Chapitre III : la transposition et les manuels de FLE

C’est un consensus parmi les experts que la motivation de l’apprenant, étant un élément interne à l’individu, peut être déclenchée par différentes sources, internes ou externes, même si ces théoriciens ne sont forcément pas d’accord en ce qui concerne l’importance ou la récurrence d’un ou d’autre type de déclencheur. La perspective sociocognitive, qui parait la plus adaptée à la réalité de la classe de langue actuellement, admet que les composantes motivationnelles sont en grande partie influencées par l’environnement social de l’apprenant, c’est-à-dire par les interactions qu’il entretient avec d’autres individus et ses relations avec les différents éléments liés à l’apprentissage de la langue cible, et sont donc passibles de modifications.

Un des éléments liés à l’apprentissage d’une langue étrangère en situation scolaire est le manuel11, qui peut jouer le rôle idéal de simple orienteur et guide du processus d’enseignement/apprentissage de la langue, mais qui pourtant occupe souvent une position centrale en classe de langue étrangère, en déterminant les contenus qui seront travaillés, ainsi que la méthodologie et le rythme qui seront appliqués par le professeur.

Pourtant, un des points plus complexes dans le choix de cette utilisation est de percevoir exactement jusqu’à quel moment le manuel est un simple outil pour guider l’apprentissage et à partir de quand il devient un instrument qui dicte ce qu’il faut faire en classe.

Vargas (2006 : 23) réfléchi sur ce thème et affirme que

« Le bon manuel est donc celui qui, d’une part, contient des savoirs assurés, fiables, que l’élève ne peut assimiler seul, mais dont l’enseignant peut faire son profit. Et qui, d’autre part, tout en proposant une certaine organisation didactico-pédagogique, laisse l’enseignant relativement libre de sa démarche : un ouvrage pédagogique qui ne soit pas réellement marqué pédagogiquement. » (Vargas, 2006 : 23)

Cette affirmation présente de l’utilisation en classe une vision un peu idéalisée, bien qu’envisageable. La difficulté apparaît en fait quand on passe aux différentes réalités de classe, où les professeurs ont une forte charge de travail non seulement en salle mais aussi avec les corrections de copies et d’examens et l’élaboration de chaque cours.

Mais cette discussion n’est pas récente. Dans les années 1980, l’utilisation des manuels commence à être fortement critiqué par les didacticiens qui les considèrent comme un matériel artificiel, élaboré avec des objectifs spécifiques, et peu communicatif, ce qui laisse le professeur en position d’esclavage et limite ou même empêche sa créativité.

Dans le cas de l’enseignement de langues étrangères, le débat peut être plus significatif et décisif. À cause de la distance entre le pays d’origine de la langue et le pays où les individus l’apprennent, le manuel assume une position de référence linguistique et culturelle « moins discutable ». Autrement dit, comme il y a une distance, la critique comparative est plus difficile non seulement pour l’apprenant, mais aussi pour le professeur. Cela donne une importance particulière au manuel, vu qu’il devient au même temps un paramètre unique à l’apprenant et au professeur qui le prend pareillement comme une source de manutention de sa fluence dans la langue étrangère.

Ainsi, la discussion sur le rôle et l’importance du manuel en classe de langue étrangère est-elle toujours vive aujourd’hui encore. Pour plusieurs chercheurs, au-delà de son prix très cher, le manuel n’encourage pas la recherche personnelle, ni de l’apprenant ni de l’enseignant, et installe en salle une routine confortable, sans authenticité, en idéalisant une vision de monde différente de la réelle et sans refléter les besoins des apprenants. Pour d’autres, le manuel est un guide important pour l’apprenant, en donnant une visibilité sur le programme qui sera développé en classe, en maintenant la qualité des classes. Selon les professionnels « en faveur » des manuels, le matériel aide à standardiser l’enseignement, à offrir une variété de ressources et des modèles de langage, ainsi qu’à entraîner les professeurs sans expérience.

« Mais le maître, nous l’avons dit, tient à sa liberté pédagogique : le manuel ne doit pas venir perturber son projet en imposant sa propre démarche ; il ne doit pas menacer sa liberté, voire son identité ; le manuel est indispensable quand on débute, mais l’objectif du bon maître, c’est, normalement, d’éliminer le manuel des sources de son savoir et de ses pratiques. Le maître doit être la source du savoir. » (Vargas, 2006 : 23)

Dans la pratique, le manuel est un outil d’enseignement d’une grande importance. Comme nous l’avons remarqué, généralement le professeur a une lourde charge de classes par semaine et utilise le matériel comme une recette prête plus simple et facile à exécuter. Ainsi que l’affirme ‘ Métoudi et Duchauffour (2001 : 76), ’ ‘ ’ ‘ « Les manuels c’est un gain de temps pour la préparation des cours. » ’ ‘ ’Dans le cas de l’enseignement de langues étrangères, c’est vrai qu’il y a quand même un grand éventail de matériel à choisir, tous se proposant d’être communicatifs et pratiques, mais la contestation posée par les défenseurs de la non-adoption du manuel, c’est de que « a abordagem comunicativa quando fixada por e num material didático passa a ser tão impositiva quanto a [abordagem] anterior. »12 (Coracini, 1999 : 19). Cela se passe, principalement, à cause de l’importance donnée au manuel par le professeur de langues.

Malgré les nombreuses tentatives d’enseigner la langue sans l’adoption de manuels, à travers l’utilisation de textes authentiques, par exemple, cette méthodologie s’est montrée inefficiente et spécialement complexe par la difficulté d’avoir tout le matériel dont le professeur avait besoin. La situation est encore aggravée dans l’enseignement de langues étrangères, dont l’accès aux textes authentiques et actuels dans la langue cible est généralement difficile et cher. Elle oblige le professeur à opter par l’adoption d’un livre qui fonctionne comme un fil conducteur pour les activités qui seront développées en classe et qui est souvent la seule source de consultation et lecture pour les apprenants et parfois même pour le professeur. Pour ce choix, on peut aussi compter la facilité que le manuel porte au travail du professeur en ce qui concerne la détermination du contenu, sa progression et l'économie de temps pour préparer chaque cours.

Toutefois, le questionnement qui se pose concerne la réelle fonction du manuel : est-il un outil pour aider l’apprenant ou le professeur ? Selon Vargas (2006 : 19), le manuel devient un matériel nécessaire au travail du professeur :

« La réponse est claire : « Les manuels […] restent un instrument de travail essentiellement pour le maître » (Bucheton, 1999 : 43), Les contenus sont utilisés par les enseignants pour préparer leur cours (enquête statistique de 1992, rappelé par Bucheton), le plus souvent en faisant leur marché dans des manuels différents, en faisant du zapping selon leurs besoins. Il faut donc que le manuel convienne d’abord au maître. »

La perception présentée par Vargas dans l’extrait montre le côté pratique de l’utilisation du manuel, mais non l’idéal. Le manuel doit fonctionner comme un élément d’interaction entre tous les agents du système d’enseignement et non pour aider à un seul agent, sans compter le fait que l’apprentissage et l’apprenant sont l’objectif principal de tout système et de la transposition didactique, comme nous le verrons par la suite.

Notes
11.

Manuel : Ce sera considéré ici comme un outil qui appartient à une méthode (ensemble du matériel d’enseignement).

12.

L’approche communicative, lorsqu’elle est figée par et dans un matériel didactique, devient si imposante que l’approche précédente.