4.2 L’interaction et médiation du manuel de langue étrangère

Malgré les difficultés réelles de compréhension et appréhension des caractéristiques culturelles liées à une langue étrangère, il ne nous est pas possible de les oublier tout simplement et ni de faire semblant qu’elles n’existent pas ou qu’elles ne sont pas importantes pour l’acquisition de la langue.

Ainsi, l’élément qui apporte à l’enseignement ces caractéristiques et stimule l’interaction social entre les acteurs du processus est le manuel, puisqu’il a été produit in loco, c’est-à-dire en France, ce qui lui donne un statut de représentant social et culturel de la société où la langue est parlée.

Mais le point fondamental est le fait que le manuel est toujours utilisé par les acteurs, ce qui veut dire qu’il est impossible de garantir que son utilisation sera celle imaginée par les auteurs au moment de la conception du matériel. L’enseignant manipule le manuel et l’adapte, mais il n’est pas le seul. Les apprenants aussi récréent les situations et les activités, en les adaptant à leurs intérêts et besoins.

Cette adaptation, dans des différents niveaux, contribue à un éventail de possibles résultats du processus d’apprentissage de la langue étrangère qui n’ont pas été forcement imaginés par les auteurs quand de sa création. Parmi ces différents niveaux, nous pouvons citer le public, le temps et la progression des contenus et l’évaluation.

En ce qui concerne le public, nous avons déjà affirmé auparavant (cf. Chapitres III) la nécessité d’utiliser un matériel didactique en classe qui soit proche des attentes des apprenants. Comme il y a une distance entre eux et leur objet d’étude, le manuel sert de pont entre les acteurs ; c’est à travers lui que l’apprenant a son premier contact avec les locuteurs de la langue cible et le discours du natif. Cela lui servira de référence pendant tout le processus d’enseignement/ apprentissage, comme source du registre de langue qu’il veut apprendre : celui qui est effectivement utilisé en situation réelle de communication.

Cette référence lui est en fait très importante ; il n’est pas rare que les apprenants expriment l’objectif de ne pas parler « comme un étranger », c’est-à-dire, de parler trop « grammaticalement » ou de manière « trop correcte ». Cela ne veut pas du tout dire que les natifs ne parlent pas correctement leur langue, ce serait une affirmation absurde, mais il montre en réalité la perception de plusieurs apprenants, qui distinguent les différents registres. Pour eux, parler sans les marques de l’utilisation quotidienne de la langue donne l’idée de ne pas la connaître effectivement.

On pourrait imaginer qu’il est difficile aux auteurs de matériels didactiques de s’adapter à ces besoins des apprenants, mais en réalité c’est justement avec des activités qui stimulent l’interaction entre les apprenants qu’ils les réalisent de manière plus efficace. Nous voyons donc le manuel dans un double rôle interactionnel : servir de médiateur entre les acteurs comme représentant « officiel » du contenu qui sera appris et stimuler les interactions entre les apprenants, à travers la suggestion de ses activités.

Un autre point habituel d’adaptation des manuels est le temps d’utilisation en classe de langues. Élaboré par les auteurs pour être utilisé dans une certaine quantité d’heures de cours – généralement de 100 à 120 heures par niveau – dans la pratique ce n’est pas forcement ce qui se passe. C’est le cas, par exemple, des classes que nous avons analysées dans cette étude. Il existe une différence entre le temps établi par les auteurs comme idéal pour l’apprentissage (cf. Chapitre VI) du niveau débutant de la méthode – entre 70 et 120 heures – et le temps déterminé par les professeurs du Centre de langues comme idéal pour l’apprentissage des brésiliens – autour de 240 heures.

Il est indéniable que ce facteur change complètement les résultats attendus par les auteurs de la méthode et créent un nouveau paramètre d’analyse de résultats. Cela parce que ce facteur influence directement la progression des contenus qu’il présente : si on a plus de temps pour travailler les contenus, on a par conséquent une opportunité plus grande d’ajouter des activités ou modifier ce qui a été proposé par les auteurs de manière à les adapter aux besoins et attentes des apprenants, mais la décision est assez complexe. D’un côté, cette attitude peut renforcer la motivation et l’implication des apprenants ; de l’autre côté, elle ralentit l’apprentissage, ce qui peut démotiver l’apprenant s’il a le sentiment de progrès trop lents et d’ennuis.

Finalement, le manuel sert aussi en classe comme médiateur du processus d’évaluation de l’apprenant et de son apprentissage, tâche difficile mais que l’enseignant doit obligatoirement accomplir, indépendamment d’être un cours régulier – dans une école par exemple – ou d’enseignement complémentaire, comme dans le cas d’un centre de langues. Tout processus d’enseignement/apprentissage prévoit une progression et il est naturel que l’individu attende une évaluation de sa performance, mais il reste toujours la questionnement de comment évaluer la performance, si elle n’est pas faite in loco, par des parleurs natifs de la langue étrangère et, en conséquence, quelle référence faut-il avoir pour avoir le plus de précision possible.

Ainsi, le manuel apparaît-il comme un facilitateur du processus d’évaluation en langues étrangères, ce qui est fait de deux manières : en stimulant une l’auto-évaluation par l’apprenant lui-même et en permettant une évaluation de la part du professeur. L’auto-évaluation est motivée à plusieurs moments, spécialement à travers les activités que l’apprenant doit réaliser, mais aussi à partir de la référence de langue qu’il trouve dans le matériel et que lui servira de paramètre linguistique. De la part de l’enseignant, le manuel l’aide à organiser les points essentiels à évaluer, ainsi que les niveaux de difficulté attendus pour chaque étape de l’apprentissage.

Le rôle du manuel comme élément d’interaction et de médiation en classe n’est pas formellement défini, mais il est mis en œuvre au sein de la classe par le contrat didactique, qui coordonne de manière sous-jacent les relations entres les acteurs pendant leur interaction. C’est cette fonction que nous allons analyser et discuter à la suite.