1. Le manuel comme transposition d’une méthodologie

Dans le chapitre précédent nous avons discuté la notion de transposition didactique dans l’enseignement et les différents éléments qui font partie de ce processus. Le manuel apparaît comme la matérialisation d’une partie de ces transformations, la deuxième dans le schéma de Chevallard, dans une adaptation du savoir à enseigner au savoir enseigné. Selon l’affirmation de Quessada et Clément (2007) :

« Le manuel est un stade important de la transposition didactique, entre le « savoir à enseigner » et le « savoir enseigné ». Les auteurs sont influencés par les programmes scolaires en vigueur, mais aussi par les conceptions des scientifiques et par les valeurs dominantes dans le contexte historique, politique et social du moment. » (Quessada et Clément, 2007)

Les mots de Quessada et Clément nous montrent en même temps le rôle du manuel dans le système éducatif et la complexité de sa conception. Pour être un matériel central dans le processus d’apprentissage, sa conception est influencée par différents secteurs – politique, éducatif, éditorial et social, comme nous verrons par la suite. Ces influences apparaissent dans le moment de la matérialisation du manuel comme représentant d’une méthodologie d’enseignement qui doit suivre certains préceptes déterminés par des facteurs externes, en respectant au même temps les spécificités propres au matériel : langage, structure, présentation, entre autres.

Ces influences externes renforcent la caractéristique sémiotique des manuels : y sont présents des textes, des images, des tableaux, des couleurs et des signes qui font de ces livres un outil important d’appui à l’apprentissage. De cette forme, en prenant en considération le processus de conception d’un manuel dans sa totalité, il se présente comme un objet complexe, qui doit passer par plusieurs étapes jusqu’au moment d’être utilisé en classe, en formant un système social autour de cet outil. Selon Rocher (2007), ce système du manuel peut être organisé en trois sous-systèmes : la production du matériel, sa mise en marché et distribution et sa consommation.

Le premier sous-système est donc la production du matériel et nous pouvons déjà le considérer comme très complexe en soi. Plusieurs acteurs participent à cette étape, responsables par la conception méthodologique et graphique du manuel : auteurs, rédacteurs, illustrateurs, dessinateurs et réviseurs, entre autres, qui peuvent travailler en équipe ou individuellement, mais qui doivent prendre toujours en considération la totalité de la conception avec ses règles particulières, comme la finalité éducative ou l’âge des apprenants, par exemple.

« Le manuel scolaire, étant de par sa nature porteur de connaissances, est le porte-parole d’un champ particulier du savoir, d’une science, d’une discipline. La discipline à laquelle appartiennent concepteurs et rédacteurs représente elle-même un vaste système social international, où règne des paradigmes dominants et des paradigmes minoritaires, des théories émergentes, d’autres en déclin, et une hiérarchie de savants reconnus ou en voie de l’être. Le système de la discipline se concrétise, se personnalise. » (Rocher, 2007 : 15)

Cette transposition du contenu comme nous voyons dans ces mots de Rocher est juste une partie de tout le processus d’élaboration du manuel. Ensuite, le matériel est enrichi d’illustrations et de couleurs, en même temps qu’est faite une révision linguistique. Finalement, les contrôleurs font une analyse concernant la qualité du contenu, son utilité et l’opportunité du manuel.

Le deuxième sous-système est de la responsabilité de la maison d’édition, qui doit prendre en charge la mise en marché et la distribution du manuel. Pour cela, elle compte avec de professionnels de différents domaines, comme le marketing et les ventes, pour que le matériel arrive directement à sa clientèle. Pour le fait de bien connaître le marché, la maison d’édition joue un rôle important aussi dans le sous-système antérieur, vu qu’elle a le pouvoir de définir ce qu’elle investira dans le marché et le type de manuel qu’elle distribuera, comme nous montre Souza (1999 : 30)

« O aparato editorial presta atenção a todos esses elementos, estabelecendo certos padrões a serem seguidos pelos autores de livros didáticos. Esses padrões são motivados também por razões financeiras. É nesse momento que a presença do “autor” tende a desaparecer, no sentido foucaultiano do termo, pois o livro deverá apresentar sucesso de mercado. O livro didático que não vende está fadado ao fracasso e, conseqüentemente, ao desaparecimento. » 13

Ce que Souza veut nous exposer avec cette citation est que les maisons d’éditions établissent des normes qui doivent être suivies par l’auteur du matériel afin de garantir le succès de vente de la méthode ou au moins de le tenter. Ces normes effacent d’une certaine manière la présence de l’auteur, mais cela se montre comme un prix nécessaire à payer, vu qu’un manuel qui ne se vend pas tend à faillir et, par conséquent, à disparaître.

Et finalement, le troisième sous-système est celui de la consommation du manuel, dont l’acteur principal est bien évidemment l’apprenant, public cible du matériel, mais aussi l’enseignant qui le choisira. Ce sont eux qui donneront vie aux contenus, à travers leur usage actif ou passif, pendant l’interaction en classe. Ce processus pourra aussi continuer dehors de l’école, avec l’intervention des parents pour les plus jeunes, par exemple, afin de les encourager ou de les aider dans l’utilisation du matériel.

Cette intervention est nécessaire car il existe une difficulté naturelle des apprenants d’accéder au savoir seulement à travers le manuel, sans la présence et intermédiation de l’enseignant, même si l’on considère qu’une partie des professeurs croit que le manuel devrait être simplement un recueil d’exercices pour l’apprenant. Pour qu’il soit vraiment adapté aux apprenants, il devrait envisager un apprentissage autonome du savoir, ce qui est encore plus complexe dans le cas de l’enseignement de langues étrangères et où la référence du savoir (la langue elle-même) est loin de la réalité de l’apprenant (qui est à l’étranger). Cette caractéristique distincte du manuel apporte une difficulté accentuée par le fait qu’il est conçu pour deux usagers, l’apprenant et l’enseignant, personnages qui jouent un rôle très différent dans une situation didactique.

Mais les fonctions et influences à chacun des ces acteurs sont différentes, car le manuel est utilisé par l’enseignant et par l’apprenant avec des objectifs propres. Comme nous l’avons vu, sa caractéristique plurisémiotique incite l’apprenant à étudier car il motive l’individu à apprendre de différentes manières, présentant les contenus à travers ce qui lui est plus sensible ; cela va exploiter des dimensions psychologiques et linguistico-pragmatiques de l’apprenant, favorisant son développement dans plusieurs niveaux et l’aidant dans son apprentissage.

Le professeur, lui aussi, croit à l’importance du manuel et des activités comme élément motivationnel à l’apprenant, ainsi qu’à lui-même. Pour lui, c’est l’opportunité d’avoir un contenu organisé de forme cohérente, avec un développement de difficulté progressif. Mais ce n’est pas seulement une question de motivation personnelle. Plusieurs chercheurs comme Viau (1994, 1999), Williams et Burden (1999) ou Dörnyei (2000, 2001) croient à l’existence d’une intention permanente du professeur pour motiver ses apprenants, en essayant de créer chez eux une attitude favorable et positive à l’apprentissage de la langue. Tout cela ayant comme base une méthodologie et par conséquent des méthodes (et les manuels) ; il les adapte donc pour arriver à son objectif d’aider l’apprenant dans son processus. C’est là qu’on trouve la transposition didactique, selon l’idée de Vargas (2006) :

« On pose, généralement à la suite de Chevallard (1985, 1991), que les savoirs à enseigner se construisent par transposition didactique, opération parfois fort complexe. Peut-être la réalité est-elle encore plus complexe que pourrait laisser penser la notion de transposition didactique. Nous avons eu l’occasion de montrer qu’on ne passe pas de la linguistique à la grammaire scolaire par simple transposition. Un professeur de lettres ou un professeur des Écoles ayant une formation littéraire ou linguistique ne construit pas ses fiches de préparation en grammaire à partir des savoirs universitaires, mais à partir des manuels. » (Vargas, 2006 : 18)

Au moment de l’application de l’objet d’enseignement et a fin d’augmenter l’intérêt et la motivation des apprenants, le professeur ajoute des activités à celles déjà existantes dans le matériel et finit pour créer une méthode et une méthodologie propre, à partir de cette transposition personnelle. La qualité de cela va changer d’accord avec l’expérience de chaque enseignant, sa connaissance de la méthodologie appliquée et les intérêts des apprenants, mais ce qui est sûr c’est qu’il aura comme référence un public déterminé et connu, facilitant ainsi sa tâche et permettant un résultat plus proche de l’idéal.

Notes
13.

« L'appareil éditorial fait attention à tous ces éléments, en établissant certaines normes qui seront suivis par les auteurs de manuels. Ces normes sont motivées aussi pour des raisons financières. C'est à ce moment que la présence de l'« auteur » tend à disparaître, dans le sens foucaldien du terme, donc le livre devra présenter succès de marché. Le livre didactique qui ne vend pas est prédestiné aux échecs et, par conséquent, à la disparition. »