Partie II : le phénomène de transposition

Chapitre II : La notion de transposition

1. La notion de transposition didactique chez Chevallard

Un des objectifs principaux des études dans le champ des sciences de l’éducation est la recherche de la manière la plus efficace de faire apprendre aux apprenants, au sein d’un processus d’enseignement/apprentissage. Autrement dit, il existe une inquiétude concernant la façon idéale de présenter un contenu spécifique pour qu’il soit accessible à l’apprenant.

Cette notion est appelée transposition didactique et a comme préoccupation centrale l’étude des transformations du savoir de telle manière qu’il soit applicable à la réalité scolaire. Théorie initialement développée dans le domaine de l’éducation mathématique, particulièrement à travers Chevallard (1985, 1991), le concept a été récemment appréhendé pour d’autres sciences, comme c’est le cas des sciences du langage, et travaillé par plusieurs chercheurs (Perrenoud, 1993 ; Martinand, 1994, 1995 ; Caillot, 1996 ; Joshua, 1996).

Avant d’approfondir la discussion sur ce processus de transformation de savoir à travers la transposition, il est important de distinguer la différence entre deux concepts très répandus dans le domaine de l’éducation mais assez confus au moment de leur application, le savoir et la connaissance, et dont la distinction sera essentielle aux discussions qui suivront dans ce chapitre. Ainsi, dans le langage du domaine scientifique, le savoir est généralement caractérisé dans un contexte scientifique historique et social ; d’un autre côté, la connaissance est un concept plus proche de l’expérience directe de l’individu, avec une spécificité plus personnelle et subjective.

Même en affirmant avoir une résistance au point de vue français courant, en soulignant que cette opposition n’existe pas en anglais, Perrenoud (1998 : 493) nous explique que :

‘« Les premiers [savoirs] seraient universels, impersonnels, sans propriétaires, sans traces de leur genèse, sans référence à leurs usages sociaux. Les connaissances seraient au contraire la face subjective des savoirs, tels qu’ils existent dans l’esprit humain, contextualisés, personnalisés, voire englués dans l’ensemble de ses structures mentales. Cette opposition permet de conceptualiser la genèse de la science comme passage de l’état de connaissances (d’un ou quelques chercheurs) à l’état de savoirs. Elle permet aussi de décrire la formation comme la transmutation inverse de savoirs culturels en connaissances subjectives. »’

Cette distinction est renforcée par Brousseau (1988), chercheur des sciences mathématiques qui distingue entre les deux concepts et affirme que la connaissance apparaît unie plutôt à l’aspect expérimental, en présupposant une action plus personnelle de l’individu. En même temps, le savoir apparaît associé au problème de la validation de la connaissance. Ces analyses ont été utilisées dans le développement de sa théorie concernant les situations didactiques, dont nous parlerons dans le chapitre suivant.

Conne (1992), qui développe son analyse d’un point de vue plus cognitif, reprend lui aussi ces termes. Ce qui nous intéresse plus précisément dans ces conceptualisations est le fait que le savoir est vu comme un type spécial de connaissance, dont l’utilité est faite à partir d’un degré d’opérationnalisation. Autrement dit, l’utilité du savoir permet à l’individu l’établissement d’une référence d’analyse que lui permet de comprendre et de transformer ses savoirs personnels, en générant de nouveaux savoirs. En plus, comme nous le verrons plus tard, la sensation d’utilité d’un savoir est un important facteur motivationnel qui aide l’individu à organiser les nouvelles informations, vu qu’elles sont présentées dans un contexte et ainsi permettent d’établir plus facilement des connexions avec les savoirs préexistants.