B-5) Kosméteirai d’Artémis à Ephèse.

Les kosmèteirai (κοσμήτειραι) avaient le devoir de veiller sur la parure de la déesse : bijoux, objets de toilettes, épingles à cheveux, vêtements ………. que la déesse recevait des fidèles mais aussi du personnel du sanctuaire1623. Elles avaient peut-être aussi la charge de s’occuper de la décoration du temple de la déesse1624.

La fonction n’est pas connue avant le Ier ap. J.C. Des inscriptions, datant de la fin du Ier au IIIème ap. J.C., mentionnent une vingtaine de kosmèteirai, issues des meilleures familles de la cité, certaines apparentées : l’une d’elles nomme plusieurs femmes d’une même famille (IEphesos 980 sur cinq générations), ainsi que IEphesos 994 qui nomme une mère et sa fille. Certaines inscriptions sont mutilées et il n’en reste que des fragments (IEphesos 1872, 2902). Généralement, il s’agit soit d’une dédicace honorifique pour un membre de sa famille (IEphesos 742, 792, 875, 980, 3072) ou pour une fille ayant été aussi prêtresse d’Artémis (IEphesos 892, 980, 983, 984, 994). L’une des inscriptions est une épitaphe pour un homme et sa femme qui fut kosmèteira (IEphesos 1655). Deux inscriptions sont des listes honorifiques mentionnant plusieurs noms, citant une femme kosmèteira (IEphesos 993, 1026).

La plupart furent aussi prêtresses de la déesse et Ch. Picard considérait que les kosmèteirai devaient être d’anciennes prêtresses d’Artémis1625. Le tableau suivant, répertoriant les kosmèteirai d’Artémis, va nous permettre de voir plus précisément quelle était la situation.

[Accès à la note 1637 : IEphesos 792 se demande si elle n’était pas Ob. Mindia Ménandra, fille de Gaius Mindius Amoinus, nommée dans IEphesos 992 B, 5 et qui fût peut-être aussi prêtresse, le terme étant restitué.]

IEphesos 996, inscription très mutilée, évoque possiblement une prêtresse et une kosmèteira d’Artémis : « ἱέρειαν] τῆς Ἀρτέμιδος, [κοσμήτειραν] τῆς Ἀρτέμιδος (l. 2) », fille ou mère d’Antonius.

N° 2 – 3 – 4 – 5 – 6 - 7 : Julia Polla ; Mindia Potentilla ; Flavia Polla ; Julia Damiane Polla ; Ulpia Dèmokratia ; Claudia Crateia Veriana.

Elles étaient toutes apparentées. IEphesos 980 qui se réfère à cette famille est un fragment de base, une dédicace en l’honneur de Claudia Crateia Veriana. L’inscription mentionne les charges qu’elle assuma mais aussi tous les membres de sa famille, notamment les femmes, qui accomplirent un sacerdoce ou des charges civiques. L’inscription sert ainsi de prétexte à vanter les mérites de sa famille, remontant jusqu’à ses arrières-arrières-grands-mères, Julia Polla et Mindia Potentilla. Claudia Crateia Veriana s’inscrit dans sa lignée dont les membres féminins sont « [ἀγάνουσα]ν τὸ γένος ἐκ τῶν ἱερειῶν [καὶ κοσμη]τειρῶν (l. 20-21)». Hormis Mindia Potentilla et Ulpia Dèmokrateia qui assumèrent seulement la charge de kosmèteirai de la déesse, les autres femmes furent toutes prêtresses d’Artémis. Certaines accomplirent aussi d’autres charges : Julia Polla fut archiéreia et prytane (IEphesos 989 a, 4-5), Mindia Potentilla fut archiéreia, Julia Damiane Polla fut prytane, Claudia Crateia Veriana occupa les charges de prytane, de gymnasiarque de toutes les gymnasies 1626 et par son mariage, elle acquis le rang sénatorial sous Commode, mais son mari n’est pas identifié. D’autres membres de leur famille occupèrent des charges prestigieuses : le frère de Julia Damiane Polla, C. Antius A. Julius Quadratus, fut proconsul d’Asie à Pergame sous Trajan ; le père de Claudia Crateia Veriana, Claudius Metrobius Verianus était archiéreus, fils d’un archiéreus et d’une archiéreia : Claudius Metrobius et Claudia Crateia1627.

Stemma : IEphesos 980 = H. Halfmann, p. 139.

Il est difficile de dire si Mindia Potentilla était apparentée du côté paternel ou maternel Elle n’est donc pas située dans le stemma.

N° 8  : Ulpia Strattô, fille de Ulpius Mundianus.

L’inscription est en l’honneur de sa sœur, Ulpia Euodia Mundiana, prêtresse d’Artémis. Tout comme pour Claudia Crateia Veriana, les deux sœurs sont inscrites dans une lignée familiale dont les femmes ont assumé les sacerdoces de prêtresses et kosmèteirai : « γένος ἔχουσαν ἄνωθεν ἱερειῶν καὶ κοσμητειρῶν (l. 6-7) ».

N° 14  : Vedia Justa, fille de Vedius Gaius.

L’inscription est en l’honneur de son arrière-petite-fille, Vedia. Celle-ci faisait partie d’une famille dont les membres au IIème ap. J.C. occupèrent de nombreuses charges dans la cité et qui sont rappelées dans l’inscription. Vedia Justa, son arrière grand-mère fut, non seulement, prêtresse et kosmèteira d’Artémis, mais aussi prytane. Le père de Vedia Justa fut grammateus et son mari, Lucius, fut archiéreus. Le fils de Vedia Justa, Vedius Gaius Sabinianus, fut lui aussi archiéreus (l. 3-4). Il épousa Ulpia Servilia, qui fut Matrona Stolata (l. 8-9)1628, fille de Ulpius et Servilia Bassilissa Andronichè qui était prêtresse et dont le père, Servilius Menandros, avait été prytane (l. 9-10). Le petit-fils de Vedia Justa, Vedius Servilius Gaius devint chevalier (l. 2-3). Il épousa Antonia, fille d’Antonius Salvius qui fut grammateus et agonothète (l. 10-14), fils de Antonia Frugilla, prêtresse, et descendant de Claudius Salvius, asiarque à Smyrne (l. 22). Vedius Servilius Gaius et Antonia eurent une fille, Vedia, laquelle devint prêtresse d’Artémis au IIIème ap. J.C. (vers 270). Comme pour Claudia Crateia Veriana, les charges prestigieuses accomplies par ses ancêtres sont énumérées, sans cependant être focalisées sur les charges féminines1629. Nous ne retrouvons pas cette mention d’une lignée féminine assumant les mêmes charges.

N° 15  : Julia Pantima Potentilla, fille de Julius Artemas.

Son père fut asiarque, prytane et grammateus du Démos, de toutes les archai et liturgies (l. 6-12). Julia Pantima Potentilla était riche et participa financièrement à la construction et réparation de plusieurs bâtiments de la cité. Elle fut prêtresse et kosméteira en même temps.

Ainsi que nous le voyons, toutes les kosmèteirai ne furent pas prêtresses d’Artémis : seule une dizaine de femmes sur la quarantaine de prêtresses d’Artémis connues1630 accomplirent les deux charges. Par conséquent, la théorie de Ch. Picard de voir la charge de kosmèteira comme une fonction honorifique à laquelle accédaient de plein droit les prêtresses d’Artémis à leur sortie de charge n’était pas correcte. En considérant la famille de Claudia Crateia Veriana (n°2-7), il supposait que les filles des anciennes prêtresses devenaient alors prêtresses à leur tour, et voyait un processus de filiation matrilinéaire dans la passation des offices1631. Certaines kosmèteirai étaient en effet apparentées : la famille de Claudia Crateia Veriana (n° 2-7) ; Aelia Procla et sa mère (n° 9, 10), mais cette dernière a été prêtresse et kosmèteira, alors que sa fille ne fut que kosmèteira. D’autres kosmèteirai étaient apparentées à des prêtresses d’Artémis sans que ces dernières aient assumé la charge de kosmèteirai : ainsi d’Ulpia Strattô (n°8) et de Vedia Justa (n°14). Il est vrai que dans certaines inscriptions, il est indiqué que les femmes assumaient leur(s) sacerdoce(s) de générations en générations  (n° 2-7, 8, 17 : « κοσμητείρης τῆς Ἀρτέμιδος ἀπὸ προγόνων (l. 4-5)). Mais comme pour les sacerdoces d’Hécate à Lagina/Panamara en Carie, étudiés par A. Laumonier, où certaines familles se vantaient d’avoir des prêtres et prêtresses sur plusieurs générations, il n’était pas fait référence à un véritable sacerdoce héréditaire issu de génè privilégiés, mais à une situation, résultante d’un fait social où les familles les plus riches de la cité avaient monopolisé les fonctions religieuses, donnant l’impression d’une charge héréditaire1632. La lignée familiale est mise en exergue dans cette dénomination d’une transmission des services. Toutefois, même s’il existait un rapport entre les deux charges, la fonction de kosméteira était indépendante de celle de prêtresse. Il n’y avait pas de raisons religieuses à ce rapport entre les deux charges mais une raison sociale. Ainsi, Vedia Justa, dont les sacerdoces ne sont pas définis dans une lignée comme ce fut le cas pour Claudia Crateia Veriana, assuma cette charge de kosmèteira du fait de l’importance de sa famille et de sa richesse. En effet, celles qui assumaient ces fonctions étaient issues des meilleures familles de la cité, dont les membres participaient activement à la vie de la communauté, assumant plusieurs services religieux ou civiques. Certaines kosmèteirai accomplirent d’autres fonctions comme les membres de la famille de Claudia Crateia Veriana (n° 2, 3, 4, 5, 6, 7), de Vedia Justa (n° 14), Julia Pantima Potentilla (n°15), ou encore Claudia Canina Severa, prytane à Ephèse et théore des Mégala Olympia, dont le père fut le premier consul originaire d’Ephèse (n°16)1633. Comme les autres jeunes filles et femmes rencontrées jusqu’à présent, ces kosmèteirai, du moins pour celles dont nous avons conservé la trace, faisaient partie d’un milieu social privilégié.

Les prêtresses d’Artémis étaient des parthénoi mais il est difficile de dire si la charge de kosmèteira était accomplie par des gynaikes ou des parthénoi. Julia Pantima Potentilla fut prêtresse et kosmèteira en même temps (n°15) ce qui inciterait à considérer que comme la prêtrise, les kosmèteirai étaient des parthénoi. La charge n’était probablement pas à vie.

Les kosmèteirai devaient veiller sur la parure de la déesse, et bien que rien ne soit mentionné dans les inscriptions concernant des dépenses pour la parure de la déesse, il est vraisemblable qu’elles contribuaient à pourvoir au costume de la déesse, comme il était d’usage à l’époque pour le personnel cultuel de prendre part aux dépenses du culte1634.

Notes
1623.

Ch. Picard, Ephèse et Claros, p. 240-242 ; H. Engelman, « Inschriften und Heiligtum », p. 33-44 (p. 38 sur les kosmèteirai) ; U. Muss, Der Kosmos der Artemis von Ephesos et Die Archäologie der Ephesischen Artemis.

1624.

A. Laumonier, Les cultes indigènes en Carie, p. 573.

1625.

Ch. Picard, op. cit., p. 241.

1626.

A. Bielman, « Femmes et jeux dans le monde grec hellénistique et impérial », p. 36-42 : la gymnasiarchie féminine (distribution d’huile) était liée à la charge de prêtresse, cette libéralité était attendue comme un devoir.

1627.

H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen teil des Imperium Romanum bis zum ende des 2. Jh. N. Chr., p. 139 Stemma de la famille ; M.-Th. Raepsaet-Charlier, FOS, n° 233 sur Claudia Crateia Veriana  et Les sacerdoces des femmes sénatoriales sous le haut empire, p. 295 ; R.V. Bremen, The Limits of Participation, p. 318-319 n°10 et 21 ; A. Bielman, « Femmes et jeux dans le monde grec hellénistique et impérial », p. 34-36.

1628.

B. Holtheide, « Matrona Stolata, Femina Stolata », ZPE 38 (1980), p. 134 n°27, p. 127-134 : Matrona Stolata était un titre honorifique apparut à l’époque impériale romaine, indiquant une femme d’un rang supérieur, faisant partie de la riche aristocratie.

1629.

Stemma IEphesos 3072.

1630.

Sur les prêtresses d’Artémis à Ephèse, cf. Supra Chapitre 4 (1-1 : Sacerdoces héréditaires)

1631.

Ch. Picard, op. cit., p. 241.

1632.

A. Laumonier, Les cultes indigènes en Carie, p. 367 et Supra Chapitre 4 (1-1 : Sacerdoces héréditaires).  

1633.

H. Halfmann, op. cit., p. 81 ; M.-Th. Raepsaet-Charlier, FOS n° 188 pour Caninia Gargonilla et op. cit., p. 295 ; R.van Bremen, op. cit., p. 317 n°9 ; A. Bielman, op. cit., p. 34-36 sur les femmes théores.

1634.

Ch. Picard, Ephèse et Claros, p. 240-24.