3.2 L’activité du sujet au sein de communautés avec des règles et une division du travail

Engeström (1987) élargit l’analyse de l’activité pour présenter un modèle de représentation systémique de l’activité. Il rajoute à la théorie de l’activité la dimension de la communauté avec ses règles, sa division du travail. Ainsi il ressort que l’activité du sujet (individu ou groupe) existe au sein d’une communauté qui regroupe les individus ou des sous-groupes partageant le même objet.

Dans cette approche, Engeström (1987) considère que l’activité se réalise à partir de règles, explicites ou implicites, définies par la communauté. Ces règles qui régissent les rapports entre les individus et entre les individus et les sous-groupes, peuvent tout aussi bien concerner les actions que les interactions au sein de l’activité. La division du travail définit la répartition des tâches pour réaliser les actions et hiérarchise les responsabilités.

Il en propose la représentation suivante :

Figure 7 : Structure de l’activité humaine (Engeström, 1987)
Figure 7 : Structure de l’activité humaine (Engeström, 1987)

Ainsi l’analyse de l’activité stage se situe, au sein d’une communauté qui se structure, et s’appuie sur des règles et une division du travail. Dans cette perspective, le stage et ce qui l’organise, peuvent être appréhendés comme un système d’activité dont l’objet est de professionnaliser l’élève, à l’aide d’instruments proposés par l’organisation pédagogique. L’élève réalise son stage en entreprise et rédige son rapport pour l’école. Son activité a donc deux objets : faire son stage en entreprise et rédiger un rapport pour l’école.

Mais pouvons-nous considérer que tous les élèves poursuivent les mêmes buts et transforment l’objet de la même façon, en ayant par ailleurs à leur disposition les mêmes instruments ? Chaque élève utilise-t-il les instruments proposés par le dispositif de la même façon ? Et comment comprendre le développement à travers ce modèle ?

Engeström insiste sur la notion de contradictions.

« The identification of contradictions in an activity system helps practitioners and administrators to focus their efforts on the roots causes of problems. Such collaborative analysis and modelling is a crucial precondition for the creation of a shared vision for the expansive solutions of the contradictions.”(Engeström, 2000, p.966) ’

Il s’agit de questionner et d’observer comment les contradictions génèrent du développement. Les sujets différents de par leur histoire et leur position dans la division du travail construisent l’objet et les autres composants de l’activité de façons plus ou moins différentes. Dans cette approche, chaque élément, à travers les tensions, les contradictions retrouvera un équilibre. Chaque système d’activité est ainsi hétérogène et multi-voix. Engeström (1999) s’inspire du principe marxiste de la nécessité de dépasser les contradictions. Les contradictions peuvent être à tous les niveaux et elles existent dans l’objet qui n’est jamais défini.

« Beyond this, the analysis of disturbances and innovations leads the conceptualization of contradictions within and between activity system.”(Engeström, 1999, p. 178). ’

Rendre visible les contradictions peut aussi passer par repérer les malentendus, ce qui est compris de façon différente dans deux systèmes concernés par l’activité.

‘Grosjean (2005) montre combien «  la question du malentendu n’est pas mineure. Elle interroge les pratiques de travail, les modes de fonctionnement du collectif, et met en jeu à la fois l’efficacité du travail et sa pénibilité. En favorisant la prise de conscience par les acteurs de terrain de leurs pratiques quotidiennes, elle peut permettre d’agir sur les pratiques, les organisations du travail, la conception des postes et des artefacts. » (Grosjean, 2005, p. 77).’

Ainsi, l’accord sur un objet se fait quand on travaille sur les règles, la division du travail, les instruments. la contradiction aura alors permis de générer le développement.

‘L’approche théorique de l’activité « considère que le transfert est possible et même très améliorable si l’on s’appuie notamment sur des objets de transition, symboliques ou matérielles (boundary objects) entre plusieurs systèmes d’activité, voire si l’on construit un système d’activité dont la finalité est justement de favoriser le transfert entre deux ou plusieurs systèmes d’activité ». (Veillard, 2007, p. 421) ’

Le dispositif de formation autour du stage impose la nécessité de faire du lien entre la théorie et la pratique pour permettre le développement de l’élève.

Mais, en quoi le dispositif proposé participe-t-il à cela ? Selon les entretiens exploratoires que nous avons menés, nous avons vu que la crainte des élèves semble être de savoir s’ils seront capables de faire du lien entre ce qu’ils ont appris à l’école et ce qu’ils vont avoir à faire en stage. Il semble donc intéressant de marquer, dans les soutenances et dans les rapports, ce qui relève de concepts quotidiens et ce qui relève de concepts scientifiques. Une activité dite « centrale » n’est pas isolée des autres plus périphériques et de repérer les contradictions éventuelles évoquées.

Engeström (1987) différencie quatre niveaux possibles de contradictions.

Le niveau 1 concerne les contradictions qui s’opèrent à chacun des nœuds du système. Par exemple, l’élève peut avoir à gérer les règles de l’école et les règles de l’entreprise quant à la diffusion du document « rapport de stage ».

Figure 8 : Les différents niveaux de contradiction selon Engeström (1999)
Figure 8 : Les différents niveaux de contradiction selon Engeström (1999)

Pour le niveau 2, les contradictions concernent les rapports entre deux nœuds du réseau. Ainsi, nous pouvons imaginer un élève qui dévierait les objectifs de découverte d’un métier tel que le prévoit le cahier des charges du stage (instruments) pour orienter son objet vers le développement de ses compétences linguistiques en allant dans un pays étranger (objet).

Les contradictions du niveau 3 apparaissent quand un objet culturellement plus avancé est introduit dans l’activité. Ce pourrait être le cas lorsque des élèves introduisent la présentation de leur soutenance de stage par vidéoconférence, remettant en cause leur présence physique et obligeant le système à prendre en compte une prestation hors de la présence de l’élève à évaluer.

Au niveau 4, les contradictions vont se produire au niveau de l’activité principale avec des activités voisines qui entrent en lien pour agir avec celle-ci. Nous pouvons imaginer des contradictions entre les écrits demandés par l’entreprise sur la mission réalisée par l’élève (qui sont peut-être plus restitution d’éléments obtenus) et l’écrit demandé par l’école (que l’on peut supposer davantage orienté vers l’analyse de la pratique, présentation d’une méthodologie).

Selon ce modèle, pour être surmontées, les contradictions doivent être rendues visibles. Elles peuvent alors entraîner un apprentissage qui oblige les sujets à modifier la structure de l’activité ou certains de ses composants (règles, objet, outils, organisation du travail). Dans ce cas, nous dirons qu’il y a eu apprentissage par expansion car il permet de nouvelles façons de faire, une évolution du système.

Nous regarderons les contradictions existantes dans le système d’activité stage entre les différentes communautés, entre différents sujets. Nous pouvons supposer que chaque élève avec son histoire, son projet de vie construise son stage et l’histoire de son stage à sa façon. Le stage est une expérience en entreprise restituée à l’école, par le rapport et la soutenance. Le rapport est donc une demande de l’école et il peut donc être fait pour l’école ou pour l’entreprise ou pour les deux… Reprendre les différents systèmes d’activité, les analyser peut aider à repérer comment chacun participe à l’évolution de l’élève. Marquer notamment les contradictions, entre le système d’activité de l’élève et celui du tuteur-école, peut permettre de saisir les modifications de l’activité ou de ses composants par l’élève qui produiraient alors de l’apprentissage par expansion.