Partie III : étude de la transposition didactique actuelle au Brésil et au CELIN

Chapitre V : le « CECRL » comme base pour la conception des manuels

1. La politique linguistique en Europe

Penser au langage et à la langue est penser à la culture d’un peuple, cela parce que la raison de l’existence du langage est la nécessité pour l’être humain de communiquer en situation d’interaction. Ainsi, la société apparaît-elle comme la condition du langage et la vie sociale comme le déclencheur de la nécessité pour l’homme de communiquer.

Cette communication – dans ces différentes formes – est présente dans tous les domaines de la vie sociale et se montre dès le début comme une manière efficace de transmission des techniques, la possibilité du développement du récit et par conséquent de la mémoire collective, comme dans les sociétés de tradition orale, ainsi que comme un moyen de persuader l’interlocuteur. Nous voyons donc l’établissement d’un rapport direct entre la langue et le pouvoir social et politique qu’elle peut apporter. Comme nous l’affirme Calvet (1999 : 31) :

« C’est dire que dès l’origine la langue est liée aux rapports de force, au pouvoir et à la négociation, et qu’il n’est pas impossible d’imaginer une relation entre ces formes de pouvoir et l’évolution des langues elles-mêmes (l’apparition de la possibilité grammaticale du conditionnel, de l’impératif, etc., est sans doute liée à des rapports de pouvoir). »

Ces rapports de force, pouvoir et négociation dont nous parle Calvet seront décisifs au moment des conquêtes tout au long de l’histoire. Une invasion territoriale réussie présupposait également une conquête linguistique et par conséquent culturelle, avec la prédominance de la langue du conquérant sur celle du conquis. La langue devient donc un instrument de renforcement du pouvoir et son utilisation politique se transforme en un élément essentiel de la vie en société.

La conséquence de cette relation entre langue, culture et politique est le besoin d’une prise de décision à niveau organisationnel ou gouvernemental concernant différents facteurs, dès la souveraineté de cette langue dans un territoire jusqu’à ses structure, lexique, règles grammaticales, etc. Cela exige donc une politique linguistique pour chacun des cas, ainsi qu’une planification d’action pour la mise en œuvre des décisions, deux concepts clarifiés par Calvet (1999 : 155) et qui seront considérés dans cette étude :

« Nous considérons la politique linguistique comme l’ensemble des choix conscients effectués dans le domaine des rapports entre langue et vie sociale, et plus particulièrement entre langue et vie nationale, et la planification linguistique comme la recherche et la mise en œuvre des moyens nécessaires à l’application d’une politique linguistique. »

La politique linguistique d’un pays représente ainsi une prise de décision par rapport à la langue d’un autre pays et montre son possible intérêt pour une ouverture sociale ou politique envers un pays dans lequel une autre langue est parlée. Cela non seulement en ce qui concerne l’autre culture, mais aussi dans des domaines qui n’ont apparemment rien à voir avec les questions purement linguistiques, comme le commerce, l’économie, le sport ou le tourisme.

Si cela est vrai pour un pays en vue d’une ouverture internationale, c’est encore plus marqué pour un groupe de différents pays unifiés comme c’est le cas du Conseil de l’Europe, crée en 1949, qui met en pratique son objectif principal d’établir une connexion plus forte et plus étroite entre les Etats qui le composent, en utilisant différents niveaux d’action.

A la différence des pays envahisseurs qui auparavant avaient pour objectif de conquérir des territoires et supplanter une autre langue et une autre culture, en les effaçant totalement, l’intention de l’Union Européenne est au contraire d’unir les États qui la composent en préservant les caractéristiques particulières de chacun en même temps qu’en établissant des moyens de convergence par rapport à l’économie et à la politique, par exemple. Ainsi, malgré l’intégration économique et de mobilité, avec la mise en place d’une seule monnaie et des lois communes à tous les pays, l’Europe maintient sont caractère plurilingue et pluriculturel.

En ce qui concerne les questions linguistiques, le multilinguisme est une réalité indéniable dans l'Union européenne, considérant la grande quantité de langues officielles (23 langues au total) de la région : tchèque, danois, néerlandais, estonien, anglais, finlandais, français, allemand, grec, hongrois, italien, letton, lithuanien, maltais, polonais, portugais, slovaque, slovène, espagnol, suédois, bulgare, roumain et irlandais. Considérant cette diversité, le défi est donc double : d’un côté, préserver les caractéristiques propres à chaque langue et de l’autre, promouvoir une intégration linguistique entre les pays.

Ainsi, pour que ce défi soit réussi, une action politique est nécessaire afin de permettre une interaction entre les gens qui utilisent ces différentes langues. Cela devra être fait à travers l’apprentissage de la langue de l’autre. Autrement dit, pour que le but soit atteint il faut une politique de développement du plurilinguisme, à travers l’apprentissage de langues étrangères. Dans le cas de l’Europe, le Conseil de l’Europe sera chargé donc de cette tâche, en agissant dans les différents niveaux exigés par les questions linguistiques.

En ce qui concerne cette étude, parmi les diverses actions du Conseil de l’Europe, celle qui nous intéresse plus spécialement est ainsi l’élargissement de l’enseignement/apprentissage de langues étrangères au sein de l’Union Européenne, pratique adoptée par l’Institution après la Convention culturelle européenne de 1954 et qui se développe à travers deux secteurs : la Division des Politiques Linguistiques, située à Strasbourg – France et le Centre Européen pour les Langues Vivantes, situé à Graz – Autriche. Ayant des fonctions différentes, ces institutions doivent établir des actions spécifiques en faveur de l’élargissement des connaissances linguistiques.

La Division des Politiques Linguistiques (DPL) a comme objectifs la promotion du plurilinguisme, de la diversité linguistique, la compréhension mutuelle, la citoyenneté démocratique et la cohésion sociale. Ainsi,

« La Division des politiques linguistiques continue d’avoir pour finalité de promouvoir une approche plus diversifiée des enseignements de langues dans le contexte de la citoyenneté démocratique. Il lui revient de susciter et d’accompagner les coopérations intergouvernementales qui permettent d’identifier des stratégies efficaces pour une diversification accrue de l’enseignement, de l’apprentissage et de la connaissance des langues. Elle est investie de responsabilités particulières, de ce point de vue, relativement à l’éducation à la diversité culturelle, à l’accès équitable aux enseignements de langues, à l’établissement de critères explicites pour produire et améliorer la qualité des enseignements au moyen de critères transparents et de formes d’évaluation et de certification des connaissances compatibles entre eux. » (Conseil de l’Europe, 2004 : 05)

Parmi ces projets, on trouve différents documents de référence comme le « Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe : de la diversité linguistique à l’éducation plurilingue », le « Profil de politiques linguistiques éducatives », le « Cadre Européen Commun de Référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer (CECRL) » et le « Portfolio Européen des Langues (PEL) », qui ont été élaborés dans le but d'assister les personnes concernées par le processus d’enseignement/apprentissage de langues étrangères : les apprenants, les enseignants, les examinateurs, les auteurs de manuels, les formateurs, etc. Ces documents, le Cadre Commun de Référence et le Portfolio mériteront une analyse ultérieure plus approfondie de notre part, considérant leur influence directe dans l’élaboration des matériels didactiques actuels, en particulier celui qui sera analysé par la suite.

De son côté, le Centre Européen pour les langues vivantes (CELV) « a pour mission la mise en œuvre de politiques linguistiques et la promotion des innovations dans le domaine de l’apprentissage et de l’enseignement des langues vivantes. » (Résolution (98)11, article 1er, CELV). Dès 1994 il travaille comme partenaire de la Division des Politiques Linguistiques dans l’application de ses principes, en formant les différents professionnels dans la philosophie portée par la Division, à travers la promotion de débats, forums, cours et séminaires, par exemple.

Parmi les objectifs de ces établissements, figurent en même temps les politiques pour la préservation de langues maternelles et celles pour l’enseignement/ apprentissage de langues étrangères, vu qu’actuellement, suite à l’ouverture du marché mondial et l’étroitesse des cultures encouragées particulièrement par le développement de la technologie pendant le XXe siècle, la communication facilitée a fait augmenter l’intérêt aux échanges de toutes natures et par conséquent à l’apprentissage de langues étrangères.

Cette augmentation de l’intérêt par rapport à l’apprentissage de langues étrangères est confirmée par un sondage mené par l’eurobaromètre entre novembre et décembre 2005 et dont les résultats ont été publiés en février 2006 :

‘« Aujourd'hui, l'Union européenne est multilingue à deux titres: de nombreuses langues maternelles sont parlées dans cette zone géographique et une bonne partie des citoyens ont des connaissances dans plusieurs langues. Néanmoins, les connaissances linguistiques ne sont pas réparties de façon égale dans toute l'Europe et il semble que les citoyens aient besoin d'encouragements pour apprendre des langues étrangères. » (Eurobaromètre, 2006 : 03)’

Selon les résultats, le nombre d’Européens qui connaissaient une langue étrangère était monté de 47% en 200120 à 56% en 200521. Ces chiffres sont significatifs, car ils montrent que les politiques linguistiques du Conseil de l’Europe commencent à montrer leurs premiers résultats, avec la perception de la part des Européens de l’importance d’apprendre une langue étrangère, même si cela n’est toujours pas répandu de manière égalitaire. Les bénéfices de l’apprentissage d’autres langues sont favorables aussi pour l’apprentissage de la langue maternelle, en améliorant les capacités cognitives de l’individu et en renforçant leurs différentes compétences.

Notes
20.

Standard EB 55.1 a été réalisé dans les quinze Etats membres de l'époque.

21.

Le présent sondage, Vague EB 63.4, couvre les vingt-cinq Etats membres actuels.