5-3) La question du collège des seize femmes de l’Elide.

A Olympie, il existait un collège féminin composé de seize femmes, appelées ekkaideka gynaikes« ἐκκαίδεκα γυναίκες 1884». Ce collège, ainsi que nous l’avons déjà observé, officiait pour la déesse Héra et pour le dieu Dionysos, assumant diverses fonctions au nom des tribus de l’Elide. Selon la légende, il aurait été créé par Hippodamie pour remercier la déesse d’avoir permis son union avec Pélops1885. Selon le récit historique, après la mort du tyran de Pisa, Damophon (vers 580 av. J.C.), qui avait maltraité les Eléens, les deux communautés décidèrent de se réconcilier : « comme il y avait alors seize cités en Elide, ils choisirent une femme en chacune pour résoudre leurs différends, prenant la plus âgée, et celle qui dépassait toutes les autres femmes par le prestige et la gloire. (…) [Elles] établirent des accords entre les gens de Pisa et les Eléens. » Après avoir rétabli la paix au sein de l’Elide, « on les chargea d’organiser le concours des Héraia et de tisser le vêtement pour Héra. En outre, les seize femmes organisent deux chœurs de danse (…) le chœur de Physcoa, l’autre celui d’Hippodamie ». Lorsque le pays fut réorganisé sur le modèle de huit tribus, avec le synoecisme de -471, leur nombre ne changea pas : chaque tribu envoyant désormais deux femmes, toujours choisies selon les même critères, pour former l’assemblée1886. Cependant, un point demeure obscure en ce qui concerne le culte d’Héra à Olympie, si le collège est mentionné, aucune source, littéraire ou épigraphique, n’évoque jamais la prêtresse de la déesse. Par contre, trois bases inscrites, datant du Ier ap. J.C., furent retrouvées dans le pronaos évoquant des femmes éléennes, honorées pour leurs vertus et qui peut-être avaient appartenu à ce collège :

‘« La cité d’Elis et le conseil Olympique honore Antonia Kléodikè, fille de M. Antonius Alexion et de Claudia Kléodikè, mère de Tib. Claudius Pélops, Claudia Damoxéna et Tib. Claudius Aristoménès, pour ses vertus et sa piété à Zeus Olympios »’

Son père et son neveu, Claudius Antonius Alexicos, furent grands prêtres de Zeus (Ol, n° 426, 30/50 et Ol, n°84, 69-73 ap. J.C.). Son frère, Callipos Pisanos, remporta la victoire équestre à Olympie au milieu du Ier siècle de notre ère (Ol, n° 223 : 41/54 ap. J.C.). Un de ses descendants, Tib. Claudius Pélops, fut élu général de la ligue Eléenne et secrétaire de cette ligue (Ol., n° 430 : 150 ap. J.C.). Son mari était Tib. Claudius Aristéas.

‘« La cité d’Elis honore Claudia Alkinoa, fille de Cl. Théogénès et Julia Chrysaréta, femme de Lucius Vetlenus Phloros, pour toutes ses vertus. » ’

Son mari venait d’une famille éminente, son fils L. Vetlenus Laetus fut archonte, archiéreus de l’empereur Nerva, chiliarque de la légion, alytarque, epimélète, prêtre de Zeus Olympien, agoranome et gymnasiarque (Ol. n° 437). Il fut honoré d’une statue par tous les athlètes ayant participé aux jeux lorsqu’il fut agoranome (Ol. n° 436, 85 ap. J.C.)

‘« La cité d’Elis honore Numisia Teisis, fille de L. Vetlenus Laetus et de Flavia Gorgô, pour toutes ses vertus et sa sagesse ». Elle était la petite fille de la précédente. ’

Ces femmes venaient de familles jouant un rôle certain dans la vie éléenne. Rien n’indique qu’elles aient assumé une charge sacerdotale mais la présence des inscriptions dans le pronaos, ajouté à un honneur publique, pourrait le signifier1887. La mention de leurs vertus et pour Numisia Teisis, de sa sagesse, n’est pas sans rappeler les qualités des femmes qui composaient le collège. De plus, le collège n’ayant pas de nom particulier, il ne serait pas surprenant que les inscriptions se rapportant aux seize femmes ne mentionnent pas un titre précis. Il est tentant de penser que ces inscriptions pouvaient les évoquer, la formule utilisée « πάσης ἔνεκεν ἀρετῆς» - pouvant signifier vertus, services, mérites ou nobles actions – se retrouve sur plusieurs inscriptions honorant des femmes par la cité. Ainsi à Sparte, Claudia Damosthéneia II, de la famille des Claudii, fut honorée par la cité avec une statue rappelant ses qualités et ses actions dans la sphère féminine : « πάσης ἀρετῆς ἐν ταῖς γυναιξὶν εἴνεκεν  (l. 6-7) »1888, une formule qui se retrouve dans les inscriptions pour Memmia Xénokrateia où elle est honorée comme archèïs et théore à Sparte, vantant sa sagesse et ses mérites : « [σωφ]ρ̣̣̣οσύ [ν]η̣ς τῇ καὶ σεμνό[τητος καὶ τ]ῆς ἄλλ[η]ς πάσης ἀρετῆς 1889» , suggérant que Damosthéneia ait pû jouer un rôle dans la sphère publique, notamment religieuse1890. S’il n’est pas possible d’affirmer que ces femmes faisaient partie du collège éléen, il est par contre certain qu’elles n’étaient pas des prêtresses. Les inscriptions qui mentionnent des prêtresses à Olympie concernent la prêtresse de Déméter Chamyné. De fait l’existence même de la prêtresse est incertaine1891. Dans le culte de la déesse, c’était le collège d’Olympie qui organisait et présidait la fête des Héraia, qui organisait le chœur d’Hippodamie et les concours, tissait le péplos. Les seize femmes accomplissaient les purifications d’usages pour ceux et celles qui allaient pratiquer un acte cultuel «  avec un porc et de l’eau convenable à la purification. Ces cérémonies avaient lieu à la fontaine Piéra » qui se trouvait sur la route menant d’Olympie à Elis1892. A Olympie, le collège des seize femmes se trouvait peut-être dans la même position que la Basilinna et les gérairai athéniennes, dans le culte de Dionysos, assumant la charge sacerdotale lors de certaines cérémonies.

Notes
1884.

Pausanias, V, 16, 3.

1885.

Pausanias, V, 16, 4.

1886.

Pausanias, V, 16, 5-7 

1887.

Th. F. Scanlon, « The Footrace of the Heraia at Olympia », AW 9 (1984), p. 86-87 pense qu’il pourrait s’agir des seize femmes.

1888.

IG V 1, 590 (début IIIème ap. J.C.)

1889.

IG V 1, 586, 8-9. Sur l’inscription de Pompeia Polla, archèïs(IGV 1, 587, 6-8). (IIème ap. J.C.)

1890.

A. J. S. Spawforth, « Families at Roman Sparta and Epidaurus, some Prosopographical Notes», ABSA 80 (1985), p. 238-239. Vanter les qualités morales et féminines de la personne à qui était conférée des honneurs publics était devenu courant à l’époque romaine. Nous retrouvons aussi ces énumérations vertueuses sur les épigrammes funéraires pour celles qui n’accomplirent pas de sacerdoces et celles qui en effectuèrent (A-M. Verilhac, « L’image de la femme dans les épigrammes funéraires grecques », TMO10 (1985), p. 85-112 ; A. Bielman et R. Frei Stolba, « Femmes et funérailles publiques dans l’antiquité Gréco-Romaine », p. 5-31 ; C. Breuer, Reliefs und Epigramme griechischer Privatgrabmäler. Zeugnisse bürgerlichen Selbsterverständnisses vom 4 bis 2 Jahrhundert v. Chr., Wien (1995) : annexes où sont répertoriés tous les termes qualifiant les défuntes)

1891.

A. Moustaka, « On the Cult of Hera at Olympia », p. 199-205 qui remet en cause l’ancienneté et l’importance du culte d’Héra à Olympie. Cf. Supra Chapitre 1 (2-3 : Les ekkeideka gynaikes d’Elis et d’Olympie).

1892.

Pausanias, V, 16, 8 (éd. Belles Lettres, 1999, J. Pouilloux, A. Jacquemin, M. Casewitz). cf. K. Clinton, « Pigs in Greek Rituals », p. 167-179 sur l’utilisation des porcs dans les rituels de purification, qu’il observe être plus courant que dans les rituels de sacrifices.