3. La méthodologie comme transposition de savoirs savants

Le concept de transposition didactique est directement appliqué à la situation d’apprentissage que nous analysons dans cette étude. Même si ce n’était pas un objectif initial, la méthodologie qui sert de base à la conception des matériels didactiques pour l’enseignement du français langue étrangère (FLE) a comme source théorique actuelle le Cadre Européen Commun de Référence, document officiel du Conseil de l’Europe.

Ainsi, la transposition didactique de Chevallard, adaptée à la situation d’apprentissage analysée dans cette étude, pourrait être organisée d’après le schéma suivant :

Figure 3 : Adaptation du schéma de transposition didactique de Chevallard
Figure 3 : Adaptation du schéma de transposition didactique de Chevallard

Nous aurions ainsi dans l’environnement la législation qui établit les bases du système d’enseignement de langue d’une manière plus vaste, sélectionnant les contenus et les procédés qui devront être travaillés en classe et qui seront ainsi transposés didactiquement. Dans notre cas, cette législation est représentée plus précisément par le Cadre Européen Commun de Référence, qui apparaît comme l’« objet savant », la proposition théorique qui donne un support à la pratique et qui est développée et élaborée par des chercheurs et experts du domaine de la didactique des langues.

Ensuite, dans le milieu de la noosphère de Chevallard, nous rencontrons le manuel comme l’« objet à enseigner », traduisant la conception des auteurs à partir de leur lecture et de leur compréhension des objectifs de la législation et du CECR comme objet savant, développé et élaboré par les auteurs des manuels.

Finalement, le système d’enseignement lui-même est représenté par la classe de langue, où le manuel se matérialise comme « objet d’enseignement » conçu par les auteurs et mis en pratique par le professeur, qui y sélectionne et ajoute des nouveaux textes et différentes activités afin de l’adapter aux attentes et besoins de ses apprenants et de lui-même.

Le seul point qui n’a pas été abordé par Chevallard dans son schéma est la position des apprenants dans la situation d’apprentissage. Par contre, ce point est évoqué par Perrenoud dans sa chaîne de transposition. Comme nous l’avons vu auparavant, Perrenoud établit une troisième transposition didactique, faite par l’apprenant précisément au moment de son processus d’apprentissage afin de mieux comprendre, à partir de ses caractéristiques individuelles, le contenu enseigné par le professeur en classe et a fin d’appliquer, dès que nécessaire, le contenu appris dans des situations a-didactiques de sa vie quotidienne.

En appliquant donc le schéma de Perrenoud à l’étude proposée, son adaptation pourrait être matérialisée de la façon suivante :

  Adaptation de la chaîne de transposition didactique chez Perrenoud

1
Savoir et pratiques ayant cours dans la société
(chercheurs et experts → CECR)

2
Curriculum formel, objectifs et programmes
(auteurs des manuels)

3
Curriculum réel, contenus de l’enseignement
(professeur)
  Apprentissages effectifs et durables des apprenants
(apprenants)

Ainsi, notre étude se propose d’analyser les différentes étapes du processus de transposition didactique d’un cours de français langue étrangère (FLE) fait au Brésil, qui doit prendre en considération les caractéristiques très particulières de cette adaptation, puisqu’il se développe à partir d’une situation socioculturelle exolangue et très hétérogène.

Il nous est possible de diviser ce schéma en deux influences distinctes. Dans un premier temps, il y a un savoir savant et une pratique localisés dans la société européenne, avec ses besoins et représentations. Cet environnement est matérialisé par le document du Conseil de l’Europe, le « Cadre Européen Commun de Référence pour les langues », élaboré par des chercheurs et experts du domaine de langues étrangères et qui sera analysé de façon plus détaillée dans les chapitres qui suivent.

Toujours dans la même ligne d’influence, la réalité européenne en général et française plus précisément, nous avons l’élaboration du manuel pour l’enseignement de FLE, qui est conçu à partir des préceptes du CECRL, mais qui se propose d’être adapté à tous les publics, avec n’importe quelle langue maternelle et dans n’importe quel pays du monde : c’est ce qu’on peut appeler une méthode généraliste. Cette conception d’élaboration de manuel se situe au niveau de la noosphère de Chevallard et se termine par une prise en considération d’une réalité trop restreinte, puisqu’il est impossible de couvrir les spécificités de chaque communauté d’individus qui étudiera à travers le manuel.

Nous verrons ensuite dans cette étude que ce caractère trop généraliste du matériel didactique devient un point négatif dans le processus d’apprentissage. L’apprenant a besoin d’établir une liaison entre ce qu’il connaît et ce qu’il apprend, en ayant comme référence des situations qui s’approchent de la réalité qu’il connaît. Cela est non seulement un facilitateur de l’apprentissage, mais aussi un élément de motivation important : l’apprenant perçoit la valeur de ce qu’il apprend et l’utilise.

La deuxième influence s’est déjà produite au Brésil, où le professeur adapte le matériel à la situation didactique de son groupe d’apprenants, ainsi qu’aux besoins et exigences du système éducatif du pays. Le système d’enseignement, d’après Chevallard, se passerait donc au Brésil, dans une réalité d’enseignement/ apprentissage très distincte de la première, dans laquelle le matériel et les contenus ont été choisis, conçus et formés.

Ce système serait composé aussi par le système didactique, où le dernier élément de cette chaîne est l’apprenant, qui a comme réalité socioculturelle le Brésil. C’est à lui de montrer les résultats de la transposition didactique, à partir de la qualité effective et durable de son apprentissage.

A partir de cette analyse, nous voyons donc l’importance du manuel comme élément de liaison entre ces deux influences, venues en même temps du contexte français et brésilien. C’est vers ce thème que nous dirigerons notre attention dans le chapitre suivant.