1 Le stage 2A : un dispositif de formation intégré à une logique de formation d’une profession dans un environnement économique

Nous avons posé comme hypothèse (chapitre 3. 5) que le stage est intégré dans un dispositif de formation, organisé par des règles définies par la communauté concernée, et notamment par les instances qui valident la formation. Un dispositif de formation est défini par les acteurs qui le gèrent, mais nous pouvons considérer que leur marge de manœuvre n’est pas aussi large que l’on pourrait le croire a priori. Organiser un dispositif de formation, c’est articuler différents éléments dont des artefacts à fonction de référence. Nous avons vu que la CTI est la commission qui permet à une Ecole d’ingénieurs de délivrer le titre d’ingénieur. Cette instance, ainsi que les autres instances représentatives du métier d’ingénieur (CEFI, AGERA, CNISF), sont prescriptives et relaient auprès des Ecoles les évolutions du métier. Leclerq (2003) expliquait déjà

« qu’un dispositif de formation est un moyen de transport finalisé qui permet à des usagers de se déplacer dans le temps. Les moyens mis en œuvre pour permettre les parcours le sont intentionnellement et visent à atteindre un but planifié, calculé, escompté, souhaité, espéré, probable, etc. » (Leclercq, 2003, p.501)’

Ainsi, nous pouvons repérer les contradictions qui existent au sein cette Ecole d’ingénieurs française qui doit gérer en parallèle des logiques de positionnement dans des domaines de recherche et des logiques de formations de futurs ingénieurs à positionner sur le marché de l’emploi. Cette Ecole se trouve à l’intersection d’au moins deux systèmes d’activité, celui de la recherche et celui de l’enseignement. L’évaluation de cette Ecole passe, pour la recherche, par des classements établis en fonction de publications scientifiques, et pour l’enseignement, par un bon positionnement pour l’insertion de leurs jeunes diplômés. Nous avons retrouvé ces deux systèmes très présents dans le stage 2A avec un tuteur-enseignant qui peut gérer ses choix de suivi de stage en fonction de ses préoccupations orientées recherche ou enseignement. Cette contradiction, voire opposition se retrouve aussi dans le discours institutionnel sur le stage qui peine dans le cahier des charges à caractériser comme orienté vers une étude, un thème de recherche ou une mission, un poste à tenir.

Nous avons pu noter que l’évolution de la place des stages dans les dispositifs de formation des ingénieurs a été conditionnée par la volonté des instances externes d’avoir au final, formé des jeunes ingénieurs diplômés avec de l’expérience… pour les entreprises qui ont raccourci leur parcours d’intégration. Les stages sont ainsi la possibilité pour les jeunes diplômés d’avoir une expérience d’un métier exercé au sein d’un secteur d’activité. Nous retrouvons cette idée dans la diversité des lieux de stage, qui correspondent à la diversité des secteurs d’activité des ingénieurs. Nous voyons donc un dispositif de formation organisé en lien avec son environnement, d’après les injonctions institutionnelles mais qui ensuite adapte la réalité de l’organisation du stage en fonction de ses règles, valeurs en vigueur.

Peut-on alors considéré le stage comme un agencement qui relie des dispositifs langagiers ?

Le mandat dans cet agencement serait la réalisation du stage plus que la professionnalisation de l’élève. L’organisation du stage, la répartition des activités, les recommandations écrites peuvent être considérées comme un ensemble complexe. Le stage peut-être vu comme un chantier piloté par l’élève. Comme les organisations concrètes décrites par Girin (1993), le stage et son organisation pédagogique peuvent faire partie des

« objets complexes et hétérogènes, où se développent des logiques contradictoires, des affrontements, des adaptations, des compromis, etc., d’où résultent les dynamiques qui les font se transformer. » (Girin, 1993, p.187) ’

Pour analyser toutes les interactions en jeu dans le processus de stage, l’unité pertinente de la réflexion et de l’action se situe au niveau d’un réseau composite, c’est-à-dire, « un ensemble d’éléments hétérogènes reliés entre eux» (Girin, 1995-b, p. 235), et non plus au niveau de l’individu ou du groupe.

Pour cela, il faut insister sur la combinaison de trois ressources : les ressources humaines, les ressources matérielles et les ressources symboliques. Le stage peut être considéré de ce point de vue comme le regroupement de :

  • ressources humaines telles que les tuteurs-entreprises, les tuteurs-enseignants, l’élève et les élèves de la même promotion et ceux de la promotion en 3ème année, le Directeur de la Formation, l’assistante du service des stages, l’environnement personnel de l’élève ;
  • de ressources symboliques telles que la soutenance, le rapport ;
  • et de ressources matérielles qui seraient le cahier des charges du stage, la grille d’évaluation.

L’agencement organisationnel est l’association de ces trois ressources, mandatées pour atteindre une certaine performance.

Nous avons pu voir que la performance recherchée est soumise à contradictions au sein des différents systèmes d’activité.

Nous les schématisons de la manière suivante :

Pour ce faire, ce système composite possède une certaine compétence, une capacité à faire, qui dépend principalement de la qualité des liens entre ces ressources, « bien plus que dans la qualité de chaque élément pris isolément » (Girin, 1995-b, p. 241). La professionnalisation de l’élève serait produite par la compétence de l’agencement.

Figure 23 : Contradictions des objets pour le stage 2A dans les systèmes en présence
Figure 23 : Contradictions des objets pour le stage 2A dans les systèmes en présence

Le mandat, porté par ses éléments est fondamental dans la notion d’agencement. C’est le mandat qui porte la demande du mandant faite au mandataire. Dans l’organisation des stages, nous avons vu que la CTI commandait aux Ecoles d’ingénieurs le développement des compétences professionnelles pendant la formation, notamment par les stages. La CTI serait un mandant qui donne pour mandat la professionnalisation des élèves-ingénieurs aux Ecoles. Nous pouvons ensuite imaginer un niveau inférieur de réalisation de ce mandat. L’Ecole mandate à l’Elève sa professionnalisation pendant le stage.

Selon Girin (1995-a), la compétence d’un agencement dépend des liens entre les composants et serait fonction de la qualité, du nombre et de son intensité. Elle serait aussi fonction de la présence d’un acteur humain qui en fin de boucle assurerait la qualité de réalisation. Ce serait là la fonction du tuteur-enseignant qui valide la soutenance et le rapport, donc la réalisation du mandat. Le stage est un agencement organisationnel avec des ressources que l’on a pu repérer dans la figure 14 (chapitre 5 ; partie 1.3). Le mandat « réaliser un stage en entreprise » est porté par l’assistante du service des stages, relayée par le tuteur-enseignant qui au final valide le stage pour l’inscrire dans la validation de la scolarité de l’élève. Le mandataire serait l’élève qui organise son stage de façon autonome dans la partie recherche, le valide au démarrage avec son tuteur-enseignant, le conduit de façon autonome pendant le stage pour revenir à une validation finale par le tuteur-enseignant.

Nous avons ainsi pu constater que l’Ecole observée avait mis à la disposition de l’élève un certain nombre d’instruments pour organiser le dispositif autour du stage. Nous avons fait ressortir que, dans le cas étudié, l’instrumentation organisait le stage avant et après et laissait à l’entreprise la prise en charge de l’activité pendant le stage.

« Tout dispositif se présente comme une prescription pour les acteurs. Toutefois, l’apprentissage effectif résulte de telles prédispositions (de ce qu’elles rendent possibles) mais surtout de l’activité que les apprenants développent, redisposant en fonction de leurs enjeux et de leurs motifs les éléments prédéfinis. » (Astier, 2007, p. 69) ’

Nous avons dégagé des instruments mis à la disposition de l‘élève pour le stage 2A différentes contradictions. Ainsi, nous avons un cahier des charges du stage qui se positionne du côté du cadre administratif et non sur le versant cadrage de la mission et contenu du stage. De la même façon, ce stage est orienté « étude, sujet, thème » plus que vers une mission avec des résultats et l’animation d’acteurs. Ces éléments sont cependant évoqués pour faire partie de la restitution. L’élève a donc à se repérer dans ces contradictions et l’orientation prise par celui-ci semble se faire avec la proposition de l’entreprise.

Le dispositif du stage prévoit comme objectif numéro un, la découverte du métier de l’ingénieur. Cela semble important et en lien avec les objectifs assignés par l’externe, être un temps de formation sur ce que devra faire l’ingénieur après sa formation à partir du vécu qui ne peut être enseigné au sein de l’Ecole. Alors pouvons-nous considérer ce stage comme un passage vers le métier d’ingénieur ?