5-2) Les Déliades.

L’île de Délos occupait une place particulière dans le paysage choral. Elle était située au cœur des Cyclades, les autres îles l’entouraient dans un cercle qui n’était pas sans rappeler une chorège dans son chœur. Délos était considérée comme « l’île où les chants des chœurs ne se terminent jamais  1874». Elle fut le berceau d’Apollon, c’était là que venaient les théories de tout le monde ionien amenant les chœurs, chantant et dansant pour célébrer les divinités1875. Sur l’île évoluait un chœur composé de gynaikes déliennes1876, constituant un ensemble permanent, les femmes assumant un rôle de femmes sacrées spécialisées1877 au service de l’administration cultuelle de l’île plus qu’à celle d’une divinité particulière. Et précisément, ce chœur portait le nom de Déliades signifiant son appartenance géographique, se définissant comme le chœur de Délos. Le chœur des Déliades se distinguait des autres formations chorales : alors que celles-ci étaient formées pour danser à l’occasion d’une fête particulière pour une divinité, les Déliades célébraient aussi les autres divinités. Ainsi, durant l’époque de l’indépendance de l’île, elles officièrent aux Apollonia, aux Artémisia, aux Aphrodisia, aux Ptolémaia, aux Délia, aux Britomartia, aux Létoia, aux Antigoneia … Cette spécificité tient au fait que les Déliades formaient un chœur permanent, les danseuses demeurant un certain temps membres du groupe. Elles étaient véritablement considérées comme un personnel cultuel non pas seulement d’Apollon mais de l’île de Délos, leurs dépenses étaient ainsi réglées par les hiéropes, les officiels religieux déliens. Ces derniers leur fournissaient les accessoires nécessaires à leurs prestations, notamment lampes et torches suggérant qu’elles se produisaient parfois la nuit et dansaient peut-être en brandissant des torches ou des flambeaux1878. Outre leur talent de danseuses, elles avaient la réputation de savoir « imiter toutes les langues de tous les hommes et leur parler confus  1879».

Elles étaient accompagnées d’une joueuse de flûte, payée par les autorités civiques1880. Nous connaissons trois d’entre elles : Bromias, Kalliopè, Philouménè1881. La joueuse d’aulos pouvait rester assez longtemps en fonction, Bromias que nous retrouvons lors des comptes des années -250, -246 et -231 resta au minimum une vingtaine d’années comme aulète du chœur. Pour Philippe Bruneau, cette permanence de l’aulète prouve la permanence de la composition du chœur1882. Le chœur était renommé dans tout le monde grec, elles ne semblaient pas pratiquer une danse distinctive mais évoluer selon les divinités honorées. Elles participaient aussi peut-être à des actions cultuelles autres que la danse. Nous ignorons la durée de leur service. Nous ignorons aussi comment elles étaient choisies, peut-être tirées au sort sur une liste ou désignées par les hiéropes. Il est difficile de dire si, dés l’origine, le chœur fut constitué sur ce modèle. La mention de certaines sources sur la composition du chœur - essentiellement des sources littéraires faisant référence à une époque légendaire et notamment l’« Hymne homérique à Apollon »1883 - pourrait indiquer qu’à une époque le chœur était composé de parthénoi qui, comme sur l’île de Céos, dansaient pour différentes divinités dans un contexte prénuptial. Elles ne formaient pas alors nécessairement un ensemble officiellement structuré, avec des membres choisis pour constituer un groupe. Puis ultérieurement, il est possible que leur statut ait évolué et que l’ensemble soit devenu un chœur de gynaikes, et qu’en parallèle il se soit changé en un ensemble collégial permanent.  

Notes
1874.

Callimaque, Hymne à Délos, 300 (éd. Belles Lettres, 1948, E. Cahen)

1875.

Thucydide, III, 104, 4-5.

1876.

Certaines sources les désignent comme des parthénoi (Hymne Homérique à Apollon, 158 « les filles de Délos, servantes de l’archer  - κοῦραι δηλίαδες ἑκατη βελέταο θεράπυαι » et 169 « Jeunes filles, quel est pour vous, parmi les poètes d’ici, l’auteur des chants les plus doux et qui vous plaît davantage » (éd. Belles Lettres, 1959, J. Humbert) ; Euripide, Hécube, 462-463 « Me joindrais-je aux filles de Délos, pour célébrer le bandeau d’or et l’arc de la déesse Artémis » (éd. Belles Lettres, 1960, L. Méridier) ; suivies par P. Stengel, RE, sv. Déliades, 1, p. 2435 ; Cl. Calame, Choeurs de jeunes filles en Grèce archaïque, I, p. 194, 201, 203 ; J.A. Turner, Hiereiai, p. 193) ; d’autres les nomment gynaikes (Thucydide, III, 104, 5 ; Ph. Bruneau, Recherches sur les cultes de Délos, p. 34-35 : dans les comptes déliens du IIIème av. J.C. elles sont nommées gynaikes : ID 146 A 57, (-301) et 159 A 32 (-281) : le chœur est désigné par le terme γυναικῶν)

1877.

Cl. Calame, op. cit., I, p. 194, 201, 203 : un chœur de professionnelles ; M.-H. Delavaud Roux, Danses pacifiques en Grèce antique, p. 21 : des prêtresses.

1878.

M.P. Nilsson, Griechische Feste, p. 209-210 évoquant la présence d’un chœur féminin aux Artémisia sans faire le lien avec les Déliades ; Cl. Calame, op. cit., I, p. 202 ; Ph. Bruneau, op. cit., p. 36-37 ; C. Durvye, « Aphrodite à Délos : Culte privé et public à l’époque hellénistique », REG 119 (2006), p. 88. Les hiéropes fournissaient des lampes (λυχ[νεῖα]) des torches pour le choeur (χορῶι λαμπάδες), du bois ([ῥ]υμοί), des branchages ( [κ]ληματίδες), du charbon (ἄνθρακες). (Cf. Ph. Bruneau sur les comptes des hiéropes déliens (IG XI 2, 144, A, 31 et 37 (année 304 av. J.C.) et ID 456, B, 10 (173 av. J.C.), pour les Apollonia (p. 68-69), les Artémisia et Britomartia (p. 198-20 : IG XI 2, 145, 34 à ID 456, B, 13 et 15-16). Il considère que les klématides et rhymoi servaient à allumer les lampades pour la prestation des Déliades. Cf. IG XI2,  158, A 174-175 (282 av. J.C.) dépenses pour le chœur qui va se produire pour l’arrivée des théories.

1879.

Hymne Homérique à Apollon, 154-155 (éd. Belles Lettres, 1959, J. Humbert)

1880.

Ph. Bruneau, op. cit., p. 37 : IG XI 2, 158 A 51 ; 159, A 62 « αυ̉λητρὶςτου̃ ἱερου̃ χορου̃ » ; IG XI2, 161, A 85 ; 162, A 47 ; 199, C, 56-57 « αὐλητρὶςἡ αὐλοῦσα τῶι χορῶι τῶν γυναιχῶν » ; IG XI 2, 203, A 61 « αὐλητρὶςτοῦ χοροῦ » ; IG XI2, 287, A 85 ; ID 290, l. 107 ; 316 l. 116 ; 372 A 98 ; 442, A 197 ; 444 A 28 «αὐλητρὶς ». Son salaire pouvait fluctuer, ainsi entre -281 et -277, il est de 120 à 130 drachmes. En -269, il passe à 180 drachmes. En -231, on note la somme de 195 drachmes, puis à partir de -200, il revient à 120 ou 130 drachmes.

1881.

IG XI 2, 287 A 85 (- 250) ; ID 290, 107 (-246) ; 316, 116 (-231) : βρομίας ; ID 372, A 98 (- 200) : Καλλιόπη ; ID 442, A 197 (-279); 444 A 28 (-177) : Φιλουμένη.

1882.

Ph. Bruneau, op. cit., p. 37.

1883.

Hymne Homérique à Apollon, 178 « Les filles de Délos, servantes de l’archer (κοῦραι Δηλιάδες, ἑκατηβελέταο θεράπυαι » (éd. Belles Lettres, 1959, J. Humbert)