Ressemblances et dissemblances, une création étudiée.

De fait, il n’est pas anodin que de nombreux services religieux féminins apparaissent dans les sources à l’époque hellénistique et surtout à l’époque impériale : ainsi des hydrophores de Miletet des hiérai laconiennes et messéniennes (début II ème av. J.C.) ; des xoanophores de Messène (I er av./I er ap. J.C.) ; des archèides de Delphes et de Sparte, thoinarmostriai laconiennes, kosmèteirai d’Ephèse, herséphores athéniennes ou anthophores de Thasos (II ème ap. J.C.), sans qu’il soit permit de cerner leur origine ou de savoir s’ils existaient auparavant. L’instauration de certaines charges correspondait à un besoin cultuel mais il est possible que d’autres furent créées pour répondre à un besoin social, comme ce fut le cas pour la charge d’ergastine à la fin du IIème av. J.C., la cité agréant aux demandes des élites de voir leurs filles et femmes accéder en plus grand nombre aux charges religieuses en vue d’une valorisation personelle. D’une certaine façon, la cité nourrissait ce désir de valorisation, dons et obligeances rejaillissaient sur elle et sa communauté ; de même que les élites elles-mêmes en venaient à valoriser ces charges religieuses par la présence de leurs femmes ou filles. Faites par et pour les élites, ces fonctions se voulaient honorifiques et illustres, et étaient ainsi considérées.

Cette participation élitiste a toujours plus ou moins fortement dominée, selon les époques, les services religieux féminins. Déjà aux époques archaïque et classique, dans la sphère féminine, ces services étaient principalement accordés aux meilleures, aux femmes et filles des premiers citoyens, comme à Argos ou Sparte. Même à Athènes, où la démocratie permettait une plus grande participation, la sélection tendait à privilégier celles qui faisaient parties des familles considérées comme les meilleures. La notion d’eugénès étant alors privilégiée, basée sur l’autochtonie plus que la richesse, dans une conception mélangeant noblesse de sang et d’âme, qui ne pouvait que rejaillir sur le service lui-même, satisfaire la divinité, et donc apporter bénéfices à la communauté. « Beau et bien née » étaient des marques de respect pour la divinité. Par conséquent, les services religieux féminins les plus anciens jouissaient d’une aura et d’un prestige que l’on pourrait qualifier d’aristocratique, ce qui pourrait expliquer les nombreuses analogies que nous retrouvons entre les fonctions à travers les époques. Car, ces services n’étaient pas figés et pouvaient évoluer en fonction des besoins et de l’évolution du religieux inscrit dans celle de la société. Néanmoins, ces charges demeuraient profondément grecques, et si les élites se romanisèrent, les charges religieuses conservèrent leur caractère hellénique. Si comme nous pouvons le supposer, beaucoup de ces services furent créés ou recréés à l’époque impériale, ils présentaient des analogies avec des charges plus anciennes se réalisant généralement dans la sphère féminine. Cette dernière a engendré de nombreuses fonctions, mais les nouvelles charges, si elles se constituèrent sur le même mode que les anciennes, s’inspirant de ces dernières, n’avaient pas nécessairement la même signification, ni ne se réalisaient dans le monde féminin, même si elles pouvaient y participaient. Toutefois, en situant ces nouvelles fonctions dans un ensemble déjà établi, considérée comme prestigieux, cela leur donnait une valeur incontestable et garantissait leur qualité.

De fait, si les femmes pouvaient accomplir de nombreuses fonctions religieuses, ces dernières ne présentaient cependant pas une diversité trop conséquente. Chacune de ces fonctions correspond ou peut être assimilée à une autre fonction. Ainsi les hersèphores, xoanophores de Messène, anthophore de Thasos faisaient partie du concept plus général des « porteuses sacrées », avec les analogies qui en résultent et les différences qui spécifient chacune de l’autre. Plus complexe, les archèides, thoinarmostriai, hiérai se définissent comme des « responsables », vaste ensemble où les frontières entre leurs prérogatives respectives sont difficiles à cerner, fonctions créées sur le modèle de ces femmes qui agissaient dans le culte de Déméter. Tous les services constituaient ainsi un ensemble homogène présentant des analogies qui permettaient leur compréhension. En conséquence, les fonctions se répondaient les unes aux autres, elles se comprenaient en fonction des autres et cela les rendait complémentaires. Ceci est particulièrement visible dans les domaines de la sphère initiatique où les différents rôles que les filles accomplissaient se lisent suivant une progression de leur état physiologique et mental. Certaines fonctions possédaient plusieurs niveaux de compréhension, leur interprétation se comprend en fonction du contexte dans lequel elles se produisent et en fonction des niveaux de lecture des autres charges. Ainsi, des archèides et des thoinarmostriai, des hiérai ou de la Basilinna qui participaient toutes d’une fonction de souveraineté, dans des actes et cadres différents, avec plus ou moins d’autorité, religieuse ou administrative, voire équivalent pour la Basilinna à la charge de prêtresse. Aucune fonction n’était complètement semblable à une autre, des différences les spécifiaient les unes par rapport aux autres ce qui établissait leur individualité qu’il ne s’agit pas de nier en les classifiant dans des sous-distinctions. Ce fait témoigne de la formidable vivacité d’une religion capable de réinventer de nouveaux services et cadres dans lesquels les femmes pouvaient évoluer.

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Si nous avons ainsi divisé en deux principales catégories les services religieux féminins, prêtrise et fonctions d’officiantes spécialisées, c’est pour plus de clarté, cette distinction ne correspond pas à la vision qu’en avaient les Grecs anciens. Car s’il est assuré que la prêtrise constituait le principal sacerdoce, les autres services religieux féminins n’étaient pas simplement « un groupe d’auxiliaires sacerdotales » ainsi que le souligne Stella Georgoudi1951. Notre entendement demeure encore limité. Ainsi, si la hiérophantide n’est nullement subalterne de la prêtresse de Déméter et Korè, elle n’est pas pour autant une prêtresse. Les informations dont nous disposons ne permettent pas de saisir toute la dimension de cette charge pour elle-même et par rapport à celle de la prêtresse, d’où le qualificatif inachevé de « charge supérieure » qui lui fut attribué. De fait, les services religieux féminins se composaient de nombreuses distinctions et autorités pour constituer un ensemble cohérent, où les hiérarchies étaient subtiles et où les valeurs qui en marquaient les statuts nous demeurent encore, pour beaucoup, inconnues. Toutefois, l’observation de ces différents services permet de mieux les cerner, et s’il ne s’agit pas de généraliser une définition à un ensemble, du moins nous percevons la complexité, leur forme de complémentarité et le principe de ces fonctions.

Notes
1951.

S. Georgoudi, « Athanatous Therapeuein. Réflexions sur des femmes au service des Dieux », Kernos Supplément 15 (2005), p. 75.