4-1) De différentes méthodes pour prédire l’avenir 1775 .

‘« Les uns boivent de l’eau, comme le prêtre du Clarion à Colophon, les autres sont installés sur des failles, comme celles qui prophétisent à Delphes, d’autres hument des vapeurs d’eau comme les prophétesses des Branchides1776. » ’

Chaque manteion possédait une façon de procéder qui lui était propre, avec des signes distinctifs, un décorum spécifique qui constituait sa personnalité. Toutefois, les méthodes se classaient en deux principales formes : la divination intuitive et la divination inductive. Avec la première, le dieu communiquait directement par souffle divin son message (incubation, songe, inspiration). Lorsque le souffle divin passait par émanation directe, la prophétesse dite inspirée entrait en transe via des stimulants. Son délire ne se traduisait pas forcément par un comportement hystérique. Le signe le plus révélateur était les paroles insaisissables qu’elle prononçait, et que les autorités compétentes devaient interpréter pour les fidèles. La prophétesse inspirée était l’interprète directe de la divinité. Elle se trouvait sous son emprise, elle devenait enthéos « habitée, possédée par le dieu » comme l’était les bacchantes ou la prophétesse de Dionysos en Thrace qui délivrait des oracles, inspirée par le souffle du dieu1777. Dans la seconde méthode, la divination inductive (cléromancie, haruspicine, art augural), la prophétesse suivant des règles et préceptes divinatoires prédisait en interprétant les signes1778. Certains sanctuaires privilégiaient l’une ou l’autre des méthodes, d’autres mêlaient les procédés. Ainsi à Patara, la prophétesse d’Apollon rejoignait le sanctuaire, de nuit, où elle y demeurait enfermée, laissant le dieu venir à elle dans ses rêves. Ce procédé était perçu comme une union sexuelle symbolique entre elle et lui. Au matin, elle venait rapporter les réponses aux questions posées1779. A Argos, au sanctuaire d’Apollon, une femme qui devait être chaste, prophétisait une fois par mois, la nuit. Après avoir bu du sang d’une agnelle sacrifiée pour l’occasion, elle devenait possédée par le dieu et prédisait l’avenir1780. Nous ne savons rien sur cette dernière, elle était peut-être une parthénos choisie par tirage au sort pour une durée d’un an comme à Didyme. Dans ce sanctuaire d’Apollon, la prophétesse était une jeune fille issue des meilleures familles de la cité. L’une d’entre elles, Kléopatra, fut la mère d’une hydrophore 1781. Il est possible qu’elle fût choisie par tirage au sort. Tryphôsa, grand-mère de l’hydrophore Platainis dite Tryphôsa, signalait qu’elle avait été élue par le dieu même1782. Après les préparatifs et les sacrifices d’usage, le prophète - personnage principal du sanctuaire - rejoignait l’adyton où demeurait la prophétesse pendant que les consultants attendaient dans le pronaos. Une branche de laurier dans la main, à jeun depuis trois jours, elle respirait les vapeurs d’eau chaude et entrait en transe prononçant les paroles célestes. Le prophète récoltait ses dires et allait les proclamer à voix haute dans une mise en scène saisissante, puis la réponse était rédigée dans le chresmographion. La charge de prophétesse était une création de l’époque hellénistique sous l’influence de Delphes1783. A Didyme, la mantique se faisait par hydromancie, de même qu’à Claros, un autre grand sanctuaire oraculaire d’Apollon où un prophète buvait l’eau de la source souterraine puis se retirait pour prophétiser1784. Parfois un présage pouvait être prononcé par les prêtresses même de la divinité comme nous l’avons vu avec la prêtresse d’Athéna Polias et le serpent sacré1785. En Epire, la prêtresse vierge d’Apollon allait nourrir à la main, lors d’une cérémonie prophétique annuelle, les serpents sacrés du sanctuaire, considérés comme les descendants du serpent de Delphes. Si les serpents étaient agressifs, l’année serait troublée ; si au contraire, ils étaient amicaux et favorables, c’était un signe positif1786. En Achaïe, la prêtresse prophétesse de la Terre buvait du sang de taureau avant de descendre dans la grotte où elle devait rendre ses prédictions1787.

Les méthodes étaient diverses. A l’intérieur même d’un sanctuaire, différentes pratiques ont pu se succéder ou être utilisées simultanément : ainsi, lorsque la réponse donnée ne satisfaisait pas, il était possible de recommencer la consultation par une autre méthode. Les fidèles pouvaient questionner soit directement ou par correspondance, de façon officielle ou à titre privé1788. Avant de commencer, la prophétesse devait se purifier et des sacrifices préliminaires avaient lieu pour vérifier que le dieu agréait la consultation. Cette dernière se déroulait selon un ordre donné, les fidèles - qui avaient effectué des sacrifices préliminaires et payé des droits de consultation - attendaient dans une salle proche de l’adyton, spécialement affectée à cet usage. S’il s’agissait d’une méthode intuitive, la prophétesse en extase prononçait les paroles que lui soufflait le dieu. Avec une méthode inductive, elle regardait les signes, les interprétait selon un savoir ancestral et donnait la réponse, généralement oui ou non.

« Sans demande il n’y a pas d’oracle 1789», et comme les Grecs aimaient à consulter les divinités dans un monde où sacré et profane n’étaient pas dissociés, les demandes étaient nombreuses et diverses, de la plus simple à la plus sérieuse. Ces cultes survécurent assez longtemps, jusqu’aux derniers temps du monde païen, vilipendés par les auteurs chrétiens, périssant petit à petit.

Notes
1775.

A. Bouché-Leclercq, op. cit., Tome 1.

1776.

Iamblique, De Mysteriis, III, 11.

1777.

Hérodote, VII, 111.

1778.

J.B. Connelly, Portrait of a Priestess, p. 238-239 reconnaît une prophétesse sur un relief de Mantinée où l’on voit une femme se tenir debout, un foie dans la main signifiant qu’elle était engagée dans un acte d’haruspicine, mais sans qu’il soit possible de la rattacher à un sanctuaire précis. fig. 8, 13 : Athènes, Musée Archéologique Nationale, n° 226.

1779.

Hérodote, I, 182 ; L.R. Farnell, Cults IV, p. 228 ; J.A. Turner, Hiereiai, p. 179.

1780.

Pausanias II, 24, 1-2. Cf. A. Bouché-Leclercq, op. cit., p. 225-228 ; M. Piérart, « Un oracle d’Apollon à Argos », Kernos 3 (1990), p. 319-335 : qui note le caractère chtonien du site et réfute une quelconque influence delphique.

1781.

Cf. Supra Chapitre 5 (3-2 : Les hydrophores d’Artémis Pythié. Liste B, n° 23 : Didyma 373 (IIème ap. J.C.).

1782.

SEG XXX, 1286, 5 (Ier ap. J.C.) Supra Chapitre 5 (3-2 : Les hydrophores d’Artémis Pythié, Liste D, n° 27).

1783.

Iamblique, De Mysteriis, III, 11 ; A. Bouché-Leclercq, op. cit., Tome 3, p. 230-248 ; R. L. Farnell, Cults IV, p. 227-228 ; A. Laumonier, Les cultes indigènes en Carie, p. 572-573 ; W. Gunther, Das Orakel von Didyma im Hellenistichen Zeit, p. 110-127 sur la mantique à Didyme et le personnel cultuel ; R. Martin et Metzger, La religion grecque, p. 43-53 ; W. Burkert, Greek Religion, p. 115 ; H.W. Parke, The Oracles of Apollo in Asia Minor, p. 1-110 et Appendix II ; J. Fontenrose, Didyma, p. 55-56 sur la prophétesse. C’était un oracle ancien, peut-être d’origine carienne (A. Rehm, Didyma, II, p. 323 B).

1784.

Pline l’Ancien, Histoires Naturelles, II, 232 ; Tacites, Annales, II, 54 ; A. Bouché-Leclercq, op. cit., Tome 3 p. 248-254 ; R. Ginouvés, Balaneutikè, p. 331 ; R. Martin et Metzger, La religion grecque, p. 53-60 ; H.W. Parke, The Oracles of Apollo in Asia Minor, p. 112-169 et Appendix II.

1785.

Hérodote, VIII, 41.

1786.

Elien, La personnalité des Animaux, XI, 2 ; L.R. Farnell, Cults IV, p. 222-223 pensait que les serpents prouvaient qu’un ancien culte chtonien, lié à la mantique de Gaea ou Déméter, avait été absorbé par Apollon.

1787.

Pline l’Ancien, Histoires Naturelles, XXVIII, 41, 147 ; Pausanias VII, 25, 13. Cette pratique servait à prouver sa chasteté lors du rituel de sélection.

1788.

J. Champeau, op. cit., p. 408-421 ; ThesCRA Vol. III, Chapitre 6 : Divination : p. 1-51 (p. 4-14 sur les différentes méthodes).

1789.

J. Champeau, op. cit., p. 407.