1. A l’origine…

1.1 Ingénieur, inventeur

Dans le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey (1994), le mot ingénieur vient de l’ancien français engigneor, ingeigneur « constructeur d’engins de guerre » (1155), dérivé de engin au sens de « machine de guerre ». Le mot ingénieur vient du latin ingenium, qui signifie disposition de l'esprit et invention. Ceci rejoint bien le travail premier des ingénieurs qui inventaient des engins pour la guerre et la construction pour ensuite devenir ceux qui développaient l’économie. Ce mot ingénieur entre dans de nombreux syntagmes tels que Ingénieur des ponts et chaussées (1747), ingénieur civil, ingénieur des arts et métiers, ingénieur chimiste, ingénieur mécanicien. Le mélange entre l’activité propre à tout ingénieur et le secteur dans lequel il exerce indique alors qu’une des composantes de ce métier est d’être très liée au contexte industriel et son évolution.

Ainsi, la construction d'instruments, l'invention des pompes, des moulins, des horloges ou la construction de canaux, font qu’à partir du XVe siècle les « engegnors » se multiplient. Ingénieur a donc d’abord désigné un constructeur, un inventeur d’engins de guerre ou un constructeur d’ouvrages de fortification : le mot est encore en usage dans ce sens au XIXème siècle.

La Renaissance semble marquer un tournant important dans l’évolution du métier d’ingénieur.

‘Bertrand Gille (1964) explique que « c’en était donc fini, et définitivement, d’un soi-disant dédain pour la technique… De toutes parts, on commençait à rendre hommage à l’ « ingénieur », sous ses aspects les plus multiples, non pas seulement à l’homme de guerre, habile à construire une fortification imprenable, à conduire un siège heureux, à fabriquer une machine étonnante, mais aussi à ceux qui savaient améliorer une fabrication, creuser un port de mer, construire un canal. » (Gille, 1964, p.48) ’

Les ingénieurs semblent alors être le lien entre les savants, calculateurs de l’abstrait et les artisans, fabricants du concret. Les capacités à réaliser de l’ingénieur vont ensuite se compléter par une recherche des concepts en mathématiques, en géométrie et en mécanique, indispensables pour résoudre les problèmes pratiques.

L’explosion culturelle de cette époque fait des ingénieurs des experts dans tous les domaines techniques connus, mais avec un côté artiste, et une place particulière de conseiller et ami des princes.

‘Gourisse décrit l’ingénieur humaniste de la Renaissance comme « un homme résolument moderne : il n’est pas homme de corporations. Il forme avec les autres ingénieurs une communauté d’esprit internationale. Savant humaniste universel, il ne connaît pas de frontières et parcourt l’Europe. Enfin, et peut-être surtout, il n’a pas suivi de formation académique spécifique : il va de chantier en chantier et se forme au contact d’autres collègues. » (Gourisse, 1999, p.1) ’

A cette époque, devenir ingénieur, ce n’est pas suivre une formation et obtenir un diplôme d’ingénieur mais il s’agit de se faire reconnaître comme ingénieur par les inventions et les réalisations qui en découlent. L’accent est mis sur ce qui est inventé, dessiné, réalisé.

Le mot ingénieur s’emploie aussi, au XVII et XVIIIème siècle, comme équivalent d’architecte. Il se spécialise par la suite, pour désigner une personne qui, par sa fonction scientifique et technique, est apte à diriger certains travaux, à participer à des recherches. Cet emploi moderne apparaît au XVIIème siècle et se répand avec le développement de l’industrie. Et, jusque là, le modèle de formation des ingénieurs est semblable au modèle du compagnonnage, la formation se fait « sur le tas » au contact des pairs ; il n’y a pas de formation académique spécifique.