1.1 Élaboration des PCNs

Exactement pour cette caractéristique apparemment unilingue de la population, jusqu’à la moitié des années 90 il n’existait pas vraiment une politique linguistique du gouvernement brésilien concernant l’enseignement/apprentissage de langues étrangères, mais à partir de 1996, la LDB – Lei de Diretrizes e Bases, loi qui a défini des nouvelles orientations de toute l’éducation du Brésil – fondamental, secondaire et supérieur – et a donné aux langues étrangères un rôle important : son enseignement devient obligatoire dans toutes les écoles du territoire. A ce moment, il n’existe pas une détermination de quelle langue devrait être enseignée, mais la tendance naturelle se confirmait, renforçant la présence de l’anglais dans le système éducatif.

Cette loi a promu un changement dans tous les secteurs de l’éducation du pays et, comme dans plusieurs pays européens, un comité attaché au Ministère de l’Education a publié, suite à une série de discussions et consultations auprès de divers spécialistes de différents domaines de l’enseignement/apprentissage, deux collections de documents – pour l’enseignement fondamental et moyen2. Ces publications ont pour objectif, selon le Ministère de l’Éducation, d’impulser un débat sur le système éducatif brésilien :

« Os Parâmetros Curriculares Nacionais foram elaborados procurando, de um lado, respeitar diversidades regionais, culturais, políticas existentes no país e, de outro, considerar a necessidade de construir referências nacionais comuns ao processo educativo em todas as regiões brasileiras. Com isso, pretende-se criar condições, nas escolas, que permitam aos nossos jovens ter acesso ao conjunto de conhecimentos socialmente elaborados e reconhecidos como necessários ao exercício da cidadania. » 3 (Ministério da Educação, 1998 : 05)

Ces publications ont été suivies de quelques actions de politique éducative, et plus spécifiquement linguistiques, en particulier en ce qui concerne le volume dédié à l’enseignement/apprentissage de langues étrangères. Leur objectif général est de construire des références nationales communes au processus éducatif dans toutes les régions du pays, en sauvegardant leurs diversités régionales, culturelles et politiques, pour donner des conditions à l’apprenant brésilien pour accéder à l’ensemble des connaissances dont il aura besoin pour son développement en temps que citoyen.

En ce qui concerne l’enseignement de langues étrangères, deux volumes ont été conçus, un pour chaque niveau de l’éducation régulière où la langue étrangère est enseignée de façon obligatoire, spécifiant les objectifs et l’intention de ce type d’apprentissage. Ils soulignent essentiellement la fonction sociale de la langue reconnaissant le pluralisme linguistique qui existe dans le territoire et proposent trois critères d’orientation pour le choix de la langue étudiée : l’histoire, la culture des communautés locales et la tradition.

L’existence de ces trois facteurs d’orientation pour le choix de la langue étrangère donne à chaque région la liberté de sélectionner celle qui sert au mieux ses intérêts, même si cela, à niveau fédéral, peut affaiblir une tentative de plurilinguisme ou d’ouverture vers l’étranger. Ainsi, les régions au sud du pays peuvent-elles avoir l’allemand ou l’italien comme langue étrangère, celle du sud-est le japonais ou le centre l’une des langues autochtones.

De la même manière que le document laisse ouvert le choix de la langue étrangère qui sera apprise, il ne prend pas une position fermée en ce qui concerne la théorie qui doit être travaillée en classe, comme un recueil de règles avec un caractère dogmatique. Il se montre surtout comme une tentative d’approche théorique et standardisée des pratiques méthodologiques dans un pays aussi vaste que l’est le Brésil.

Malgré tout, dans la pratique cette prise de position devient un peu utopique, car les agents qui font partie de ce système – professeurs, directeurs des établissements scolaires, concepteurs de programmes, concepteurs de matériels, etc. – le prennent finalement comme source et orientation fondamentale dans le développement de leurs fonctions. Cela est compréhensible dans la mesure où le processus d’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère est très complexe, et avoir un document approuvé par des spécialistes qui offre une certaine quantité de règles devient naturellement une sécurité pour le professeur et un outil pour aider tous les agents concernés.

En imaginant peut-être cette tendance ou possibilité du document à devenir une orientation pour les professionnels dans ce domaine, il a été conçu de manière très pratique en prenant en considération non seulement ce que les spécialistes croyaient être idéal, mais ce qu’il était possible de faire et de développer à partir de la réalité d’un pays plein de contrastes.

« Deve-se considerar também o fato de que as condições na sala de aula da maioria das escolas brasileiras (carga horária reduzida, classes superlotadas, pouco domínio das habilidades orais por parte da maioria dos professores, material didático reduzido a giz e livro didático etc.) podem inviabilizar o ensino das quatro habilidades comunicativas. Assim, o foco na leitura pode ser justificado pela função social das línguas estrangeiras no país e também pelos objetivos realizáveis tendo em vista as condições existentes. » 4 (Ministério da Educação, 1998 : 21)

Les auteurs attirent ainsi l’attention sur un fait important dans l’apprentissage de la langue étrangère dans des écoles régulières, qui dans leur majorité n’ont pas de structure pour le travail avec les quatre habilités communicatives, soit parce qu’il n’existe pas d’appareil pour l’écoute des dialogues, dans le cas de la compréhension orale, soit parce que les groupes sont trop grands pour l’exercice de l’expression orale, soit parce que les professeurs n’ont pas eux-mêmes la connaissance suffisante de la langue pour évaluer le développement de leurs apprenants à l’oral ou à l’écrit. L’enseignement de la compréhension écrite, c’est-à-dire de la lecture, se montre donc souvent comme la meilleure possibilité de travail avec la langue que le professeur peut effectuer en classe.

Aussi les Parâmetros Curriculares Nacionais font-ils la part de l’idéal et du réel : ils mettent en évidence l’intérêt du gouvernement brésilien pour une politique linguistique plus efficace et plus soucieuse de permettre de bien connaitre l’autre. De ce fait, apprendre une langue permettra également que l’apprenant puisse se connaître mieux, comparant les similarités et les différences qu’il peut avoir avec l’autre.

Pour mettre en œuvre cet objectif, le fondement théorique préconisé par les documents est de nature socio-interactionniste, situant l’apprenant comme individu par rapport au monde et à ses interlocuteurs, où le processus cognitif est généré en situation d’interaction, ainsi que la construction de la connaissance. Cette situation d’interaction donne aussi à l’individu l’opportunité de percevoir son interlocuteur, étranger ou simplement d’une région différente de la sienne, à partir de plusieurs perspectives, inséré dans un contexte social déterminé. Selon le document élaboré pour l’enseignement fondamental,

« Para que o processo de construção de significados de natureza sociointeracional seja possível, as pessoas utilizam três tipos de conhecimento: conhecimento sistêmico, conhecimento de mundo e conhecimento da organização dos textos. Esses conhecimentos compõem a competência comunicativa do aluno e preparam para o engajamento discursivo. » 5 (Ministério da Educação, 1998 : 29)

Cette citation du document présente, au-delà de l’importance du socio-interactionnisme dans la construction des significats, l’idée de compétence communicative qui est composée de trois types de connaissances : celle du système linguistique, du monde et de l’organisation de textes. Selon ce point de vue, ces trois composantes prépareraient l’apprenant à un engagement discursif, essentiel à la communication. La connaissance systémique fait référence aux aspects lexico-sémantique, morphologique, syntactique et phonético-phonologique.

Pour la connaissance du monde, ce qui est attendu de l’individu est une connaissance générale des situations de la vie quotidienne gardées en mémoire, et des adaptations à chacune d’elles, à différents moments et leurs réutilisations dans des nouveaux contextes. Enfin, le troisième type de connaissance concerne la capacité d’organisation d’une information dans des routines interactionnelles, soit en textes oraux, soit en textes écrits.

Cette classification des connaissances est déjà très proche de la notion de compétence de communication apportée par le Cadre Commun de Référence, comme on le verra dans la séquence. Malgré la différence d’époque de publication de chaque matériel – 1998 pour les Parâmetos Curriculares Nacionais (PCN) et 2001 pour le Cadre – les deux présentent la même structure et s’éloignent de ce qui était préconisé dans la théorie précédente (l’approche communicative), dans laquelle la compétence communicative se composait de quatre sous-compétences.

De ce fait, l’interaction possible et donnée par la communication à travers ces connaissances apportera à l’apprenant une nouvelle perception du langage, ainsi qu’une compréhension différente de sa propre langue maternelle et de sa culture. Comme l’affirme un des documents,

« O desenvolvimento da habilidade de entender/dizer o que outras pessoas, em outros países, diriam em determinadas situações leva, portanto, à compreensão tanto das culturas estrangeiras quanto da cultura materna. Essa compreensão intercultural promove, ainda, a aceitação das diferenças nas maneiras de expressão e de comportamento. » 6 (Ministério da Educação, 1998 : 37)

Dans cet extrait, un autre concept particulièrement remarquable à partir des années 2000 est introduit : la notion de l’interculturel. Ce qui est intéressant et différent ici est qu’en ce qui concerne le PCN pour l’enseignement fondamental, la préoccupation de développer ce concept n’a pas une fonction réelle de contact avec un locuteur natif de l’autre langue, car comme nous l’avons remarqué auparavant celle-là n’est pas la réalité des apprenants brésiliens ; l’objectif cherché est d’encourager l’apprenant dans la formulation des réflexions concernant sa langue maternelle à partir des différences qu’il peut trouver au moment de la comparer à la langue étrangère. Ces réflexions et apprentissages sont aussi vus comme une force de liberté de l’individu à partir d’une conscience critique du langage.

Pourtant, le point de vue d’un contact improbable avec un locuteur natif de la langue a changé dans un nouveau document publié en 2006 intitulé Orientações Curriculares Nacionais, qui a été élaboré avec l’objectif de développer une relecture du PCN pour l’enseignement moyen, huit ans après sa diffusion. Dans l’évaluation des spécialistes, le point de vue d’impossibilité de contact réel avec un natif est discutable, particulièrement si on considère l’utilisation de la langue dans un domaine professionnel. Pour cela, l’importance donnée à l’habilité de l’écrit– notamment la lecture – continue à être centrale, mais l’oral trouve aussi son rôle dans l’enseignement régulier de la langue étrangère.

A la différence des premières publications, le document de 2006 assume son importance comme matérialisation d’une politique linguistique d’enseignement/ apprentissage de langues étrangères applicable et régulatrice des pratiques à développer au minimum dans le pays. Comme il l’affirme,

« o objetivo dessas orientações é o de sinalizar os rumos que esse ensino deve seguir, o que faz com que tenham um caráter minimamente regulador, do contrário, não haverá razão para fazer tantos esclarecimentos, marcar posições teórico-metodológicas, sugerir caminhos de trabalho etc. » 7 (Ministério da Educação, 2006 : 127)

Cet éclairage de la fonction de l’Etat sur les pratiques d’enseignement est aussi dû à un changement important causé par une des principales interventions de la nouvelle politique linguistique du gouvernement brésilien, concrétisée à partir de la signature de la Loi 11.161 de 05 août 2005 qui oblige les établissements d’enseignement publics et privés du pays à offrir la Langue Espagnole comme discipline régulière du niveau moyen d’étude, ainsi que facultative pour le niveau fondamental.

Cette décision a des conséquences importantes : elle annonce un changement dans l’apprentissage des langues qui comme on l’a vu plus haut, favorisant l’anglais, même si cela n’était fait que de manière indirecte. Cette loi est trop récente pour que l’on puisse dès maintenant en évaluer les impacts, mais la tendance actuelle est que l’espagnol devienne la langue étrangère majoritairement étudiée au Brésil dans quelques années.

Notes
2.

Ce niveau équivaut au second degré en France.

3.

Les Parâmetros Curriculares Nacionais ont été élaborés en cherchant, d'un côté, respecter des diversités régionales, culturelles et politiques existantes dans le pays et, d'autre, considérer la nécessité de construire des paramètres nationaux communs au processus éducatif dans toutes les régions brésiliennes. Avec cela, il se prétend créer des conditions, dans les écoles, qui permettent à nos jeunes d'avoir accès à l'ensemble de connaissances socialement élaborées et reconnues comme nécessaires à l'exercice de la citoyenneté. »

4.

« Il faut aussi considérer que les conditions en classe de la majorité des écoles brésiliennes (chargement horaire réduit, classes surpeuplées, domaine restreint des habilités verbales de la part de la majorité des enseignants, matériel didactique réduit à craie et manuel etc.) peuvent rendre impraticable l'enseignement des quatre habilités communicatives. Ainsi, l’attentionsur la lecture peut être justifiée par la fonction sociale des langues étrangères dans le pays et aussi par les objectifs réalisables en vue des conditions existantes. »

5.

« Pour que le processus de construction de significations de nature socio interactionnelle soit possible, les personnes utilisent trois types de connaissance : connaissance systémique, connaissance de monde et connaissance de l'organisation des textes. Ces connaissances composent la compétence communicative de l’apprenant et le préparent pour l'engagement discursif. »

6.

« Le développement de l'habilité de comprendre/dire ce que d’autres personnes, dans d'autres pays, diraient dans de certaines situations amène, donc, à la compréhension soit des cultures étrangères soit de la culture maternelle. Cette compréhension interculturelle promeut, encore, l'acceptation des différences dans les manières d'expression et de comportement.  »

7.

« l'objectif de ces orientations est de signaler les itinéraires que cet enseignement doit suivre, ce qui fait qu’ils aient au moins un caractère régulateur, du contraire, il n'aura pas de raison pour faire autant de clarifications, marquer des positions théorico-méthodologiques, suggérer des chemins de travaille etc.  »