Les femmes, une composante essentielle, a dompter des le plus jeune âge.

Les femmes constituaient une composante essentielle de la religion grecque, détentrices d’un savoir inné hérité de leur biologie, mais placé sous contrôle de la communauté civique pour que cette force soit utilisée à bon escient. La communauté féminine, c’était les gynaikes qui accomplissaient ces pratiques secrètes, mais aussi les parthénoi, des gynaikes en devenir, que les services auxquels elles participaient allaient intégrer à la fois à la cité et à la communauté féminine. Dans une société où la religion servait de base pour instruire les valeurs de la cité et agréger les plus jeunes à sa communauté, les filles évoluaient et apprenaient comment se comporter, ce qu’elles étaient, ce qu’il leur fallait devenir, le but final étant le mariage et la procréation. Il est d’ailleurs à noter que parmi les charges les plus anciennes accomplies par les femmes, nombreuses étaient celles qui se réalisaient dans cette sphère féminine, ceci pouvant signifier que les services religieux féminins furent structurés par la cité pour répondre à la nécessité de socialiser les parthénoi et de canaliser la communauté féminine afin que leurs forces puissent être profitables à la communauté.

Par contre, il ne s’agit pas de confondre ces services religieux à caractère initiatique avec un véritable cursus éducatif. Les filles apprenaient leur futur rôle auprès de leurs mères et des esclaves dans l’oikos familial. Ces services religieux à caractère initiatiques étaient surtout un enseignement de valeurs, pour que la fille devienne telle que la cité le désirait. C’était un domptage plus qu’une éducation1935. D’ailleurs, ces charges, orientées sur les deux aspects principaux de la femme abeille (domesticité et fertilité/sexualité), ne correspondaient pas nécessairement à un cycle initiatique élaboré. Toutefois, elles s’inscrivaient dans une sorte de progression, composée d’étapes successives qui marquaient et témoignaient de la maturité physique et mentale acquise par la fille. Des parcours sont plus apparents dans certaines cités, lorsque plusieurs de ces pratiques nous sont contées, alors qu’ils sont à peine perceptibles dans d’autres où seul un rituel nous est connu. Ainsi, à Athènes et Sparte, ou encore Argos, se dessinent des ensembles structurés différents les uns des autres, chacun correspondant à la sensibilité culturelle de la cité dans laquelle ils se déroulaient1936.

A Athènes, citons Aristophane : « A sept ans, je fus arrhéphore. Alétride dans ma dixième année pour la protectrice et portant la crocote, ourse aux Brauronies. Une fois belle et grande, je devins canéphore et portais un collier de figue 1937  ». A ces services, il nous faut aussi nommer ceux des alétides, loutrides et ergastines. Dans les sources, seul l’âge des fillettes pré-pubères est mentionné, les autres jeunes filles étaient nubiles, prêtes à se marier, leur âge ne comptait pas. Ainsi, elles pouvaient être ergastines avant d’être canéphores ou vice versa1938. La fille suivait un cycle évolutif, d’abord physiologique avec la rupture biologique et la participation à l’arkteia, puis sociologique avec l’arrhéphorie. Ces fonctions se complétaient, l’une constituant une initiation biologique et l’autre civique, ayant pour but de provoquer la rupture avec le monde de l’enfance. Les alétrides étaient comme l’aliment qu’elles manipulaient : non encore civilisées, elles étaient modelées pour le devenir. A la limite de la nubilité, l’alétide se positionnait dans un dernier moment entre l’enfance et l’état de parthénos, moment fragile et dangereux où la biologie de la fille pouvait l’entraîner vers la mort. Une fois nubiles, les parthénoi ne participaient plus à des services initiatiques mais intégratifs, qui démontraient leur capacité à faire partie de la communauté civique, notamment la canéphorie qui marquait la présentation de la fille aux citoyens, témoignant de sa socialisation et de son intégration dans les cadres sociaux et civiques.

A Sparte, les fillettes connaissaient un rite biologique au sanctuaire d’Artémis Orthia, qui comme pour l’arkteia, par des danses et possiblement des courses, les coupait du monde de l’enfance. Mais comme pour les alétides athéniennes, à l’approche de la nubilité, le danger qui sommeillait en elles devenait plus fort et il fallait alors l’étouffer, tout comme le sang risquait de les étrangler. Au sanctuaire de Caryatis et Limnatis, elles conjuraient par des danses et des pratiques rituelles le destin tragique de leurs homologues mythiques. Ensuite la fille allait définitivement rompre avec ce statut ambivalent et revendiquer sa féminité, témoignant qu’elle était prête à devenir femme, lorsqu’elle courait pour Hélène, et mère, pour Dionysos et les Leucippides. Comme pour les canéphores athéniennes, son cycle se terminait par la présentation à toute la communauté à la fête des Hyakinthies et le défilé sur les chars colorés1939.

A Olympie, tous les quatre ans lors des Héraia, les fillettes et les jeunes filles, dans différentes classes d’âge, s’affrontaient dans des courses. La fillette progressait ainsi toutes les quatre années, changeant à chaque fois de statut, acquérant la nubilité. Puis, après avoir concouru dans sa dernière course, la fille pouvait participer à un chœur de danse, celui d’Hippodamie, lequel marquait le dernier stade de leur maturation et témoignait, par le contrôle que demande la réalisation chorale, de sa socialisation. La représentation publique marquait son intégration.

A Argos, comme à Athènes et Sparte, la fille participait à différentes activités mais il n’est pas toujours évident de distinguer une progression : tous les services dont nous avons connaissance étaient accomplis par des parthénoi nubiles. Toutefois, le fait que les parthénoi argiennes, nommées lotrochooi, participaient à des courses et au bain de la statue d’Athéna, pour une divinité athlétique, aux caractères masculinisés, pourrait indiquer qu’elles délaissaient, ce faisant, la part ambiguë qui était en elles pour accepter leur féminité. Cette féminité connaissait alors son épanouissement avec les courses qui se déroulaient sur le dromos pour Chloris et Antheia, entérinée par la procession et les danses des anthesphores lors de la fête d’Héra Antheia. Les parthénoi argiennes étaient devenues des jeunes filles en fleurs, prêtes à se marier. Cet état était démontré par leur capacité à tisser le patos pour Héra Argienne et leur rôle en tant qu’Hèrésides auprès d’Héra Akraia, dans des contextes nuptiaux avérés. Leur intégration définitive avait lieu lors de la grande fête des Héraia argiennes, doublée d’une présentation à la communauté1940.

Ainsi, les modèles pouvaient ne pas être les mêmes - accentués sur la biologie féminine, la sexualité et la féminité comme à Sparte, à laquelle se mêlait des fonctions de la sphère domestique comme à Athènes et Argos - mais les processus tendaient tous à socialiser et intégrer la fille, en fonction de la place que leur accordait la cité au sein de la société. Et en participant, les parthénoi elles-mêmes reconnaissaient et acceptaient cette place. La majorité des filles qui accomplissaient ces services étaient issues des meilleures familles mais la représentation était symbolique, c’était l’idée de la parthénos, celle de la communauté féminine qui était mise en valeur. Cette volonté de distinguer les filles des élites, appelées à devenir les premières des gynaikes, n’était pas négligeable : la cité était directement concernée par la réalisation de ces services religieux féminins qui nourrissaient l’idée que la communauté entière se faisait d’elle-même. C’était cette dernière qui, en fonction du rôle qu’elle reconnaissait à ces services, avalisait le statut de ces femmes. A travers ces services, les filles et les femmes se positionnaient dans leur cité, confortées dans l’idée qu’elles étaient les meilleures dés leur plus jeune âge, accomplissant les fonctions les plus prestigieuses qui cautionnaient cette perception d’elles-mêmes.

Notes
1935.

L. Bruit Zaidman, « Le temps des jeunes filles dans la cité grecque », Clio 4 (1996), p. 33-50 : « Tout ce qui définit le temps des jeunes filles : l’attente du mariage ; l’accomplissement nécessaire souhaité, qui donnera tout son sens à la vie de femme et mère » (…) « conception sociale de leur place et de leur rôle » (..) renvoyant à « des images codifiées qui ne prennent leur sens que par rapport à la place que la cité réserve à ces jeunes filles et au destin qu’elle prépare et auquel elles s’identifient » avec « l’étroite relation entre la survie de la cité et ce groupe d’âge qui doit assurer l’avenir » 

1936.

Supra Chapitre 1 et 2 pour les services évoqués. Sur les pratiques initiatiques féminines : H. Jeanmaire, Couroi et Courètes ; A. Brelich, Paides e Parthenoi ; Cl. Calame, Chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque, I et II, distinguant notamment un cycle spartiate ; B. Sergent, L’homosexualité initiatique ; I. Savalli, La donna nella società della grecia antica, p. 71-78 ;P. Brulé, La fille d’Athènes et « Des osselets et des tambourins pour Artémis », Clio 4 (1996), p. 11-32 ; K. Dowden, Death and the Maiden ; Chr. Sourvinou-Inwood, Studies in Girl’s Transition ; M. Golden, Children and Childhood in Classical Athens ; L. Bruit-Zaidman, « Les filles de Pandore, femmes et rituels dans les cités », p. 364-403 et « Le temps des jeunes filles dans la cité grecque », Clio 4 (1996), p. 33-50 p. 33-50 ; S. H. Lonsdale, Dance and Ritual Play in Greek Religion ; S. Cole, « Domesticating Artemis », p. 27-43 analysant les initiations féminines et comment les rites et les actes influent sur la cité, notamment dans les cultes d’Artémis ; J. Ducat, Spartan Education, p. 223-245. Déniant les initiations féminines : P. Vidal-Naquet, Le cru, l’enfant grec et le cuit, p. 177-199.

1937.

Aristophane, Lysistrata, 641-647 (éd. Belles Lettres, 1958, V. Coulon)

1938.

Supra Chapitre 2 (1-2, D-2 où sont nommées les filles qui accomplirent les deux services).

1939.

Cl. Calame, op. cit., I, p. 355-356 reconstruisant un cycle situe les rites se déroulant à Orthia en premier, puis Caryatis et Limnatis dans une période assez proche. Ensuite, il situe la présentation des Hyakinthies avant les courses, celles-ci venant compléter, pour lui, la maturité féminine de l’acquisition des traits beautés.

1940.

P. Marchetti, Le nymphée de l’agora d’Argos, p. 247 estime que le tissage du patos pour Héra précédait les courses pour Chloris et Antheia.