1.4 Ingénieur du XXème siècle, ingénieur de l’industrie

Les unes après les autres, les écoles d'Etat créeront un diplôme d'ingénieur civil. L'Ecole des mines sera pionnière en 1890 : ce n'est qu'en 1920 que sera créé le diplôme d'ingénieur civil de l'Ecole d'application du génie maritime et, en 1922, celui de l'Ecole des ponts et chaussées.

Pendant les années précédant la Première Guerre Mondiale, les effectifs des Ecoles augmentent et l'on assiste à une nouvelle vague de création d’Ecoles. De 1900 à 1914, une vingtaine d'Ecoles d'application sont créées, principalement de chimie, d’électrotechnique et d’électromécanique ; puis, de 1920 à 1945, ce mouvement se ralentit. La plupart des Ecoles créées alors ont pour vocation de répondre aux besoins des industries locales.

« Les instituts provinciaux et les écoles parisiennes de formation des ingénieurs ont des programmes pratiquement similaires qui s'étendent sur trois années d'études ; les premiers dix-huit mois sont consacrés à la physique et à la chimie générales, et à l'acquisition des mathématiques de base indispensables à ces deux disciplines, les élèves passant à peu près le tiers de leur journée à des travaux de laboratoire. Ils emploieront la deuxième moitié de leur scolarité à se spécialiser dans des branches diverses, telles que la chimie organique et minérale et les analyses quantitatives et qualitatives qui en découlent, la chimie physique, la minéralogie, la physique appliquée à la chimie. Ces cours sont aussi une initiation aux découvertes les plus récentes de la recherche en technologie industrielle. Les futurs ingénieurs qui s'orientent vers la physique étudieront toutes ses applications, de manière à pouvoir affronter les problèmes industriels... Pendant ces derniers dix-huit mois, les expériences de laboratoire occupent 70% de l'emploi du temps. Enfin, un stage de trois à six mois dans l'industrie viendra compléter « sur le tas » une formation déjà très poussée » (Shinn, 1978, p. 61-62).’

Le système des Grandes Ecoles, tel qu’il existe encore en 2008, s’est donc progressivement mis en place depuis la fin du XVIIIème siècle. Les Grandes Ecoles ont pour objectif de former les meilleurs, de participer au renouvellement de l’élite.

« C’est en France que la logique du recrutement sur base d’une certification formelle a été poussée le plus loin. On a parlé à ce propos d’une « triple exception française » dans la « fabrication du mérite », constituée de trois éléments caractéristiques : l’importance du diplôme initial, le niveau élevé de responsabilité en début de carrière, enfin le passage aisé de l‘administration publique vers le monde des entreprises (Bauer et Bertin-Mourot, 1997, p.49).’

Cette situation est liée à l’existence d’un vivier d’élites dites « républicaines » entretenu par les « grandes écoles », en particulier par l’Ecole polytechnique – ou l’X – et par l’Ecole nationale d’administration, qui ne recrutent sélectivement que par concours. » (Coenen-Huther, 2004, p.131)

Les fonctions occupées par les ingénieurs évoluent alors en lien avec l’environnement économique.

‘Par exemple, « l'ouverture du corps des Ponts va s'accentuer encore après la Seconde guerre mondiale par suite d'une dérive commune à l'ensemble des ingénieurs de l'Etat qui tendent à délaisser les tâches techniques au profit de responsabilités administratives plus valorisantes dans la société managériale qui se met progressivement en place. » (Picon, 1994, p.91). ’

La France de l’après-guerre se reconstruit dans un contexte d’exode rural, d’industrialisation, et d'évolution des techniques. L’Etat soutient alors la démocratisation de l'enseignement avec notamment la multiplication des écoles d'ingénieurs. En 1947, les Écoles Nationales d'Ingénieurs (E.N.I.) naissent de la fusion d'écoles d'ingénieurs et d'instituts universitaires, tout en étant rattachées aux facultés des sciences. Il s’agit là de développer le modèle de l'ingénieur tourné vers les applications de la science. En 1957, un nouveau modèle est créé avec la volonté de réaliser un recrutement au niveau baccalauréat avec l'I.N.S.A. (Institut National des Sciences Appliquées) de Lyon.

« Cette période correspond à l'alliance de la technique et de l'État. Il y a triomphe d'une image de l'ingénieur : l'idée que le bien commun coïncide avec le progrès de la connaissance appliquée de la production qui doit entraîner l'élévation du niveau de vie. Voilà l'idée de progrès. L'idée de l'ingénieur a été, jusqu'aux années 70 étroitement liée à la croyance au progrès, croyance partagée par la grande majorité de la population française » (Touraine, 1994, p. 55). ’

Ainsi, de 1961 à 1963, quatorze Ecoles ont été ouvertes ; de 1969 à 1971, le rythme de création est de quatre Ecoles par an.

Dans les années 1950-60, « la principale mutation que connaît le corps des Ponts et Chaussées tient toutefois au changement de nature et d'échelle de l'action de l'Etat.» (Picon, 1994, p. 89). Les structures administratives vont se renouveler. Le ministère de l’Equipement, par exemple, en reprenant les anciens services des Ponts et Chaussées, va se lancer dans une politique d’aménagement du territoire avec la réalisation d’un réseau autoroutier, comparable à ce qui s’était produit auparavant avec le chemin de fer. La création et la réalisation des villes nouvelles vont reposer sur les jeunes ingénieurs des Ponts et Chaussées.

« Les années 80 vont être ensuite marquées par la régionalisation qui voit les élus locaux récupérer une partie des compétences dévolues aux Directions Départementales de l'Equipement en matière d'urbanisme et de droit de la construction. Dans le nouveau contexte créé de la sorte, les ingénieurs des Ponts et Chaussées doivent apprendre à composer avec des partenaires auxquels ils imposaient jusque-là leurs décisions. » (Picon, 1994, p. 90) ’

Voilà encore un exemple d’évolution du métier d’ingénieur influencé par le contexte économique et politique.