5-1) Les abeilles.

Certains de ces ensembles ne sont pas attestés avec certitudes, notamment ceux se rapportant aux mélissai, composant un collège sacré de femmes vivant dans la chasteté et la pureté, entre elles.

Ainsi, l’existence des hiéreiai panageis d’Eleusis n’est pas avérée. Elles sont nommées dans un passage de Pollux, au sens équivoque selon que l’on restitue « ἱέρειαι παναγεῖς » ou « ἱέρειαι, παναγεῖς » 1862. P. Foucart avait établi un lien entre celles-ci et les mélissai évoquées comme prêtresses de la déesse dans plusieurs sources1863 et voyait dans les hiéreiai panageis un collège de femmes qui seraient astreintes au célibat, vivant ensemble, et qui seraient les seules à pouvoir toucher les hiéra 1864. Observant la nature de l’abeille et son lien avec le culte de Déméter, L. Bodson constate que le terme mélissa ne se réfère pas à un titre spécifique dans le culte de la déesse mais à l’analogie faite entre les qualités de l’abeille - travailleuse, consciencieuse, pure, vertueuse - transposées à la femme honorable que le culte de la déesse affirmait. Ainsi, sur le même principe, les femmes aux Thesmophories étaient des abeilles du fait de leurs qualités domestiques1865. Il n’est donc pas certain que les hiéreiai panageis composaient un ensemble sacré, et le terme devait nommer les prêtresses éleusiniennes qui devaient être chastes avant de procéder aux rites1866

De même, la présence d’un collège de mélissai à Ephèse pour Artémis composé de femmes consacrées n’est nullement assurée1867. R. Fleischer et L. Bodson considèrent qu’il s’agit d’une « moderne spekulation »1868 : des essènes sont connus comme officiels religieux dans le culte d’Artémis Ephésia, notamment par des décrets dont le plus ancien date du IVème av. J.C., assistant le prêtre puis la prêtresse pour le sacrifice, organisant les banquets sacrés. Le terme signifie « rois des abeilles,  bienenkönige »1869. Ce terme fut mis en relation avec un passage de la tragédie d’Eschyle, « Les prêtresses »- pièce aujourd’hui perdue et dont il ne reste que des fragments épars - repris par Aristophane dans sa pièce « Les grenouilles » (1274)  évoquant les mélissonomoi (terme créé par Eschyle) au service d’Artémis qui s’apprêtent à ouvrir le sanctuaire (que rien n’indique être celui d’Ephèse)1870. Ces mélissonomoi ont été assimilés aux essènes d’autant plus facilement que, outre leur dénomination de « bienenkönige », les essènes étaient soumis à des exigences de pureté, ainsi que l’indique Pausanias en les comparant au prêtre et à la prêtresse d’Artémis Hymnia à Orchomène qui devaient rester chastes à vie1871. Toutefois, une inscription mentionne bien « les abeilles de la déesse1872 ». Mais l’abeille était un des éléments qui symbolisait la déesse Artémis à Ephèse, et il n’est donc pas surprenant que ceux et celles qui officiaient dans le culte d’Artémis à Ephèse étaient qualifiées d’essènes ou de mélissai, ces dernières pouvant non pas se référer à la désignation officielle d’un office mais aux femmes (prêtresses, kosmèteirai, kosmophores, seleinophores, speirophores,… 1873 ) qui officiaient au sanctuaire, telles des abeilles consciencieuses et qui devaient, durant le temps de leur office, adopter un comportement vertueux sans pour autant vivre recluses.

Notes
1862.

Pollux, I, 35 ; K. Clinton, Sacred Officials, p. 98 ; R. Garland, « Religious Authority in Archaic and Classical Athens », ABSA 79 (1984), p. 103-104.

1863.

Hésychius, sv. μέλισσαι, « αἱτῆςΔήμητροςμύστιδες » ; Porphyre, Antre des Nymphes, 18 : « τὰςΔήμητροςἱερείαςὡςτῆςχθοσίαςθεᾶςμύστιδαςμελίσσας » ; Scholie à Pindare : Pythique, 4, 106 : « Abeilles : les prêtresses principalement celles de Déméter par extension abusive toutes les prêtresses à cause de la pureté de l’insecte » (Traduction L. Bodson, Hiera Zoia, p. 26) ; P. Oxy. fr. 3: « Abeilles : les prêtresses de Déméter. Le même ouvrage d’Apollodore, au livre I, indique que « amenant aux nymphes la corbeille avec le métier à tisser et les travaux de Perséphone, elle fut d’abord à Paros et ayant été accueillie chez le roi Mélissos, elle accorda en faveur à ses filles, qui étaient soixante, le tissage de Perséphone, et c’est à elles les premières qu’elle confia ses malheurs au sujet de sa fille et ses mystères. D’où on appela désormais « abeilles » les femmes qui célèbrent les Thesmophories » (Traduction, L. Bodson, op. cit., p. 29).

1864.

P. Foucart, Les mystères d’Eleusis, p. 214-215 ; G. Mylonas, Eleusis, p. 231 ne remettant pas en cause leur existence mais doutant cependant qu’elles aient eu un rôle cultuel .

1865.

L. Bodson, op. cit., p. 20-36.

1866.

K. Clinton, op. cit., p. 98 ; R. Garland, ABSA 79 (1984), p. 103-104.

1867.

Ch. Picard, Ephèse et Claros, p. 183-184 estimait que le terme de mélissai était peu employé, que leur existence n’était que conjecture et qu’il convenait d’utiliser le terme de façon hypothétique, et l’Ephésia, les amazones et les abeilles, p. 280-283 où il pense que l’existence d’un collège féminin est certaine mais qu’elles ne portaient pas forcément le nom de mélissai ;R. Fleischer, Artemis von Ephesos und Verwandte Kultstatuen aus Anatolien und Syrien, p. 99 et L. Bodson, Hiera Zoia, p. 39-43 remettent en doute leur existence ; H. Engelman, « Inschriften und Heiligtum », p. 37 reconnaît leur existence en tant que servantes de la déesse Artémis, maîtresse de la nature, sans pour autant les spécifier comme un collège.

1868.

R. Fleischer, op. cit., p. 99 ; L. Bodson, Hiera Zoia, p. 39-43 .

1869.

IEphesos, 956-958, 963, 969, 1448, 1578b, 2926, 3263, 3513, 4330. cf. H. Engelman, op. cit., p. 37.

1870.

Ch. Picard, op. cit., p. 182 ; L. Bodson, op. cit., p. 41.

1871.

Pausanias, VIII, 13, 1.

1872.

IEphesos 2109, 6-7 : « αἱμέλισσαιτῆςθεοῦ » ; H. Engelman, op. cit., p. 37.

1873.

L’abeille était représentée sur la parure de la déesse, figurant sur la robe d’Artémis et des bijoux représentant des êtres mi-abeilles, mi-femmes ont été retrouvés. (E. Jensen, RE, sv.Ephesia ; Ch. Picard, op. cit., p. 535-537 ; L. Bodson, op. cit., p. 42 ; H. Engelman, op. cit., p. 37 ; U. Muss, Der kosmos der Artemis von Ephesos). Il serait donc possible que le terme mélissai fut aussi utilisé pour désigner celles qui s’occupaient de la parure divine comme les kosmèteirai.Cf. Supra chapitre 5 (1-5, B-5 : Les kosmèteirai d’Artémis à Ephèse)