1.1 Le concept de transposition didactique

Le terme transposition didactique a été introduit par le sociologue Michel Verret en 1975, mais repris et réélaboré plus tard par Yves Chevallard dans les années 80. C’est lui qui, à travers son oeuvre La transposition didactique – du savoir savant au savoir enseigné, a amplifié le concept et lui a donné du corps. Selon lui, il existe une différence entre ce qui est élaboré dans les espaces purement scientifiques et ce qui est développé dans des ambiances éducationnelles. Ainsi, pour que l’enseignement d’un savoir soit possible, il subira des changements qui lui permettent d’être enseigné. Pour l’auteur, cette différence n’est pas entendue comme de caractère conceptuel, mais textuel, vu qu’elle se passe dans le champ sémantique et lexical. Perrenoud (1993) reprend aussi l’idée de Chevallard, en affirmant que cette notion est l’essence de l’enseignement et que « la scolarisation de la culture ne se limite jamais aux savoirs, alors qu’elle passe toujours par des processus de transposition » (Perrenoud, 1998 : 488), mais l’importance du travail de Chevallard le confirme comme le principal concepteur de cette notion.

L’idée centrale est que, pour le développement de la pratique éducative, il est toujours nécessaire d’établir des priorités dans la diffusion ou propagation de procédures pédagogiques. Comme l’affirme Perrenoud (1998 : 488),

‘« Lorsque Verret (1975) introduisit le concept de transposition didactique, il cherchait, en sociologue, à désigner un phénomène qui dépasse l’école et les disciplines d’enseignement. Il s’intéressait à la façon dont toute action humaine qui vise la transmission de savoirs est amenée à les apprêter, à le mettre en forme pour les rendre « enseignables » et susceptibles d’être appris. »’

Ainsi, la notion fondamentale est l’existence d’une nécessité essentielle d’adapter le savoir à plusieurs questions liées à la situation scolaire : aux temps et aux espaces disponibles, à la taille du groupe d’apprenants, leurs niveaux, leurs projets, leurs rapports au savoir, au contrat didactique en vigueur, à la relation pédagogique, ainsi qu’aux impératifs de l’évaluation.

Pour la décrire, Chevallard établit l’idée de la transposition sans la juger préalablement ; au contraire, il affirme qu’elle « n’est ni bonne, ni mauvaise, qu’elle est , ce qui signifie qu’il n’y a pas d’enseignement sans transposition, qu’elle n’est pas un effet pervers, une dénaturation, mais une transformation normale, auquel nul n’échappe lorsqu’il veut transmettre un savoir. » (Perrenoud, 1998 : 491)

Ce phénomène a lieu effectivement dans une relation entre différents éléments qui composent la relation didactique : l’enseignant, l’apprenant et le savoir, dont les intérêts sont mis en cause et qui doivent donc être en constante stabilité. Cette relation ternaire est appelée système didactique et ira composer le schéma fondamental du processus de transposition didactique de Chevallard (1991 : 23) :

Figure 1 : Le système didactique selon Chevallard
Figure 1 : Le système didactique selon Chevallard

Cette figure montre non seulement les éléments qui composent ce système, mais aussi les interactions qui existent entre eux. Il n’y a pas une position de pouvoir ou distinction, mais une relation où chacun a une fonction et une pertinence singulière. L’ensemble des systèmes didactiques constituera le système d’enseignement, qui présente une association de dispositifs structurels qui permettent le fonctionnement didactique.

Sans nier l’importance indiscutable de la personnalité de l’enseignant et de l’apprenant dans cette relation, bien au contraire, Chevallard relève à travers sa notion le traitement donné au savoir dans un processus de transposition didactique. Selon lui, une des priorités de cette transformation est sans doute la sélection de contenus qui vont constituer un programme scolaire et qui, dans leur totalité, formeront le savoir scolaire, ayant comme source originale le savoir scientifique. Pour que ce savoir scientifique soit transformé en savoir scolaire, il subira un processus de différentes modifications influencées par plusieurs parties du système éducatif.

Dans le cas de la sélection de contenus, par exemple, il existe un réseau d’influences qui détermineront ce qui sera travaillé à l’école. Cela est fait par des professeurs, spécialistes, politiciens (à travers la détermination d’une politique linguistique), auteurs de manuels, responsables de l’éducation, etc. L’ensemble de ces sources d’influences a reçu de Chevallard la dénomination de noosphère.

Pour l’auteur, la noosphère est le centre opérationnel du processus de transposition. Elle fera la médiation entre les besoins et les attentes de la société et le fonctionnement du système scolaire, à travers la recherche d’une méthode efficace de conduite du processus d’enseignement/apprentissage. Cette médiation est constante, car comme l’affirme Chevallard : « Avec le temps, le savoir traité par le système d’enseignement vieillit ; il apparaît un jour comme vieux par rapport à la société (par rapport au savoir savant et par rapport au savoir banalisé). » (Chevallard, 1991 : 26) Il sera nécessaire donc de réévaluer constamment les savoirs et le système d’enseignement pour qu’il soit possible de garder un équilibre à ses trois éléments essentiels.

Donc, le résultat des travaux de la noosphère ne se résume pas à la détermination des contenus, mais il exerce finalement une importante influence dans la structuration des valeurs, objectifs et méthodes qui conduisent le processus d’enseignement/apprentissage, à travers la convergence et le débat de différents intérêts. Cela va apparaître de différentes manières, mais servira normalement comme une base pour le résultat du travail didactique en classe.

Ainsi, de manière schématisée, Chevallard (1985, 1991) présente l’essentiel du processus de transposition didactique :

Figure 2 : Le processus de transposition didactique chez Chevallard
Figure 2 : Le processus de transposition didactique chez Chevallard

L’action de la noosphère est constante, principalement en considérant que son influence est reprise dès qu’on perçoit un nouveau besoin de la société. Ce besoin demandera une adaptation de l’école, comme réfléchit Chevallard (1994 : 153)

‘« Le curriculum, tout à coup, perd de sa crédibilité. La matière enseignée, brusquement, est frappée d’obsolescence. Les négociations doivent être rouvertes. La noosphère, qui ronronnait, en un instant se réveille. Les noosphériens entrent en lice, accourant de deux côtés à la fois. De l’intérieur du système d’enseignement : c’est la masse des anonymes, que le grand public, sauf exception, ignore. De l’extérieur aussi, je veux dire de la sphère savante : et c’est la rare élite de ceux qui, ayant assez de légitimité pour cela, osent proposer un nouveau contrat, et prétendent montrer la voie de la réconciliation entre École et Société. »’

Les autres influences apparaissent à travers la création didactique, en d’autres mots, à travers l’épistémologie du professeur qui soutient toute la pratique pédagogique, considérant un ensemble de représentations du professeur qui, souvent, deviennent rigides par le temps et peuvent déterminer un regard personnel par rapport à la discipline enseignée.