B-2) Identité des hydrophores 

Les hydrophores appartenaient à des familles influentes, dont les membres occupaient des charges importantes. Les données permettent d’établir des liens de parentés entre certaines, mais les recoupements sont rares, attestant que les candidates étaient nombreuses. L’hydrophorie était l’une des charges les plus importantes de Milet. Les rares recoupements d’une hydrophore à l’autre attestent que la charge n’était pas propre à un génos mais ouverte à toutes les filles des familles de l’élite de la cité, lesquelles accaparaient les diverses magistratures. Comme pour les canéphores, nous retrouvons un milieu non fermé, mais délimité par des critères sociaux et financiers, attentif à préserver ses prérogatives ce qui explique les possibles cas d’endogamie familiale, ainsi des parents de Minnis Bérénikè (Liste D, n° 23) mais aussi de ceux de Hié[ro-], fille d’Hègèsithéos (Liste C, n° 1). Son père et sa mère étaient probablement de la même famille : son père Hègèsithéos était le fils de Philippos, lui-même fils d’Hègèsithéos, et sa mère était la fille de Philippos et Hègèsithéa. « La répétition des noms invite à penser que le père et la mère sont proches parents, peut-être frère et sœur 1725». Plus incertaine est la situation de Théogénis (Liste D, n° 40).

Les hydrophores étaient des jeunes filles1726, elles étaient généralement définies sur les dédicaces comme « fille de…. » mais cette désignation n’était pas déterminante au sens où se référant à leurs ancêtres, les hydrophores s’inscrivaient dans leur lignée tout comme le faisaient ceux et celles originaires d’un génos, de façon à exalter leur origine. Cependant, l’une d’entre elle, Julia Bassa (Liste D, n° 32, l. 6) est dite amphitalès (qui a son père et sa mère), et Apollonia est qualifiée de  parthénos (Liste D, n° 59, l. 21) et l’inscription précise qu’elle fut aidée par son père dans sa fonction (l. 18). Les fils de Julia Artémô (Liste C, n° 2) lui ont consacrés la dédicace et les autres charges qu’elle a accomplies sont mentionnées à la suite de la charge d’hydrophore. Aucune inscription ne se réfère à un mari, même lorsque sont mentionnés leurs descendants. En fait, ces dédicaces se rapportent vraisemblablement à une époque ultérieure à l’année où elles accomplirent leur service. De fait, le statut du desservant était généralement précisé et déterminé. S’il était modifié, ce changement se faisait en corrélation avec un événement, et non sans précaution, parfois il était nécessaire de faire appel à un oracle pour savoir si cela convenait à la divinité. Nulle part il n’est fait mention d’une charge, hors les sacerdoces patrimoniaux ce qui n’était pas le cas de l’hydrophorie, où le statut de la desservante varierait d’un âge à l’autre, de parthénos à gynè.

Nous ignorons de quelle façon se faisait le mode de désignation, une liste de candidates devait être présentée et l’hydrophore était désignée soit par tirage au sort, soit par élection à main levée. L’inscription se rapportant à Julia (cf. Liste D, n° 34) évoque une élection à main levée (χειροτονηθεῖσα, l. 11) mais le texte étant fragmentaire, il est difficile de savoir si le passage se réfère à l’hydrophorie. La charge était annuelle mais la durée pouvait être allongée, peut-être par manque de candidates ou parce que l’hydrophore en service remplissait consciencieusement et avec satisfaction son office. Ainsi, Kléa, fille de Pausanias, a accompli son service pendant deux ans (Liste D, n° 13, l. 11) et Nannion, fille de Jason, (Liste D, n° 22), pendant seize mois.

Certaines inscriptions nous informent que les hydrophores accomplissaient les sacrifices cultuels : hydrophores n° 20 (l. 4) et 22 (l. 6) (Liste B) ; de Théogénis, fille de Jason (Liste D, n° 40, l. 5) ; de Symphérousa, fille d’Apellas (Liste D, n° 41, l. 7) ; de Flavia Nônianè Bougèneia Théodotè, fille de Flavius Titus Zôpyros (Liste D, n° 45, l. 13-14) et d’Apollônia, fille d’Apollônidès (Liste D, n° 59, l. 24). Une inscription évoque un sacrifice d’entrée de charge (ἰσιτήριον) accompli par Artémô, fille d’Antipatros (Liste D, n° 55, l. 10). Elles faisaient aussi des libations, ainsi des hydrophores n° 20 (Liste B, l. 5) ; de Symphérousa (Liste D, n° 41, l. 8) ; de Flavia Nônianè Bougèneia Théodotè (Liste D, n° 45, l. 15) ou encore de [….], fille de Cl[audius] Nikomèdès (Liste D, n° 70, l. 7). Elles participaient aux mystères de la déesse comme les hydrophores n° 11 (l. 5), 19 (l. 5), 20 (l. 5), 22 (l. 7) ou encore Théogénis (Liste D, n° 40, l. 6) ; Symphérousa fille d’Apellas (Liste D, n° 41, l. 9-10 évoquant une télétè) ; Julia (Liste D, n° 52, l. 6) ; Apollônia (Liste D, n° 59, l. 24) ; Statilia Julia La[…] (Liste D, n° 65, l. 5).1727.

Le terme d’hydrophore traduit un rapport avec l’eau, laquelle devait être utilisée lors des mystères. L’inscription se rapportant à Théogènis atteste de ce rapport du sanctuaire avec l’élément aqueux (cf. Liste D, n° 40). L’eau devait probablement être placée en relation avec la pureté et le bain rituel des initiés, avec l’idée de mort et de renaissance de ce dernier. La charge d’hydrophore pour la déesse Artémis présentait un parallèle avec celle de loutrophore de Sicyone. L’absence de la mention d’une prêtresse d’Artémis, la présence d’un prêtre prophète pour Apollon, indique que comme la loutrophore de Sicyone, l’hydrophore endossait le rôle de prêtresse de la déesse. Elle devait apporter l’eau du culte, probablement dans une hydrie 1728 et l’utilisait lors des différentes cérémonies, l’eau acquérant comme dans le cas de Sicyone une forme de sacralité octroyée en sa qualité de prêtresse de la déesse.

Les hydrophores assumaient des obligations sacerdotales mais aussi financières, en rapport avec le culte et le sanctuaire. Elles offraient des repas comme Hédèa dite Bérénikè, fille d’Euandrès (Liste D, n° 9, l. 6) ; Méniskè, fille d’Epinikos (Liste D, n°11, l. 23) et Julia (Liste D, n° 52, l. 10). Elles contribuaient financièrement à l’aménagement du sanctuaire comme Théogénis (Liste D, n° 40, l. 10-14) mais aussi Julia (Liste D, n° 34, l. 12). Certaines faisaient des offrandes au sanctuaire (Didyma 370, l. 19-20 (Liste A) (des statues et des objets précieux); Liste B, n° 11, l. 7-10 (portes en bronze du temple d’Artémis) et 19 (un voile) ou assumant matériellement le coût de certaines fêtes, comme Julia (Liste D, n° 34, l. 5-11) qui a financé la fête des Anoigmoi.

Elles faisaient des distributions lors des fêtes religieuses, qui s’adressaient généralement aux femmes, aux jeunes filles et au conseil : ainsi, les hydrophores n° 11, 19 (Liste B) ; Flavia Nônianè Bougèneia Théodotè (Liste D, n° 45) et [….] fille de Cl[audius] Nikomèdès (Liste D, n° 70). Julia Artémô (Liste C, n° 2) et Apollônia (Liste D, n° 59) firent des distributions aux femmes et jeunes filles uniquement. Lorsqu’Artémô (Liste D, n° 55) fit sa distribution aux femmes et aux jeunes filles, ces dernières furent convoquées à l’assemblée (l. 14-15). Julia, fille de Julius Kall[…] (Liste D, n° 52) fit des distributions aux citoyens et organisa aussi des spectacles. L’hydrophore n° 20 (Liste B) fit des distributions aux femmes, aux jeunes filles, aux citoyens et au conseil. Statilia Julia La[…] (Liste D, n° 65) fit des distributions aux hommes libres de Milet1729.

Ainsi, à côté de leurs charges religieuses, les hydrophores assumaient un rôle liturgique et de bienfaitrices1730. De fait, la charge nécessitait une certaine aisance financière qui réduisait le nombre des candidates aux jeunes filles des familles riches. Les œuvres liturgiques qu’elles faisaient, les offrandes, les contributions financières faites en leur nom avec généralement la mention « sur ses propres biens » n’indiquent pas nécessairement qu’elles possédaient une autonomie financière. En effet, la dédicace précise que Théogènis (Liste D, n° 40) fit des offrandes avec ses frères et sa mère (l. 4), et Apollônia (Liste D, n° 59), qualifiée de parthénos, a été aidée par son père pour remplir ses charges liturgiques (l. 18-19). La « fortune personnelle » évoquée pour l’hydrophore de Didyma 385 I, l. 2-4 (Liste A) et celle n° 11 (Liste B, l. 7-8) faisait plus vraisemblablement référence à celle de sa famille1731. En effet, la charge et sa réalisation et les honneurs qui en découlaient ne retombaient pas seulement sur l’hydrophore mais sur sa famille. Cette famille qui n’oubliait pas, dans les dédicaces, de rappeler les offices accomplis par ses ancêtres et ses différents membres, précisant parfois son ancienneté, son honorabilité, son prestige. Les élites exaltaient leur naissance, se réclamant « d’une lignée de bienfaiteurs1732 », les hydrophores en accomplissant leur office pouvaient perpétuer cette lignée.

Notes
1725.

M.-C. Marcellesi, op. cit., p. 105

1726.

R. van Bremen, op. cit., p. 91-95. Contra : J. Fontenrose, op. cit., p. 125 ; M.-C. Marcellesi, op. cit., p. 95 : des parthénoi mais aussi des gynaikes pouvaient parfois accomplir la charge. Elle s’appuie sur le fait que certaines font des dépenses dites personnelles (Didyma 385 I, l. 2-4 (Liste A) et Didyma 381, l. 7-8 (Liste B, n°1)), mais cet argent appartenait plus vraisemblablement en propre à sa famille non à elle. A. Bielman, Femmes en public dans le monde hellénistique, p. 36-39, p. 55 et p. 287 : a observé que « les femmes hellénistiques n’étaient jamais pleinement indépendantes ni autonomes en ce sens qu’elles étaient engagées vis-à-vis de leur oikos et vis-à-vis du patrimoine familial » et « Egéries égéennes, les femmes dans les inscriptions hellénistiques et impériales dans les Cyclades », p. 211-212 où elle étudie plus spécifiquement les femmes dans les Cyclades aux époques hellénistiques et impériales et leur rapport à l’argent, notant que si ces femmes pouvaient bénéficier d’une certaine autonomie financière, en utilisant de l’argent par elles-mêmes, elles demeuraient sous le contrôle masculin, l’argent étant utilisé pour valoriser la famille en faisant des offrandes aux dieux et à la cité. De fait, ce devait être avec l’accord de leur famille que les hydrophores utilisaient cet argent personnel compris comme un bien familial.

1727.

M.-C. Marcellesi, op. cit., p. 93-94 sur leurs actions dans la sphère religieuse.

1728.

E. Diehl, Die Hydria, p. 171-209 de l’usage de l’hydrie dans différents cultes (p. 199-201 : les hydries dans les cultes d’Artémis) ; A. Laumonier, op. cit., p. 584-587 fait un parallèle entre hydrophorie et loutrophorie ; J. Fontenrose, op. cit., p. 126-128 : sur le rôle des hydrophores en relation avec l’eau dans les cultes d’Artémis en Asie Mineure.

1729.

L. Robert, OMS III, p. 1633.

1730.

A. Laumonier, op. cit., p. 584-585 ; J. Fontenrose, op. cit., p. 126 ; R. van Bremen, op. cit., p. 90-95 qui fait un parallèle avec la prytanie d’Ephèse et la kleidophorie de Lagina, et considère que parents et familles supportaient le coût de la charge.

1731.

Cf. Supra note 1739.

1732.

M.-C. Marcellesi, op. cit., p. 108.