4.1 La classe comme lieu d’interaction

À partir du moment où on commence à aborder la question de la communication dans l’apprentissage de langue augmente l’intérêt pour l’étude de l’interaction en classe. Elle commence à être considérée comme un lieu de rencontre social entre les acteurs du processus d’enseignement/apprentissage. Comme le souligne Cicurel (2002 : en ligne) :

« Le développement des recherches sur la conversation dans le domaine de la pragmatique interactionnelle pousse à considérer la classe, à partir des années 80, comme un lieu socialisé, où s’établit un échange actif entre des partenaires ayant leur place dans l’interaction. Les interactants ont des buts partiellement convergents (à visée didactique), préexistant à l’interaction et la légitimant (programmes, objectifs à atteindre, résultats), mais cette planification n’élimine pas pour autant l’existence de dispositifs communicationnels complexes. Constamment, l’action planifiée du professeur rencontre des épisodes pouvant survenir dans le déroulement de l’interaction et la modifier. »

Cette action planifiée dont nous parle Cicurel est faite par le professeur ayant comme un des principaux instruments le manuel, qui légitime ses choix concernant l’organisation proposée à chaque cours, ainsi que les contenus qui y seront travaillés. En ce qui concerne l’enseignement de langues étrangères, il nous est possible d’observer que cette légitimation est faite à deux différents niveaux : celui de l’enseignant lui-même et celui de l’apprenant.

Le premier de ces niveaux correspond à l’enseignant lui-même, où l’utilisation d’une méthode facilite les différents choix pédagogiques qui sont à sa charge. La détermination des contenus qui seront travaillés, l’ordre dans lequel tout se déroulera, la méthodologie plus adaptée au public et les thèmes qui attireront plus l’attention de l’apprenant sont des décisions difficiles et qui exigent une grande responsabilité de la part de l’enseignant. Si tout cela serait déjà laborieux pour n’importe quel enseignant, il est beaucoup plus complexe pour un enseignant qui a comme objet d’enseignement une langue qui n’est pas sa langue maternelle ou celle de ses apprenants. Dans ce cas, le niveau de difficulté et de doutes augmente, car il y a une grande quantité de références que lui manquent. La solution naturelle est donc l’appui sur un manuel, qui présente en même temps une cohérence méthodologique, une actualisation concernant les thèmes et les contenus abordés, ainsi qu’une organisation préalable de la progression des cours.

Le deuxième niveau serait la légitimation de l’apprenant, lui aussi loin d’une référence de langue et qui voit dans la méthode et dans son professeur cette source. Par contre, comme nous avons abordé plus haut (cf. Chapitre III), l’autorité du manuel devient plus forte, vu qu’il est un matériel signé et approuvé par les auteurs, la maison d’édition et l’établissement d’enseignement. Comme le souligne Coracini (1999 : 33) :

« (…) a legitimação do livro didático se daria, então, na escola, instituição a quem é atribuída a função de preparar o cidadão para a vida em sociedade, segundo, é evidente, os valores que essa sociedade reconhece como seus, ao mesmo tempo em que os constrói. (...) é nesse contexto que se insere o uso do livro didático pelo professor que, autorizado pela instituição escolar (já que é portador de um diploma legalmente reconhecido), legitima o material comercializado, considerando-o a base para seu trabalho em sala de aula. Assim, o livro didático funciona como o portador de verdades que devem ser assimiladas tanto por professores quanto por alunos. » 18

Nous pouvons rapprocher cette idée de légitimation du manuel donnée par la société de la notion de transposition didactique de Chevallard, qui clarifie l’influence directe de l’environnement dans le travail développé dans le milieu éducatif. Même si c’est à l’école de décider le meilleur chemin dans le processus de ses apprenants, elle ne le fait pas toute seule ; dans un système de double sens, elle reprend dans la société ses valeurs, ses intérêts et ses besoins et forme les individus pour les suivre. C’est dans ce contexte que le manuel est utilisé, transposant aux individus les valeurs et les besoins qu’ils attendent, en même temps que le savoir spécifique de la discipline étudiée.

De cette façon, après que l’enseignant et les apprenants aient légitimé les contenus didactiques, ils sont prêts à interagir en classe, afin d’initier le développement du processus d’enseignement/apprentissage de la langue. Cela prévoit obligatoirement l’engagement de tous les acteurs, professeur et apprenants, ce qui nous parait évident lorsqu’on considère l’attitude de l’enseignant, puisque c’est lui qui a préparé la classe et suggéré les activités. Par contre, cela n’est pas forcement vrai lorsque nous parlons des apprenants, qui peuvent avoir des réactions les plus diverses concernant les activités proposées, sans s’y engager suffisamment, au point d’agir et d’interagir en classe, question fondamentale de l’interaction, comme le souligne Rivière (2005 : 99) :

« L’interaction engage également les participants à occuper le terrain de l’action et à prendre des « rôles praxéologiques » que Filliettaz (2002, 82) définit comme un « mode de participation à l’agir » qui détermine, avec les rôles participatifs (mode de participation à la communication), les « identités situationnelles » assumées par les protagonistes. »

Comme le nous verrons plus loin, cet engagement dans les situations proposées en classe est un élément motivationnel fondamental. C’est en interaction que les acteurs mettent en œuvre leurs connaissances et leurs compétences, augmentant de cette manière leur perception de réussite et leur motivant à continuer dans le processus.

Au contraire des croyances de plusieurs enseignants, les interactions n’exigent pas toujours la présence du professeur comme médiateur du savoir ou des connaissances qui doivent être apprises. Après un premier contact des apprenants avec le savoir à travers la médiation du professeur, celui peut s’éloigner de la situation, laissant aux apprenants eux-mêmes la tâche d’établir une interaction cohérente. Cela va se faire de manière naturelle, avec le surgissement des plusieurs négociations du sens, ainsi que l’argumentation elle-même.

Comme l’exemplifie Giné (2005 : 270), l’interaction en des petits groupes est une excellente motivation aux apprenants, car

« Les interlocuteurs « mettent en commun » leurs diverses interlangues, réactivent, récupèrent et appliquent leurs savoirs et savoir-faire propres et ceux des autres, exerçant ainsi un contrôle sur ces compétences. Leurs interactions comportent plus de négociation du sens qu’avec la présence d’un expert. L’intégration de savoirs est plus grande lorsqu’il faut défendre ses idées, ce qui est naturel et motivant en petit groupe. »

Ainsi, à partir des activités proposées par le manuel et par l’enseignant en classe de langues étrangères l’apprenant construit ses connaissances non seulement de nature linguistique mais aussi sociale, à travers l’interaction avec les autres apprenants. Pourtant, la référence sociale est un élément assez complexe vu qu’elle est un élément à comprendre, plutôt qu’à apprendre.

Notes
18.

« La légitimation du manuel se donne donc à l’école, institution à qui est attribuée la fonction de préparer le citoyen à la vie en société, selon évidemment les valeurs que cette société reconnaît comme siens, en même temps que les construit. C’est dans ce contexte que s’insère l’utilisation du manuel par le professeur que, autorisé par l’école (puisqu’il a un diplôme légalement reconnu), légitime le matériel commercialisé, en le considérant la base de son travail en classe. Ainsi, le manuel fonctionne comme un porteur de vérités qui doivent être assimilées par les professeurs, ainsi que par les apprenants. »