1.2 Ingénieur, membre des corps d’Etat

Au XVIIIème siècle, lorsque l'Etat français souhaite se doter d'un corps de fonctionnaires homogènes, capables de gérer des projets, il institue des écoles pour former des ingénieurs. Elles ont pour vocation de concilier formation scientifique et formation pratique, de manière à former des ingénieurs accomplis. Ainsi sont créées l'Ecole Royale des ponts et chaussées (1747), l'Ecole Royale du génie militaire (1748), l'Ecole Royale des ingénieurs constructeurs de vaisseaux (1765) et l'Ecole Royale des mines (1783).

« L'ingénieur est celui qui invente, qui trace et qui conduit des travaux et des ouvrages, pour attaquer, défendre ou fortifier des places. Se dit aussi de celui qui conduit quelques ouvrages ou travaux publics, tels que la construction ou l'entretien des routes, la construction des vaisseaux, l'exploitation des mines » (Dictionnaire de l’Académie Française, 1878). ’

L’ingénieur devient peu à peu le concepteur- maître d’œuvre.

Dans les années 1760, le corps des Ingénieurs des Ponts et Chaussées, devenu le principal responsable des travaux publics, instaure progressivement ce qui deviendra officiellement l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Selon Picon (1994), l’Ecole se distingue en ne recrutant pas ses élèves sur concours mais sur lettres de recommandations et en accordant une place importante à l’apprentissage sur le tas.

«  Jusqu'à la Révolution, il n'y a pas de cours magistraux, à la différence de ce qui se pratique à Mézières, mais un étrange système d'enseignement mutuel qui voit les élèves les plus instruits professer à leurs camarades les connaissances scientifiques indispensables à l'état d'ingénieur. Assez longue, de cinq à sept ans en moyenne, la scolarité est d'autre part entrecoupée de stages sur le terrain qui permettent aux futurs ingénieurs de se familiariser avec les détails concrets du métier. Le caractère assez rudimentaire de la formation en mathématiques et en mécanique trouve sa contrepartie dans une initiation très poussée au projet sous toutes ses formes, projets de routes, de ponts, de canaux, mais aussi d'architecture, travaux cartographiques et relevés de toutes sortes. L'ingénieur des Ponts et Chaussées du XVIII e siècle est encore un "artiste" proche parent de l'architecte dans son recours permanent au dessin, dans son souci d'une monumentalité très vitruvienne d'inspiration. » (Picon, 1994, p.78)’

Le système des Grandes Ecoles se met en place avec une pédagogie centrée sur la pratique et les allers-retours entre théorie et pratique.

Créée dans la foulée de la Révolution, en 1794, l'Ecole polytechnique, héritière des idéaux encyclopédistes des Lumières, jouit d'une forte valeur symbolique (Belhoste, 1994). Destinée à être la pépinière d'une nouvelle élite de savants et d'industriels, elle incarne l'idéal du progrès par les sciences.

‘Novatrice par ses effectifs et ses orientations pédagogiques, plusieurs centaines d’élèves recrutés sur concours reçoivent un enseignement qui se distingue par« la place incomparablement plus importante qu'à l'Ecole des Ponts ou à Mézières qu'occupent les sciences, mathématiques, mécanique, physique et chimie en tête. Monge et ses collaborateurs immédiats tablent sur le caractère généraliste des sciences pour produire au sein d'un même moule toutes sortes d'ingénieurs destinés à se spécialiser par la suite avec succès. Ainsi conçue, Polytechnique participe clairement de l'idéal encyclopédiste des Lumières. » (Picon, 1994, p.80)’

En 1804, pour renforcer ses pouvoirs, l'Empire publie un décret qui constitue les élèves de ces Ecoles en corps militaire (Grelon, 1983). C'est alors que le nom d'ingénieur sera principalement utilisé pour désigner l'ingénieur militaire, qui est un officier et un mathématicien et fait carrière dans l'un des Corps de l'État. Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, l’ingénieur contribuera à la mise en place de l'infrastructure économique, et participera à l'aménagement de la cité. Les ingénieurs ne sont alors que peu impliqués dans le développement de l'industrie privée. L’ingénieur, membre d’un Corps d’Etat (Génie Militaire, Constructions Navales, Ponts et Chaussée, Mines) participe aux développements des grands travaux d’Etat. L’Ecole Polytechnique réintègre les autres Ecoles comme Ecole d’application et établit un système de sélection qui perdure encore de nos jours en instaurant la suprématie des mathématiques dans l’enseignement. L'Ecole Polytechnique exercera une influence grandissante sur l'enseignement scientifique et technique. Les professeurs rédigent de nombreux ouvrages de mathématiques et techniques, qui seront utilisés, en particulier, pour former les techniciens qualifiés des Écoles d'arts et métiers. Parmi les élèves de Polytechnique, figurent les plus grands mathématiciens de la première moitié du XIXe siècle. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les ingénieurs ne sont pas attirés par les fonctions techniques en entreprises (Grelon, 1983).

Des tensions entre théorie, cœur de l’enseignement de Polytechnique et pratique, cœur de l’enseignement des écoles d’application comme l’Ecole des Ponts, se créeront et marqueront par la suite tout le système d’enseignement des ingénieurs.