1.1 Une seule langue internationale ?

Comme nous venons de le voir, les actions du Conseil de l’Europe ont pour but premièrement la maintenance et ensuite l’élargissement du plurilinguisme en Europe, cela dans un moment historique où on voit une tendance forte et bien marquée à l’établissement de l’anglais comme langue majoritaire au niveau international, non seulement dans des pays apparemment plus proches ou plus influencés par la culture anglophone, mais aussi dans ceux où cette influence paraissait moins probable, comme c’est le cas de la France, par exemple, connue pour ses efforts historiques de protection du français par rapport à une possible hégémonie de l’anglais.

Ainsi comme au Brésil, l’anglais apparaît comme le grand choix de langues internationales en Europe. Selon le sondage d’eurobaromètre22 (2006 : 16), 38% d’Européens affirment avoir des connaissances de l’anglais comme langue étrangère (32% en 200123), tandis que seulement 14% l’ont pour le français (11% en 200124) et 14% l’ont pour l’allemand (8% en 200125). On conclut donc que « l’anglais continue à être la langue étrangère la plus parlée en toute l’Europe. » (2006 : 16) Cette situation est vue d’un œil inquiet par le Conseil de l’Europe, non en termes de jugement sur la langue anglaise, mais pour le fait qu’il puisse y avoir une tendance actuelle à la diminution du nombre de langues parlées dans le monde, au profit de l’apprentissage de l’anglais comme langue étrangère.

Cette préoccupation peut paraître infondée, vu que l’histoire nous montre la pluralité et la transformation d’une en plusieurs autres langues comme réalité, vu par exemple le cas du latin et les langues latines modernes. Toutefois, comme l’affirme Calvet (1999 : 27)

« Mais deux éléments viennent contrecarrer cette tendance à multiplication : - Le fait d’une part que si des langues naissent, d’autres meurent, que l’expansion d’une langue implique souvent la disparition d’autres langues, et l’histoire des langues en est un bel exemple. – Le fait d’autre part que la dispersion géographique comme facteur de multiplication (ou de diversification) est de plus en plus neutralisée par la multiplication des communications modernes : la radio, la télévision, la communication par satellite, etc., font que l’anglais de l’Amérique et que l’anglais de Grande-Bretagne ne seront jamais des langues différentes, pas plus que le français de France et celui du Québec. Il y a six ou sept siècles, dans des conditions comparables de séparation géographique, les choses en seraient allées tout autrement… Si donc les langues continueront à changer, voire même à remplacer les unes et les autres, nous avons toutes les raisons de penser que le grand mouvement de multiplication qui a marqué l’histoire linguistique du monde depuis quelques dizaines de siècles a été stoppé par les conditions modernes de communication.. »

La préoccupation concernant l’anglais comme grande force linguistique internationale gagne de l’importance dans les années 1990, où l’ouvrage Linguistic Imperialism, de Robert Phillipson (1992) popularise l’expression « impérialisme linguistique » et montre l’anglais comme une langue en situation de domination par rapport aux autres, constatant que dans les pays où il n’est pas la langue maternelle, il devient la langue étrangère la plus étudiée et très souvent la langue de l’élite locale, favorisant encore plus son expansion et son importance dans le pays.

Du fait de sa connotation idéologique, le terme « impérialisme linguistique » est souvent considéré comme péjoratif et sa définition est délicate, car interfèrent fréquemment des considérations politiques, notamment en rapport avec la puissance politique, économique et militaire des nations dominantes. Bien que le phénomène puisse théoriquement concerner n’importe quelle langue, ceux qui utilisent ce terme de nos jours l’appliquent généralement à l’anglais.

Pour plusieurs personnes, l’attitude du Conseil de l’Europe par rapport à l’anglais peut paraître une imposition aussi unilatérale que n’importe quelle autre, mais la préoccupation est fondée particulièrement sur le fait qu’une domination linguistique vient toujours accompagnée d’une domination culturelle, comme nous montre cette affirmation de Riagáin (2004), lors de la conférence Langues, Diversité, Citoyenneté : politiques pour la promotion du plurilinguisme en Europe, qui a eu lieu à Strasbourg en 2002 :

« L’anglais assume partout une incontestable fonction utilitaire en tant que langue de communication internationale et constitue à cet égard une sorte d’espéranto. Le problème, c’est que l’anglais, pas plus qu’une autre langue, ne peut être découplé de la culture qui lui est propre. Ce que je crains cependant, ce ne sont pas les Shakespeare, les Milton ou les Emily Brontë mais bien les Ron McDonald, les Bill Gates et les Georges W. Bush et le système de valeurs qu’ils incarnent. Rien ne sert pourtant déconseiller l’apprentissage de l’anglais tant il est évident que les arguments en faveur de cet apprentissage l’emportent sur tout le reste. Tentons plutôt de réduire l’impact culturel de l’anglais en favorisant d’autres langues de communication internationale. » (Riagáin, 2004 : 19)

L’idée ici serait donc de promouvoir l’apprentissage de langues étrangères afin de maintenir le caractère multilingue de l’Europe, en même temps que combattre, ou au moins réduire dans le terme de Riagáin, l’impact culturel et linguistique de l’anglais par rapport aux autres langues parlées dans le Continent, favorisant la diffusion non d’une seule langue comme outil de communication internationale, mais plusieurs, en permettant à tous les citoyens européens d’apprendre au moins deux langues, la maternelle et une étrangère, ou plus.

Notes
22.

Ibid.

23.

Standard EB 55.1

24.

Ibid.

25.

Ibid.