citée comme ayant été zakore dans l’inscription qui fit de sa fille, Mètrodôra, la zakore à vie (LSCG 48 B = IG II2 1329). Mètrodôra qui fut prêtresse au IIème av J.C. et occupa donc la charge de zakore de 176 av. J.C., date de sa première désignation, jusqu’à sa mort. Aristodikè (IG II2 1328, prêtresse en 176/5 av. J.C. ; PA 1826 ; LGPN II, Ἀριστοδίκη, p. 55, 7) et Simalè (IG II2 1328, prêtresse en 175/4 av. J.C. ; PA 12659 ; LGPN II, Σιμάλη, p. 398, 2) ne furent probablement jamais zakores, mais après la mort de Mètrodôra, la parenthèse exceptionnelle dut se refermer et les Orgéons revinrent aux principes premiers. Par conséquent, Onasô, prêtresse au Ier av. J.C. (IG II2 1334, 74/65 av. J.C. ; PA 11445 ; LGPN II, Ὀνασώ, p. 352, 3) put accéder à la charge.

Concernant le rôle exact de la zakore auprès de la prêtresse, le fait qu’elle fut désignée parmi les anciennes prêtresses indique que son expérience du culte de la déesse comptait dans le rôle qu’elle avait à jouer. Elle devait « accomplir la fonction de zakore et avec la prêtresse, elles devaient exécuter ensemble le service de la déesse 1608», «  comme si la présence et l’action d’une ex-prêtresse expérimentée était indispensable pour la bonne organisation du culte 1609». Elle participait aux rites, assistant la prêtresse dans sa tâche. Elle apparaît comme une guide et rappelle, sur ce point, le rôle que devait jouer la néocore de Sicyone auprès de la prêtresse loutrophore.Il ne semble pas que la fonction comportât un aspect liturgique, rien n’est mentionné d’une quelconque participation financière aux besoins du culte. Dans les décrets, ce sont ses actes religieux qui sont mis en exergue pour justifier sa nomination à vie. Il semble qu’Epiè la néocore possédait un champ d’action assez vaste portant sur les biens fonciers et immobiliers de la divinité, ce qui ne semblait pas être le cas de Mètrodôra la zakore. Par contre, elle pouvait participer à des pratiques rituelles avec la prêtresse, ce qui n’est pas mentionné pour Epiè mais devait être le cas pour la néocore de Sicyone. Mais cette dernière, si elle portait ce titre, possédait un statut particulier qui allait au-delà de la qualification de sa charge : elle était néocore au sens où elle gérait le sanctuaire ; zakore car elle assistait la prêtresse, la guidant dans les devoirs de son culte. De fait, même si on oppose ou rapproche souvent ces deux services, en essayant de mieux les comprendre, il n’est pas toujours évident de cerner leurs prérogatives. Ces charges étaient nées d’une nécessité, dans l’enceinte des grands sanctuaires, répondant à une situation précise : le besoin d’un personnel qualifié aux prérogatives spécifiques pour assister prêtres et prêtresses. Lorsque néocore et zakore servaient au sein d’un même culte, comme à Epidaure (IG IV2 1, 1547), leurs champs d’action devaient être assez clairement identifiés ; mais lorsque dans le culte se trouvait un zakore ou un néocore, leurs actions devaient se rejoindre. Celui ou celle qui assumait la charge, exerçait les prérogatives de l’autre, ainsi pour la fonction de néocore de Sicyone. Ces situations et leur évolution qui les vit assumer des positions extrêmement élevées en certains endroits, notamment l’Asie Mineure, ont entraîné une certaine confusion de leur rôle, que nous ne parvenons pas véritablement à percevoir1610.

A Athènes, sur l’Acropole, dans le culte d’Athéna Polias, les zakores formaient un groupe qui agissait avec la prêtresse1611, comme c’était aussi le cas de Mètrodôra. La charge était probablement annuelle, leur mode de désignation n’est pas connu. Le décret de l’Hékatompédonprécise que les zakores et la prêtresse devaient veiller à ce que des interdits religieux fussent respectés, et si elles devaient faillir, elles auraient alors à payer cent drachmes. La prêtresse, en tant qu’autorité suprême du sanctuaire, supervisait tous ceux et celles qui accomplissaient une tâche religieuse. Elle était responsable d’eux et devaient répondre de leurs actes. Avec les zakores, elle avait ainsi le devoir de veiller à ce que la sacralité du lieu fût respectée. L’amende à payer étant onéreuse, les interdits devaient être importants mais leur nature n’est pas claire du fait des lacunes du texte. L’un semble interdire la construction de baraquements sur l’Acropole, l’autre est de nature plus mystérieuse, le terme thipne[uesthai] (θιπνε[ύεσθαι]) demeurant obscur, faisant apparemment référence à des actes en relation avec le feu1612, comme l’interdiction pour les particuliers de faire du feu ou de cuire des aliments au sanctuaire. Le terme pourrait renvoyer au feu sacré de l’Acropole, qui devait rester allumé jour et nuit pendant douze mois et était renouvelé une fois par an. Les zakores en avaient peut-être la garde. Plutarque indiquait qu’à Delphes et Athènes, cette tâche était dévolue à des femmes, suggérant qu’elles constituaient un groupe, et précise aussi qu’elles n’avaient plus de maris ou de relations avec un homme, c'est-à-dire veuves ou âgées1613. Au vu de l’importance de ce feu sacré, la somme de l’amende en cas de faute, se comprendrait alors. Les zakores d’Athéna Polias étaient en quelque sorte des veilleuses du sacré : de l’inviolabilité des lieux et possiblement du feu sacré. Elles étaient nommées zakores, mais ainsi que le suppose B. Jordan, elles devaient être nombreuses et hiérarchisées1614 et certaines portaient peut-être le titre d’hypozakores. Cette désignation servait à hiérarchiser l’ensemble du groupe, les subordonnées étant nommées ainsi par rapport à la zakore en titre. Mais même subordonnées à une zakore, elles n’étaient pas ses inférieures ou ses servantes, et recevaient elles aussi des honneurs. A Paros, Hérodote évoque Timô, hypozakore de Déméter et Korè, qui participa aux mystères de la déesse et incita Miltiade à voler les hiéra sacrés1615. Lorsque les Pariens voulurent la châtier, ils demandèrent auparavant à la Pythiesi leur désir était juste, ce en quoi elle leur enjoignit de ne pas la toucher, car Timô avait été l’instrument du destin de Miltiade qui, blessé en accomplissant son forfait, mourut peu après. Il n’était donc pas permis de toucher Timô sans prendre des précautions préalables pour ne pas risquer un châtiment divin. Ces différents exemples soulignent que les zakores évoluaient dans le domaine religieux plus que matériel, assistantes de la prêtresse dans les pratiques cultuelles, elles étaient dépositaires du sacré, d’une expérience qui comme Mètrodôra les plaçait dans une position de conseillères ou comme celle d’Athéna Polias, de gardiennes.

Notes
1605.

LSCG 48 A (183/182 av. J.C.) (= IG II2 1328, a) et B (175/174 av. J.C.) (IG II2 1328, b); IG II2 1329 (175/174 av. J.C.). J.A. Turner, Hiéreiai, p. 133-135.

1606.

LSCG 48 B, 14-15.

1607.

Deux autres reliefs funéraires datant du IVème av. J.C. se rapportent à des prêtresses de Cybèle. Cf. Supra Chapitre 4 (3-2 : Des attentions de reconnaissance.)

1608.

LSCG 48 A, 13-14 et B, 4-12.

1609.

S. Georgoudi, ThesCRA V, p. 58.

1610.

L’étymologie du terme zakore (ζάκορος) est obscure. La Souda sv. ζάκορος  le désigne comme un ὑπηρὲτης (serviteur au sens général) ; Hésychius, sv.ζάκοροι décrit la fonction comme semblable à celle de la néocorie, à savoir que le zakore balaie le temple. A l’époque impériale, la zakore fut perçue comme une sous-prêtresse. On considérait que la charge était surtout en relation avec le culte des divinités étrangères, comme Isis et Sarapis, où les zakores possédaient en effet un rang important dans la hiérarchie du sanctuaire (cf. G. Glotz, DA, sv. Zacore ; S. Georgoudi, ThesCRA V, p. 58)

1611.

LSCG 3  = IG I3 4, A et B (485/484 av. J.C.), décret de l’Hékatompédon, relatif à la protection des temples et des trésors de l’Acropole : l. 27-28 « τὰς hιερέας τὰς ἐμ πόλει καὶ τὰς ζακόρος » ; Plutarque, Camille, 30 : «ἱερεῖς τε καὶ ζάκοροι θεῶν » évoquant leur association.

1612.

B. Jordan, Servants of the Gods, p. 78-79 ; M. Dillon, Girls and Women in Classical Greek Religion, p. 90 ; J.B. Connelly, Portrait of a Priestess, p. 62

1613.

Plutarque, N uma, 9 ; S. Georgoudi, « Lysimaqué la prêtresse », p. 204-205 se demande si cette tâche n’était pas celle de la diaconos, car Syèris était décrite comme une personne âgée et correspondait donc à la description de ces femmes. La lampe sacrée d’Athéna se trouvait sur l’Acropole, réalisée par Callimachos, et demeurait allumée jour et nuit pendant un an, au bout duquel un cérémonial avait lieu où la mèche et l’huile étaient changées (Strabon, IX, 1, 16 ; Pausanias, I, 26, 6-7). Ce travail ne demandait pas une attention de tous les instants et les femmes qui s’en occupaient pouvaient accomplir d’autres charges. A Delphes, les femmes chargées de s’occuper du feu sacré portaient le nom d’hestiades (ἡστίαδες), servantes d’Hestia, la déesse du foyer, veillant à ce que jamais il ne s’éteigne (Plutarque, N uma, 9). En Béotie, dans le sanctuaire d’Athéna Itonia, une femme était chargée d’allumer le feu chaque jour sur l’autel de Iodama, prêtresse d’Athéna, changée en pierre après que la déesse lui soit apparue vêtue de la Gorgône. La légende raconte que la statue de Iodama demandait du feu à tous les passants pour se réchauffer (Pausanias, IX, 34, 2). A Sparte, il existait une fonction dite hestia de la cité, probablement en charge du feu civique au Prytaneion. Elles portaient généralement aussi le titre de la « mère de la cité » ou « fille de la cité », démontrant le lien entre le feu civique, l’oikos-cité et le rôle qu’y jouait la femme. Ainsi de Preuklatia, « Fille » et hestia de la cité, à la fin du IIème ap. J.C. (IG V 1, 116) ; de Claudia Damosthéneia qui fut hestia de la cité et « Mère » du Dèmos et de la Boulè, mais aussi prêtresse de différentes divinités au II/IIIème ap. J.C. (IG V 1, 608. Cf. M. N., Tod « Notes and Inscriptions from S.W. Messenia », JHS 105 (1905), p. 51 n. 29 qui a reconnu que IG V 1, 597 et 608 honoraient la même personne et A. J. S. Spawforth, ABSA 80 (1985), p. 233-234 a restauré les premières lignes (l. 1-5) de l’inscription IG V 1, 608) ; de Julia Etarchis qui fut « Fille » et hestia de la cité (IG V 1, 593 ; époque impériale). C’était une charge extrêmement importante, Preuklatia est citée sur une liste des personnes ayant assisté au conseil civique, alors qu’elle devait être en train d’accomplir son service. Elles venaient des familles de l’élite spartiate, occupant parfois plusieurs charges. (S.B. Pomeroy, Spartan Women, p. 126 ; R. van Bremen, The Limits of Participation, p. 169).

1614.

B. Jordan, op. cit., p. 78.

1615.

Hérodote, VI, 134-135.