2.3 Le manuel comme un élément motivationnel de l’apprentissage

Le manuel comme un élément motivationnel pour l’apprentissage est un sujet qui nous intéresse en particulière dans cette étude, spécialement à cause d’une discussion bien restreinte du thème jusqu’à présent. Cette absence peut être due à une attitude encore fréquente chez les spécialistes, celle de considérer la motivation comme un facteur qui agit plutôt avant la prise de décision de l’apprenant pour apprendre la langue qu’après, pendant le processus d’apprentissage, affirmation que nous croyons incorrecte ou au moins assez simpliste. Comme le citent Williams et Burden (1999),

« Los estudios especializados han tenido tendencia a no diferenciar con claridad entre lo que inicia la motivación, esto es, lo que “enchufa a alguien” a una actividad, y lo que sostiene la implicación en la actividad, esto es, lo que lo mantiene interesado en la persecución de una meta específica. Hay una gran cantidad de motivos por los que los alumnos pueden estar sumamente motivados para comenzar a aprender un idioma, pero un asunto muy distinto es el sostenimiento de esa motivación. » 14 (Williams et Burden, 1999 : 149)

Dans le cas de l’étude que nous développons ici, par exemple, notre public cible est adulte et choisit d’étudier une langue spécifique dans un centre de langues, où il paye des frais de scolarité. On peut le considérer donc comme un étudiant « non-captif » selon les termes utilisés par Courtillon (2003), qui possède déjà une motivation initiale qui le pousse à commencer son apprentissage. Ainsi, ce qui est important à ce public n’est pas la création d’une motivation, mais plutôt la maintenance d’une motivation déjà existante, ce qui est définie et appelé par Dörnyei la « motivation exécutive » et fait partie de la deuxième partie de son modèle, la phase actionnelle.

En fait, le modèle de Dörnyei pour l’étude de la motivation nous intéresse ici plus particulièrement car il est le seul à prévoir le processus motivationnel dans différentes phases, avec la possibilité d’action de plusieurs influences externes pendant les étapes, ce qui inclut la maintenance de la motivation, moment dans lequel le manuel peut influencer de manière directe le niveau motivationnel de l’apprenant. Il clarifie ainsi le processus motivationnel dès le moment de la manifestation de l’intention d’agir jusqu’à l’évaluation faite par l’individu après son action accomplie. Selon l’auteur, ce processus est valable pour les actions à court terme, comme la participation dans une tâche quelconque en classe, ainsi que pour les actions à long terme, comme l’apprentissage d’une langue étrangère. Il est clair que cette vision de l’auteur est facilement acceptable pour un apprenant « non-captif », qui a choisi lui-même d’étudier la langue étrangère, mais le même n’est pas forcément vrai dans le cas des apprenants « captifs », qui apprennent la langue à l’école, qui ne réfléchissent pas obligatoirement sur tout le processus et qui ne passent pas par toutes les étapes décrites par Dörnyei.

En tout cas, la description de Dörnyei nous donne une vision plus claire de toutes les étapes et influences du processus motivationnel, description détaillée qui n’a pas été faite dans le cas de la théorie de Williams et Burden (1999), qui se montre très simpliste devant le thème et qui ne rend pas compte de la complexité du processus motivationnel de l’individu. Les auteurs formulent un modèle qui essaye d’expliquer la motivation initiale pour étudier la langue et les différents éléments qui interagissent au moment de la prise de décision, mais sans aller plus profondément dans le thème, sans considérer les facteurs qui influencent constamment la motivation et sa conséquente maintenance.

En fait, la question de l’influence motivationnelle des facteurs externes à l’individu est rarement discutée et, quand les chercheurs le font, généralement l’attention est mise sur le rôle du professeur, considéré comme principal responsable pour les probables changements du niveau motivationnel de l’apprenant. Viau (1994) défend l’idée selon laquelle, à la différence des théories qui centralisent l’apprentissage dans l’apprenant, les théories motivationnelles montrent que l’engagement du professeur est un élément clé pour que le niveau motivationnel de l’apprenant augmente. En réalité, cette affirmation est difficilement contestable, principalement car le professeur assume le rôle de médiateur entre tous les différents composants de la situation d’apprentissage : entre l’apprenant et la méthodologie d’enseignement, l’ambiance physique de la classe ou les normes exigées par l’établissement d’enseignement, entre autres. Viau (1994) se limite donc à l’étude de la motivation chez l’apprenant ou le rôle du professeur dans cette motivation, mais pas à la question de l’importance des matériels utilisés en classe ou les conséquences directes de la méthodologie adoptée par le professeur.

Ainsi que Viau, Dörnyei (2001) ne s’attarde pas non plus sur le thème des matériels utilisés par le professeur en classe de langue. Son instrument, conçu pour évaluer la motivation de l’apprenant pour étudier une langue, relève principalement des représentations que l’individu a de l’apprentissage de la langue et de sa pertinence, soit pour lui-même, soit pour les autres. Cette intention d’étudier les représentations est marquée dans presque toutes les questions qu’il a formulées, à travers des structures comme « How much do you think... » (questions 2, 5, 6 et 7) ou « How important do you think... » (questions 3, 4 et 13).

Par contre, lui aussi, il considère comme grande l’influence des manuels sur le développement de la classe, sur le comportement du professeur et, par conséquent, sur le niveau motivationnel des apprenants. L’auteur souligne l’importance de développer un travail en classe en utilisant comme outil un matériel qui s’adapte aux besoins et aux attentes des apprenants, car un des plus grands facteurs de démotivation des apprenants est quand ils doivent apprendre quelque chose auquel ils ne peuvent pas percevoir la pertinence pour leur vie.

Dörnyei défend que, généralement, les curriculums ne sont pas élaborés à partir des besoins et attentes des apprenants, mais à partir de la structure présenté par le manuel. Le problème est encore plus grave car même les meilleurs manuels donnent beaucoup plus d’importance à la présentation du contenu – dans son aspect graphique et esthétique – qu’au contenu lui-même et sa relevance chez les apprenants. Une critique dure, c’est vrai, mais qui aborde un point intéressant des représentations qu’on a, nous-mêmes, sur ce qui peut être motivant. Si un manuel bien présenté, coloré et organisé peut motiver initialement et à court terme l’apprenant, c’est l’importance et la pertinence du contenu travaillé qui va maintenir à long terme cette motivation.

« In effect, it is the publishers of the coursebooks who determine the content of the curricula that teachers are to follow in their L2 classes. This would not be a problem if this content was based on real needs and interests. While publishers always claim that this is so, commercial interests frequently override the authors’ creativity. Publishing textbooks is a multi-million dollar business and therefore publishers are extremely careful not to offend any segment of their potential market by ‘controversial’ topics. And if you are an international publisher catering for markets as diverse as Asia, Europe, the Arab world or South America, the chances are that only the most neutral and sterile topics will remain. » 15 (Dörnyei, 2001 : 64)

Ainsi, en essayant d’analyser le contenu des manuels, ou plus précisément les activités y présentées, Sánchez Pérez (1993) formule un outil en se basant dans une série de 19 questions. Même en ayant le mérite d’être le seul chercheur à créer un outil pour l’analyse motivationnelle des activités pour l’enseignement de langues étrangères et de relever des points importants comme l’intérêt du contenu, la possibilité de réussite de la tâche ou la perception de son utilité, l’instrument de Sánchez Pérez doit être adapté, car il utilise des facteurs trop liés à l’émotion ou au caractère ludique de la motivation, en donnant une grande importance aux activités en forme de jeux (question 10 – caractère ludique), avec un prix (question 9 – existence d’un prix), ou comme amusement (question 15 – tâche susceptible d’amuser). En fait, aujourd’hui on sait que ce type d’approche d’activités peut favoriser l’augmentation de la motivation, mais à peine de manière superficielle et provisoire, sans garantir sa pérennité.

Notes
14.

« Les études spécialisées ont eu tendance à ne pas différencier avec clarté entre ce qu'il entame la motivation, c'est-à-dire, ce qui « relie quelqu'un » à une activité et à ce qui soutient l'implication dans l'activité, c'est-à-dire, ce qui le maintient intéressé dans la persécution d'un objectif spécifique. Il y a une grande quantité de motifs par lesquels les élèves peuvent être suprêmement motivés pour commencer à apprendre une langue, mais une affaire très différente est la maintenance de cette motivation.  »

15.

« En effet, ce sont les éditeurs des manuels qui déterminent le contenu des programmes d'études que les professeurs doivent suivre dans leurs classes de L2. Ce ne serait pas un problème si ce contenu était basé sur les vrais besoins et intérêts. Tandis que les éditeurs réclament toujours que c'est ainsi, les intérêts commerciaux dépassent fréquemment la créativité des auteurs. L'édition des manuels est un affaire de multi-million de dollar et les éditeurs font donc extrêmement d’attention à ne pas offenser n'importe quel segment de leur marché potentiel par des matières controversées'. Et si vous êtes un éditeur international d'un marché aussi divers couvrant l'Asie, l'Europe, le monde arabe ou l'Amérique du Sud, il est probable que seulement les matières les plus neutres et les plus stériles demeurent. »