1.3 Les dimensions de la transposition didactique

La mise en texte du savoir est pour l’enseignant l’outil essentiel de sa pratique ; il s’établit comme une préparation du contenu qui sera travaillé dans le système scolaire et sa réalisation est placée sous le contrôle de règles déterminées qui ont comme objectif la structuration d’une forme didactique. Toute proposition éducative présuppose nécessairement l’existence d’une telle préparation. Parmi ces règles qui structurent la mise en texte du savoir nous pouvons souligner, selon Verret (1975), repris par Chevallard (1991) :

  1. la désyncrétisation – exigence de faire une division de la théorie en plusieurs domaines et spécialités bien délimités ;
  2. la dépersonnalisation – exigence de séparation du savoir de n’importe quel contexte personnel ;
  3. une programmation de l’acquisition – établissement d’une programmation de l’apprentissage selon une séquence progressive et rationnelle ;
  4. une publicité – définition explicite du savoir que devra être enseigné ;
  5. un contrôle social des apprentissages.

Au-delà de ces caractéristiques, lorsqu’on pense à une programmation de l’enseignement dans l’analyse de la structure de la mise en texte du savoir, deux variables sont fondamentales : le temps didactique et le temps de l’enseignement. Comme nous le verrons par la suite, les deux variables sont bien distinctes l’une de l’autre, mais il est possible d’identifier une certaine illusion dans la pratique pédagogique traditionnelle qui fréquemment déconsidère la distance entre ces deux temps.

Le temps didactique est indiqué dans les programmes scolaires et dans les manuels afin de répondre à une exigence légale. Il prévoit un caractère cumulatif et irréversible du savoir, en présupposant la possibilité de renfermer le savoir dans un espace de temps déterminé. Comme l’affirme Chevallard (1991 : 65) : « Le processus didactique existe comme interaction d’un texte et d’une durée. » Cette idée est renforcée par la forte croyance que le processus d’enseignement/ apprentissage est progressif, logique et rationnel et qu’il est possible qu’il soit organisé à travers une séquence linéale de contenus. Le temps didactique est plus précisément appelé temps d’enseignement, par opposition au temps de l’apprentissage.

D’un autre côté, le temps d’apprentissage est plus lié aux ruptures et conflits de la connaissance, en exigeant une réorganisation permanente d’informations, caractéristique de la complexité de l’acte d’apprentissage. C’est le temps nécessaire pour que l’apprenant puisse vaincre ses difficultés et atteindre une nouvelle position d’équilibre. Il n’est pas séquentiel et ne peut pas être linéal non plus, vu qu’il est toujours nécessaire de reprendre les anciennes conceptions pour pouvoir les transformer, et pour cela, chaque individu a son propre rythme d’apprentissage.

Dans ces spécificités temporelles, il existe clairement une différentiation de rôles entre l’enseignant et l’apprenant dans une situation didactique. Selon Chevallard (1991 : 72) :

‘« Enseignant et enseigné occupent des positions distinctes par rapport à la dynamique de la durée didactique : ils diffèrent par leurs rapports spécifiés à la diachronie du système didactique, qu’on peut nommer la chronogénèse. Mais ils diffèrent aussi selon d’autres modalités : selon leurs places respectives par rapport au savoir en construction, par rapport à ce qu’on peut appeler la topogénèse du savoir, dans la synchronie du système didactique. »’

Ainsi, la différence de temps et de rôle entre l’enseignant et l’apprenant, en ayant comme objet d’apprentissage le savoir, établit une relation de tension entre les éléments, vu que le temps d’enseignement planifié par l’enseignant n’est pas forcément – il l’est même rarement – le même que l’apprenant, dans son temps d’apprentissage. Selon Chevallard, cette synchronie possible entre les deux temps n’est que fictionnelle, même s’il est possible d’imaginer que l’enseignant puisse proposer un temps d’enseignement très proche de celui de l’apprenant ; par contre, il ne faut pas oublier que cette relation est complexe et qu‘elle compte des facteurs externes à la situation didactique elle-même.